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sonnages sur la scène, et comédiens sur les bancs.10 C'est ainsi que la sphère du monde et des auteurs se rétrécit, c'est ainsi que la scène moderne ne quitte plus son ennuyeuse dignité: on n'y sait plus montrer les 5 hommes qu'en habit doré. Vous diriez que la France n'est peuplée que de comtes et de chevaliers; et plus le peuple y est misérable et gueux, plus le tableau du peuple y est brillant et magnifique. Cela fait qu'en peignant le ridicule des états qui servent d'exemple aux Io autres, on le répand plutôt que de l'éteindre, et que le peuple, toujours singe et imitateur des riches, va moins au théâtre pour rire de leur folies que pour les étudier, et devenir encore plus fou qu'eux en les imitant. Voilà de quoi fut cause Molière lui-même; il corrigea la 15 cour en infectant la ville; et ses ridicules marquis furent le premier modèle des petits-maîtres bourgeois qui leur succédèrent.11

En général, il y a beaucoup de discours et peu d'action sur la scène française: peut-être est-ce qu'en effet 20 le Français parle encore plus qu'il n'agit, ou du moins qu'il donne un bien plus grand prix à ce qu'on dit qu'à ce qu'on fait. Quelqu'un disait, en sortant d'une pièce de Denys le Tyran: “Je n'ai rien vu, mais j'ai entendu force paroles."12 Voilà ce qu'on peut dire en sortant 25 des pièces françaises. Racine et Corneille, avec tout

10 Distinguished spectators sat on the French stage hemming in the actors. Voltaire protested vigorously against this cus

tom and it was abolished in 1759.

11 This is one of the bases for Rousseau's condemnation of

the theatre in his Lettre à d'Alembert.

12 This quotation probably came from Plutarch via Montaigne cf. Essais Liv. III, Chap. VIII.

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leur génie, ne sont eux-mêmes que des parleurs; et leur
successeur13 est le premier qui, à l'imitation des Anglais,
ait osé mettre quelquefois la scène en représentation.
Communément tout se passe en beaux dialogues bien
agencés, bien ronflants, où l'on voit d'abord que le
premier soin de chaque interlocuteur est toujours celui
de briller. Presque tout s'énonce en maximes géné-
rales. Quelque agités qu'il puissent être, ils songent
toujours plus au public qu'à eux-mêmes; une sentence
leur coûte moins qu'un sentiment; les pièces de Racine 10
et de Molière exceptées, le je est presque aussi scrupu-
leusement banni de la scène française que des écrits de
Port-Royal, et les passions humaines, aussi modestes
que l'humilité chrétienne, n'y parlent jamais que par
on. Il y a encore une certaine dignité maniérée dans 15
le geste et dans le propos, qui ne permet jamais à la
passion de parler exactement son langage, ni à l'auteur
de revêtir son personnage et de se transporter au lieu
de la scène, mais le tient toujours enchaîné sur le
théâtre et sous les yeux des spectateurs.14. Aussi les 20
13 Voltaire felt this defect in the French tradition, and in the
presentation of his Tancrède (1760) tried to picture the action
more graphically by having the stage setting represent a jousting
field where there is to be a trial by combat. The limitation put
upon the playwright by the unities of time and place made such
action as appears in Shakespeare impossible. Yet it is to be
noted that Rousseau does not take up the question of the unities.

14 M. Mornet's painstaking researches have disclosed a few isolated protests against phases of the style noble, shortly before this date, in Gouges de Cessières (1758) and the Mercure de France (1758). Rousseau's objection on principle to the whole theory of that style at this early date was however an important element in the romantic revolt which was soon to find many supporters.

situations les plus vives ne lui font-elles jamais oublier un bel arrangement de phrases ni des attitudes élégantes; et si le désespoir lui plonge un poignard dans le cœur, non content d'observer la décence en tombant 5 comme Polyxène,15 il ne tombe point; la décence le maintient debout après sa mort, et tous ceux qui viennent d'expirer s'en retournent l'instant d'après sur leurs jambes.

