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vent. Peuples policés, cultivez-les: heureux esclaves, vous leur devez ce goût délicat et fin dont vous vous piquez; cette douceur de caractère et cette urbanité de mœurs qui rendent parmi vous le commerce si liant et si facile; en un mot, les apparences de toutes les vertus sans en avoir aucune.

C'est par cette sorte de politesse, d'autant plus aimable qu'elle affecte moins de se montrer, que se distinguèrent autrefois Athènes et Rome dans les jours si 10 vantés de leur magnificence et de leur éclat, c'est par elle, sans doute, que notre siècle et notre nation l'emporteront sur tous les temps et sur tous les peuples. Un ton philosophe sans pédanterie, des manières naturelles et pourtant prévenantes, également éloignées de 15 la rusticité tudesque et de la pantomime ultramontaine : voilà les fruits du goût acquis par de bonnes études et perfectionné dans le commerce du monde.

Qu'il serait doux de vivre parmi nous si la conten

a Les princes voient toujours avec plaisir le goût des arts agréables et des superfluités, dont l'exportation de l'argent ne résulte pas, s'étendre parmi leurs sujets: car, outre qu'ils les nourrissent ainsi dans cette petitesse d'âme si propre à la servitude, ils savent très bien que tous les besoins que le peuple se donne sont autant de chaînes dont il se charge. Alexandre, voulant maintenir les Ichthyophages dans sa dépendance, les contraignit de renoncer à la pêche, et de se nourrir des aliments communs aux autres peuples; et les sauvages de l'Amérique, qui vont tout nus, et qui ne vivent que du produit de leur chasse, n'ont jamais pu être domptés: en effet, quel joug imposerait-on à des hommes qui n'ont besoin de rien*?

* Ce qui est rapporté ici d'Alexandre n'a d'autre fondement qu'un passage de Pline l'Ancien, copié depuis par Solin (chap. LIV): "Ichthyophages omnes Alexander vetuit piscibus vivere." (Hist. nat., lib. VI, cap. xxv.)

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ance extérieure était toujours l'image des dispositions du cœur, si la décence était la vertu, si nos maximes nous servaient de règle, si la véritable philosophie était inséparable du titre de philosophe! Mais tant de qualitées vont trop rarement ensemble, et la vertu ne marche guère en si grande pompe. La richesse de la parure peut annoncer un homme opulent, et son élégance un homme de goût: l'homme sain et robuste se reconnaît à d'autres marques; c'est sous l'habit rustique d'un laboureur, et non sous la dorure d'un courtisan, 10 qu'on trouvera la force et la vigueur du corps. La parure n'est pas moins étrangère à la vertu, qui est la 'force et la vigueur de l'âme. L'homme de bien est un athlète qui se plaît à combattre nu; il méprise tous ces vils ornements qui gêneraient l'usage de ses forces, et 15 dont la plupart n'ont été inventés que pour cacher quelque difformité.

Avant que l'art eût façonné nos manières et appris à nos passions à parler un langage apprêté, nos mœurs étaient rustiques, mais naturelles; et la différence des 20 procédés annonçait, au premier coup d'œil, celle des caractères. La nature humaine, au fond, n'était pas meilleure; mais les hommes trouvaient leur sécurité dans la facilité de se pénétrer réciproquement; et cet

7 From the beginning of his career, vertu was a favorite word with Rousseau. It occurs already in his Le Verger des Charmettes. In this Discours it appears over forty times, and as Professor Schinz has shown, in three different senses (Mercure de France, June 1912, Vol. XCII, pp. 532-555). If Rousseau did not always practice virtue, he at least always talked about it with a seriousness, which, if not new in France, may at least be said to have become old-fashioned in the age of Voltaire.

avantage, dont nous ne sentons plus le prix, leur épargnait bien des vices.

Aujourd'hui que des recherches plus subtiles et un goût plus fin ont réduit l'art de plaire en principes, il 5 règne dans nos mœurs une vile et trompeuse uniformité, et tous les esprits semblent avoir été jetés dans un même moule: sans cesse la politesse exige, la bienséance ordonne; sans cesse on suit des usages, jamais son propre génie. On n'ose plus paraître ce qu'on est; Io et, dans cette contrainte perpétuelle, les hommes qui forment ce troupeau qu'on appelle société, placés dans les mêmes circonstances, feront tous les mêmes choses si des motifs plus puissants ne les en détournent. On ne saura donc jamais bien à qui l'on a affaire: il faudra 15 donc, pour connaître son ami, attendre les grandes occasions, c'est-à-dire attendre qu'il n'en soit plus temps, puisque c'est pour ces occasions mêmes qu'il eût été essentiel de le connaître.

