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de l'air, les doux rayons de la lune, le frémissement argenté dont l'eau brillait autour de nous, le concours des plus agréables sensations, la présence même de cet objet chéri, rien ne put détourner de mon cœur mille 5 réflexions douloureuses.9

Je commençai par me rappeler une promenade semblable faite autrefois avec elle durant le charme de nos premières amours. Tous les sentiments délicieux qui remplissaient alors mon âme s'y retracèrent pour l'af10 fliger; tous les événements de notre jeunesse, nos études, nos entretiens, nos lettres, nos rendez-vous, nos plaisirs,

E tanta fede, e si dolci memorie,
E si lungo costume!10

15 ces foules de petits objets qui m'offraient l'image de
mon bonheur passé, tout revenait, pour augmenter ma
misère présente, prendre place en mon souvenir. “C'en
est fait, disais-je en moi-même, ces temps, ces temps
heureux ne sont plus; ils ont disparu pour jamais.
20 Hélas! ils ne reviendront plus; et nous vivons, et nous
sommes ensemble, et nos cœurs sont toujours unis!"
Il me semblait que j'aurais porté plus patiemment sa
mort ou son absence, et que j'avais moins souffert tout
le temps que j'avais passé loin d'elle. Quand je gémis-
25 sais dans l'éloignement, l'espoir de la revoir soulageait

9 This celebrated passage with the paragraph following gives a striking example of Rousseau's use of nature to contribute to emotional effect. Notice the details employed, the rhythm of the prose, and compare the situation with Le Lac.

10 "Et cette foi si pure, et ces doux souvenirs, et cette longue familiarité!" MÉTASTASIO.

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peu dans poir, je état, co

quelque fus soul auprès moucho

tout bas

s'entend mais qu

ce ton!

quilleme arrivam

mon cœur ; je me flattais qu'un instant de sa présence effacerait toutes mes peines; j'envisageais au moins dans les possibles un état moins cruel que le mien; mais se trouver auprès d'elle, mais la voir, la toucher, lui parler, l'aimer, l'adorer, et, presque en la possédant 5 encore, la sentir perdue à jamais pour moi, voilà ce qui me jetait dans des accès de fureur et de rage qui m'agitèrent par degrés jusqu'au désespoir. Bientôt je commençai de rouler dans mon esprit des projets funestes, et, dans un transport dont je frémis en y pen- 10 sant, je fus violemment tenté de la précipiter avec moi dans les flots et d'y finir dans ses bras ma vie et mes longs tourments. Cette horrible tentation devint à la fin si forte que je fus obligé de quitter brusquement sa main pour passer à la pointe du bateau.

15

Là mes vives agitations commencèrent à prendre un autre cours; un sentiment plus doux s'insinua peu à peu dans mon âme, l'attendrissement surmonta le désespoir, je me mis à verser des torrents de larmes; et cet état, comparé à celui dont je sortais, n'était pas sans 20 quelque plaisir. Je pleurai fortement, longtemps, et fus soulagé. Quand je me trouvai bien remis, je revins auprès de Julie; je repris sa main. Elle tenait son mouchoir; je le sentis fort mouillé. "Ah! lui dis-je tout bas, je vois que nos cœurs n'ont jamais cessé de 25 s'entendre! Il est vrai, dit-elle d'une voix altérée; mais que ce soit la dernière fois qu'ils auront parlé sur ce ton!" Nous recommençâmes alors à causer tranquillement, et, au bout d'une heure de navigation, nous arrivâmes sans autre accident. Quand nous fûmes

rentrés, j'aperçus à la lumière qu'elle avait les yeux rouges et fort gonflés: elle ne dut pas trouver les miens en meilleur état. Après les fatigues de cette journée, elle avait grand besoin de repos; elle se retira, 5 et je fus me coucher.

Voilà, mon ami, le détail du jour de ma vie où, sans exception, j'ai senti les émotions les plus vives. J'espère qu'elles seront la crise qui me rendra tout à fait à moi. Au reste, je vous dirai que cette aventure m'a 10 plus convaincu que tous les arguments de la liberté de l'homme et du mérite de la vertu. Combien de gens sont faiblement tentés et succombent! Pour Julie, mes yeux le virent et mon cœur le sentit, elle soutint ce jourlà le plus grand combat qu'âme humaine ait pu soutenir: 15 elle vainquit pourtant.