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Tout cela vient de ce que le Français ne cherche point IO sur la scène le naturel et l'illusion, et n'y veut que l'esprit et des pensées; il fait cas de l'agrément et non de l'imitation, et ne se soucie pas d'être séduit, pourvu qu'on l'amuse. Personne ne va au spectacle pour le plaisir du spectacle, mais pour voir l'assemblée, pour 15 en être vu, pour ramasser de quoi fournir au caquet après la pièce; et l'on ne songe à ce qu'on voit que pour savoir ce qu'on en dira. L'acteur pour eux est toujours l'acteur, jamais le personnage qu'il représente: cet homme qui parle en maître du monde n'est point 20 Auguste, c'est Baron16; la veuve de Pompée est Adrienne1; Alzire18 est Mlle. Gaussin, et ce fier sauvage1 est Grandval. Les comédiens, de leur côté, négligent entièrement l'illusion, dont ils voient que per

16

15 The sacrifice of Polyxena was a classical example of dignity and poise in meeting death. It was a favorite subject in Greek plastic art and in tragedy, entering into the lost Polyxena of Sophocles, the Hecuba of Euripides and the Troades of Seneca. Rousseau probably had no particular play in mind.

16 Baron, a well known actor appearing as Augustus in Corneille's Cinna.

17 Adrienne Lecouvreur in Corneille's Pompée.

18 Heroine in the play of the same name by Voltaire. 19 The Indian Zamore in the same play.

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sonne ne se soucie: ils placent les héros de l'antiquité entre six rangs de jeunes Parisiens; ils calquent les modes françaises sur l'habit romain; on voit Cornélie en pleurs avec deux doigts de rouge, Caton poudré à blanc, et Brutus20 en panier. Tout cela ne choque per- 5 sonne, et ne fait rien au succès des pièces : comme on ne voit que l'acteur dans le personnage, on ne voit non plus que l'auteur dans le drame; et, si le costume est négligé, cela se pardonne aisément, car on sait bien que Corneille n'était pas tailleur, ni Crébillon perruquier.

ΙΟ

Ainsi, de quelque sens qu'on envisage les choses, tout n'est ici que babil, jargon, propos sans conséquence. Sur la scène comme dans le monde, on a beau écouter ce qui se dit, on n'apprend rien de ce qui se fait: et qu'a-t-on besoin de l'apprendre? Sitôt qu'un homme a 15 parlé, s'informe-t-on de sa conduite? n'a-t-il pas tout fait? n'est-il pas jugé? L'honnête homme d'ici n'est point celui qui fait de bonnes actions, mais celui qui dit de belles choses; et un seul propos inconsidéré, lâché sans réflexion, peut faire à celui qui le tient un 20 tort irréparable que n'effaceraient pas quarante ans d'intégrité. En un mot, bien que les œuvres des hommes ne ressemblent guère à leurs discours, je vois qu'on ne les peint que par leurs discours, sans égard à leurs œuvres; je vois aussi que dans une grande ville 25 la société paraît plus douce, plus facile, plus sûre même

20 Actors were dressed in a conventional antique costume which approximated the fashions of the time, the panier was a flaring short skirt. Rousseau's irony is heightened by the fact that Cornelia (mother of the Gracchi) Cato and Brutus were regarded as Romans of the stern and simple type.

que parmi des gens moins étudiés; mais les hommes y sont-ils en effet plus humains, plus modérés, plus justes? Je n'en sais rien. Ce ne sont encore là que des apparences; et, sous ces dehors si ouverts et si agré5 ables, les cœurs sont peut-être plus cachés, plus enfoncés en dedans que les nôtres. Étranger, isolé, sans affaires, sans liaisons, sans plaisirs, et ne voulant m'en rapporter qu'à moi, le moyen de pouvoir prononcer?

-Deuxième Partie Lettre XVII.

EXCURSION ON LAKE GENEVA

(After the separation of the lovers, Julie, on her father's insistence, had been released by Saint-Preux from her promise not to marry without his consent, in order from a sense of duty to marry M. de Wolmar, an undemonstrative man of honor and dignity to whom her father is under deep moral obligation. Saint-Preux, urged by his English friend, Lord Bomston, to whom the letter is addressed, had made a journey around the world on an English vessel. He has returned at the invitation of M. de Wolmar who knows of his earlier love for Julie. To show his confidence M. de Wolmar leaves for a few days and Saint-Preux and Julie set out from her home at Clarens for an excursion on the lake. They are caught in a storm and forced, after Saint-Preux and the boatmen are nearly exhausted, to land at Meillerie across the lake where Saint-Preux had sojourned on his return from his exile in the Valais (cf. Première Partie, Lettre XXIII). Notice in this selection Rousseau's description of romantic nature in its wilder aspects, his use

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mon retour.

et si délicieux que je lui éc J'avais toujo me servit d'a se plaisait à c plus cher au cheri dans un l'image l'habi

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