Quel cortège de vices n'accompagnera point cette in20 certitude! Plus d'amitiés sincères; plus d'estime réelle; plus de confiance fondée. Les soupçons, les ombrages, les craintes, la froideur, la réserve, la haine, la trahison, se cacheront sans cesse sous ce voile uniforme et perfide de politesse, sous cette urbanité si vantée que nous 25 devons aux lumières de notre siècle. On ne profanera plus par des jurements le nom du maître de l'univers; mais on l'insultera par des blasphèmes, sans que nos oreilles scrupuleuses en soient offensées. On ne vantera pas son propre mérite, mais on rabaissera celui 30 d'autrui. On n'outragera point grossièrement son ennemi, mais on le calomniera avec adresse. Les haines

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nationales s'éteindront, mais ce sera avec l'amour de la patrie. A l'ignorance méprisée on substituera un dangereux pyrrhonisme. Il y aura des excès proscrits, des vices déshonorés; mais d'autres seront décorés du nom de vertus; il faudra ou les avoir ou les affecter. Vantera qui voudra la sobriété des sages du temps; je n'y vois, pour moi, qu'un raffinement d'intempérance autant indigne de mon éloge que leur artificieuse simplicité.

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Telle est la pureté que nos mœurs out acquise; c'est 10 ainsi que nous sommes devenus gens de bien. C'est aux lettres, aux sciences et aux arts, à revendiquer ce qui leur appartient dans un si salutaire ouvrage. J'ajouterai seulement une réflexion, c'est qu'un habitant de quelques contrées éloignées qui chercherait à 15 se former une idée des mœurs européennes sur l'état des sciences parmi nous, sur la perfection de nos arts, sur la bienséance de nos spectables, sur la politesse de nos manières, sur l'affabilité de nos discours, sur nos démonstrations perpétuelles de bienveillance, et sur ce 20 concours tumultueux d'hommes de tout âge et de tout état qui semblent empressés depuis le lever de l'aurore jusqu'au coucher du soleil à s'obliger réciproquement; c'est que cet étranger, dis-je, devinerait exactement de nos mœurs le contraire de ce qu'elles sont. 25

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"J'aime, dit Montaigne, à contester et à discourir, mais c'est avecques peu d'hommes, et pour moy. Car de servir de spectacle aux grands, et faire à l'envy parade de son esprit et de son caquet, je treuve que c'est un mestier tresmesséant à un homme d'honneur." (Liv. III, chap. viii.) C'est celui de tous nos beaux esprits, hors un*

*On pense que cette exception unique ne peut regarder que Diderot.

કાયા કરત

Où il n'y a nul effet, il n'y a point de cause à chercher: mais ici l'effet est certain, la dépravation réelle; et nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. 5 Dira-t-on que c'est un malheur particulier à notre âge? Non, messieurs; les maux causés par notre vaine curiosité sont aussi vieux que le monde. L'élévation et l'abaissement journaliers des eaux de l'Océan n'ont pas été plus régulièrement assujettis au cours de l'astre Io qui nous éclaire durant la nuit, que le sort des mœurs et de la probité au progrès des sciences et des arts. On a vu la vertu s'enfuir à mesure que leur lumière s'élevait sur notre horizon, et le même phénomène s'est observé dans tous les temps et dans tous les lieux.

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Voyez l'Égypte, cette première école de l'univers, ce climat si fertile sous un ciel d'airain, cette contrée célèbre d'où Sésostris partit autrefois pour conquérir le monde. Elle devient la mère de la philosophie et des beaux-arts, et, bientôt après, la conquête de Cam20 byse, puis celle des Grecs, des Romains, des Arabes, et enfin des Turcs.8

Voyez la Grèce, jadis peuplée de héros qui vainquirent deux fois l'Asie, l'une devant Troie, et l'autre dans leurs propres foyers. Les lettres naissantes n'avaient 25 point porté encore la corruption dans les cœurs de ses habitants; mais le progrès des arts, la dissolution des mœurs, et le joug du Macédonien, se suivirent de près; et la Grèce, toujours savante, toujours voluptueuse, et

8 The weakness of Rousseau's historical argument need hardly be dwelt upon. For Rousseau, as for many of his contemporaries, history was too often a repository of "horrible examples." Even his isolated cases here contradict one another.

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