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-Quatrième Partie, Lettre XVII.

THE IDEAL OF LIFE

(Saint-Preux has come to live at the house of the Wolmars. M. de Wolmar has lost most of his fortune and with the help of Julie has developed a small estate at Clarens. Saint-Preux describes for his friend, Milord Édouard, the ideal life which the family leads, and discusses in detail questions of domestic economy which were received with keen interest at that time. This picture, as well as the description of life at the end of Emile gives Rousseau's matured ideal of happiness, and this should be remembered when reading his discourses of protest and his laudation of the state of nature. Though there existed and had

been ex extravag of a mo importa

Quell tion! qu prix, et il est d naît! I nobles procher

son ma

Le tum retentis trouve

Si quel

tendris

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been expressed protests against the hollowness and extravagance then in vogue, Rousseau's glorification of a modest and thrifty life in the home was new and important.)

De Saint-Preux à milord Edouard

5

Quelle retraite délicieuse! quelle charmante habitation! que la douce habitude d'y vivre en augmente le prix, et que, si l'aspect en paraît d'abord peu brillant, il est difficile de ne pas l'aimer aussitôt qu'on la connaît! Le goût que prend Mme de Wolmar à remplir ses nobles devoirs, à rendre heureux et bons ceux qui l'approchent, se communique à tout ce qui en est l'objet, à son mari, à ses enfants, à ses hôtes, à ses domestiques. Le tumulte, les jeux bruyants, les longs éclats de rire ne retentissent point dans ce paisible séjour, mais on y 10 trouve partout des cœurs contents et des visages gais. Si quelquefois on y verse des larmes, elles sont d'attendrissement et de joie. Les noirs soucis, l'ennui, la tristesse, n'approchent pas plus d'ici que le vice et les remords dont ils sont le fruit. . . .

15

Les maîtres de cette maison jouissent d'un bien médiocre, selon les idées de fortune qu'on a dans le monde; mais, au fond, je ne connais personne de plus opulent qu'eux. Il n'y a point de richesse absolue. Ce mot ne signifie qu'un rapport de surabondance entre 20 les désirs et les facultés de l'homme riche.1 Tel est

1 Schopenhauer in his Aphorismen zur Lebensweisheit has said that the measure of a man's unhappiness is the difference between what he desires and what he possesses. Later romantic

riche avec un arpent de terre; tel est gueux au milieu de ses monceaux d'or. Le désordre et les fantasies n'ont point de bornes et font plus de pauvres que les vrais besoins. Ici la proportion est établie sur un vable 5 fondement qui la rend inébranlable, savoir le parfait accord des deux époux. Le mari s'est chargé du recouvrement des rentes, la femme en dirige l'emploi, et c'est dans l'harmonie qui règne entre eux qu'est la source de leur richesse.

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Ce qui m'a d'abord le plus frappé dans cette maison, c'est d'y trouver l'aisance, la liberté, la gaieté, au milieu de l'ordre et de l'exactitude. Le grand défaut des maisons bien réglées est d'avoir un air triste et contraint. L'extrême sollicitude des chefs sent toujours 15 un peu l'avarice; tout respire la gêne autour d'eux: la rigueur de l'ordre a quelque chose de servile qu'on ne supporte point sans peine. Les domestiques font leur devoir, mais ils le font d'un air mécontent et craintif. Les hôtes sont bien reçus, mais ils n'usent qu'avec dé20 fiance de la liberté qu'on leur donne; et, comme on s'y voit toujours hors de la règle, on n'y fait rien qu'en tremblant de se rendre indiscret. On sent que ces pères esclaves ne vivent point pour eux, mais pour leurs enfants, sans songer qu'ils ne sont pas seulement pères, 25 mais hommes, et qu'ils doivent à leurs enfants l'exem

ple de la vie de l'homme et du bonheur attaché à la sagesse. On suit ici des règles plus judicieuses: on y

pessimists like Senancour who retired to the simple life of nature felt that they could reduce their unhappiness by reducing their demands upon life. This, as well as the desire for independence, was an important factor in their decisions.

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même une

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jamais tent
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elle les va
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