de former des conjectures tirées de la seule nature de l'homme et des êtres qui l'environnent, sur ce qu'aurait pu devenir le genre humain s'il fût resté abandonné à lui-même. Voilà ce qu'on me demande, et ce que je me 5 propose d'examiner dans ce Discours. Mon sujet intéressant l'homme en général, je tâcherai de prendre un langage qui convienne à toutes les nations; ou plutôt oubliant les temps et les lieus pour ne songer qu'aux hommes à qui je parle, je me supposerai dans le lycée 10 d'Athènes, répétant les leçons de mes maîtres, ayant les Platon et les Xénocrate32 pour juges, et le genre humain pour auditeur. O homme, de quelque contrée que tu sois, quelles que soient tes opinions, écoute; voici ton histoire, telle que 15 j'ai cru la lire, non dans les livres de tes semblables, qui sont menteurs, mais dans la nature, qui ne ment jamais. Tout ce qui sera d'elle sera vrai; il n'y aura de faux que ce que j'y aurai mêlé du mien sans le vouloir. Les temps dont je vais parler sont bien éloig20 nés: combien tu as changé de ce que tu étais! C'est, pour ainsi dire, la vie de ton espèce que je te vais décrire d'après les qualités que tu as reçues, que ton éducation et tes habitudes ont pu dépraver, mais qu'elles n'ont pu détruire. Il y a, je le sens, un âge auquel 25 l'homme individuel voudrait s'arrêter: tu chercheras l'âge auquel tu désirerais que ton espèce se fût arrêtée. Mécontent de ton état présent par des raisons qui annoncent à ta postérité malheureuse de plus grands mécontentements encore, peut-être voudrais-tu 32 Xenocrates, a disciple of Plato 396-314 B.C., known for his earnest and unselfish devotion to truth. pou de et 1 toi. I dire pou Que et celu crie post son y a déj elle bea suc l'est rir 33 look refo stat far of r a to seat over in t mos pouvoir rétrograder; et ce sentiment doit faire l'éloge de tes premiers aïeux, la critique de tes contemporains, et l'effroi de ceux qui auront le malheur de vivre après toi.33 THE ORIGIN OF INEQUALITY 5 Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de crié à ses semblables: "Gardez-vous d'écouter cet im- 33 It is in feverish, eloquent passages like this that we must look for the secret of Rousseau's appeal to eighteenth century reformers. Such passages and the alluring description of the state of nature which followed make the Discours sur l'inégalité far more revolutionary than the Contrat Social where the state of nature is not vaunted and where it is presented as inferior to a tolerable civil state (cf. pp. 177-8). The whole point of Rousseau's appeal to nature in his political philosophy has often been overlooked. Its revolutionary quality was due to the fact that in the eighteenth century to appeal to nature was to make the most effective possible protest against authority. ΙΟ les augmenter d'âge en âge, avant que d'arriver à ce dernier terme de l'état de nature. Reprenons donc les choses de plus haut, et tâchons de rassembler sous un seul point de vue cette lente succession d'événements et 5 de connaissances dans leur ordre le plus naturel. Le premier sentiment de l'homme fut celui de son existence; son premier soin celui de sa conservation. Les productions de la terre lui fournissaient tous les secours nécessaires; l'instinct le porta à en faire usage. Telle fut la condition de l'homme naissant; telle fut la vie d'un animal borné d'abord aux pures sensations, et profitant à peine des dons que lui offrait la nature, loin de songer à lui rien arracher. Mais il se présenta bientôt des difficultés; il fallut apprendre à les vaincre : 15 la hauteur des arbres qui l'empêchait d'atteindre à leurs fruits, la concurrence des animaux qui cherchaient à s'en nourrir, la férocité de ceux qui en voulaient à sa propre vie, tout l'obligea de s'appliquer aux exercices du corps; il fallut se rendre agile, vite à la course, 20 vigoureux au combat. Les armes naturelles, qui sont les branches d'arbres et les pierres, se trouvèrent bientôt sous sa main. Il apprit à surmonter les obstacles de la nature, à combattre au besoin les autres animaux, à disputer sa subsistance aux hommes mêmes, ou à se 25 dédommager de ce qu'il fallait céder au plus fort. . A mesure que le genre humain s'étendit, les peines se multiplièrent avec les hommes. La différence des terrains, des climats, des saisons, put les forcer à en mettre dans leurs manières de vivre. Des années 30 stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants, qui consument tout, exigèrent d'eux une nouvelle industrie. Le long de la mer et des rivières ils inventèrent la ligne et l'hameçon, et devinrent pêcheurs et ichthyophages. Dans les forêts ils se firent des arcs et des flèches, et devinrent chasseurs et guerriers. Dans les pays froids ils se couvrirent des peaux des bêtes qu'ils 5 avaient tuées. Le tonnerre, un volcan, ou quelque heureux hasard, leur fit connaître le feu, nouvelle ressource contre la rigueur de l'hiver: ils apprirent à conserver cet élément, puis à le reproduire, et enfin à en préparer les viandes qu'auparavant ils dévoraient crues. 10 Cette application réitérée des êtres divers à luimême, et des uns aux autres, dut naturellement engendrer dans l'esprit de l'homme les perceptions de certains rapports. Ces relations que nous exprimons par les mots de grand, de petit, de fort, de faible, de 15 vite, de lent, de peureux, de hardi, et d'autres idées pareilles, comparées au besoin, et presque sans y songer, produisirent enfin chez lui quelque sorte de réflexion, ou plutôt une prudence machinale qui lui indiquait les précautions les plus nécessaires à sa sûreté. 20 Les nouvelles lumières qui résultèrent de ce développement augmentèrent sa supériorité sur les autres animaux en la lui faisant connaître. Il s'exerça à leur dresser des pièges, il leur donna le change en mille manières; et quoique plusieurs le surpassassent en force 25 au combat, ou en vitesse à la course, de ceux qui pouvaient lui servir ou lui nuire, il devint avec le temps le maître des uns et le fléau des autres. C'est ainsi que le premier regard qu'il porta sur lui-même y produisit le premier mouvement d'orgueil; c'est ainsi que sachant 30 encore à peine distinguer les rangs, et se contemplant au premier par son espèce, il se préparait de loin à y prétendre par son individu. Instruit par l'expérience que l'amour du bien-être est le seul mobile des actions humaines, il se trouva en état 5 de distinguer les occasions rares où l'intérêt commun devait le faire compter sur l'assistance de ses semblables, et celles plus rares encore où la concurrence devait le faire défier d'eux. Dans le premier cas, il s'unissait avec eux en troupeau, ou tout au plus par quelque sorte 10 d'association libre qui n'obligeait personne, et qui ne qui l'avait formée. Dans le second, chacun cherchait à prendre ses force ouverte, s'il croyait le pouvoir, soit par adresse et subtilité, s'il se sentait le plus faible. 15 durait qu'autant que le besoin passagerule avantages soit : Voilà comment les hommes purent insensiblement acquérir quelque idée grossière des engagements mutuels, et de l'avantage de les remplir, mais seulement autant que pouvait l'exiger l'intérêt présent et sensible; car la prévoyance n'était rien pour eux; et, loin de s'oc20 cuper d'un avenir éloigné, ils ne songeaient pas même plat au lendemain. S'agissait-il de prendre un cerf, chacun sentait bien qu'il devait pour cela garder fidèlement son poste; mais si un lièvre venait à passer à la portée de l'un d'eux, il ne faut pas douter qu'il ne le poursuivît 25 sans scrupule, et qu'ayant atteint sa proie il ne se souciât fort peu de faire manquer la leur à ses compagnons. Je parcours comme un trait des multitudes de siècles, forcé par le temps qui s'écoule, par l'abondance des 30 choses que j'ai à dire, et par le progrès presque insen sible des commencements; car plus les événements |