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fidèles, tels que je n'en trouvai jamais ici-bas. Je pris
un tel goût à planer ainsi dans l'empyrée, au milieu des
objets charmants dont je m'étais entouré, que j'y passais
les heures, les jours sans compter; et perdant le sou-
venir de toute autre chose, à peine avais-je mangé un 5
morceau à la hâte, que je brûlais de m'échapper pour
courir retrouver mes bosquets....

Je me figurai l'amour, l'amitié, les deux idoles de
mon cœur, sous les plus ravissantes images. Je me
plus à les orner de tous les charmes du sexe que j'avais 10
toujours adoré. J'imaginai deux amies plutôt que deux
amis, parce que si l'exemple est plus rare, il est aussi
plus aimable. Je les douai de deux caractères ana-
logues, mais différents; de deux figures non pas par-
faites, mais de mon goût, qu'animaient la bienveillance 15
et la sensibilité. Je fis l'une' brune et l'autre blonde,
l'une vive et l'autre douce, l'une sage et l'autre faible;
mais d'une si touchante faiblesse, que la vertu semblait
y gagner. Je donnai à l'une des deux un amant dont
l'autre fut la tendre amie, et même quelque chose de 20
plus; mais je n'admis ni rivalité, ni querelles, ni jalou-
sie, parce que tout sentiment pénible me coûte à imagi-
ner, et que je ne voulais ternir ce riant tableau par rien
qui dégradât la nature. Epris de mes deux charmants
modèles, je m'identifiais avec l'amant et l'ami le plus 25
qu'il m'était possible; mais je le fis aimable et jeune,
lui donnant au surplus les vertus et les défauts que je
me sentais.

7 Claire d'Orbe.
8 Julie d'Étange.

9 Saint-Preux.

Pour placer mes personnages dans un séjour qui leur convînt, je passai successivement en revue les plus beaux lieux que j'eusse vus dans mes voyages. Mais je ne trouvai point de bocage assez frais, point de 5 paysage assez touchant à mon gré. Les vallées de la Thessalie m'auraient pu contenter, si je les avais vues; mais mon imagination, fatiguée à inventer, voulait quelque lieu réel qui pût lui servir de point d'appui, et me faire illusion sur la réalité des habitants que j'y IO voulais mettre. Je songeai longtemps aux îles Borromées, dont l'aspect délicieux m'avait transporté; mais j'y trouvai trop d'ornement et d'art pour mes personnages. Il me fallait cependant un lac, et je finis par choisir celui autour duquel mon cœur n'a jamais cessé 15 d'errer. Je me fixai sur la partie des bords de ce lac à laquelle depuis longtemps mes vœux ont placé ma résidence dans le bonheur imaginaire auquel le sort m'a borné. Le lieu natal de ma pauvre maman1o avait encore pour moi un attrait de prédilection. Le con20 traste des positions, la richesse et la variété des sites, la magnificence, la majesté de l'ensemble qui ravit les sens, émeut le cœur, élève l'âme, achevèrent de me déterminer, et j'établis à Vevey mes jeunes pupilles. Voilà tout ce que j'imaginai du premier bond; le reste n'y fut 25 ajouté que dans la suite.

Je me bornai longtemps à un plan si vague, parce qu'il suffisait pour remplir mon imagination d'objets agréables, et mon cœur de sentiments dont il aime à se nourrir. Ces fictions, à force de revenir, prirent enfin

*In the Lago Maggiore.

10 Mme de Warens.

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plus de consistance, et se fixèrent dans mon cerveau
sous une forme déterminée. Ce fut alors que la fan-
taisie me prit d'exprimer sur le papier quelques-unes
des situations qu'elles m'offraient; et rappelant tout ce
que j'avais senti dans ma jeunesse, de donner ainsi l'es- 5
sor en quelque sorte au désir d'aimer, que je n'avais pu
satisfaire, et dont je me sentais dévoré.

-Partie II, Livre IX.

LETTRES A M. DE MALESHERBES

(After Rousseau had retired from the life of Paris and of society, and had broken with Diderot and his circle, he seems to have felt the need of justifying or at least explaining himself. To this end in 1762, he wrote four letters to M. de Malesherbes, president of the Cour des Aides. As the second of these is of particular interest to students of the first Discourse, and the third throws much light on his "reformation," they have been included here. April ninth, 1756, was the date when, as we have seen, he left Paris, as he thought, for good, and decided to live the rest of his life close to nature. On this day he accepted the offer of Mme d'Épinay and established himself at l'Ermitage, a little cottage in the forest of Montmorency. In this region, he passed the most fruitful years of his life, and wrote his La Nouvelle Héloïse, Émile ou le Traité de l'éducation, and rewrote his Contrat Social. (Cf. Rousseau Euvres, Vol. VIII, pp. 277-351; Ducros, De Genève à l'Hermitage, 1908, pp. 323 et seq; Rey J.-J. Rousseau dans la vallée de Montmorency. 1909.)

À M. DE MALESHERBES

A Montmorency, le 12 janvier, 1762.

Je continue, monsieur, à vous rendre compte de moi, puisque j'ai commencé; car ce qui peut m'être le plus 5 défavorable est d'être connu à demi; et, puisque mes fautes ne m'ont point ôté votre estime, je ne présume pas que ma franchise me la doive ôter.

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Une âme paresseuse qui s'effraye de tout soin, un tempérament ardent, bilieux, facile à s'affecter, et sensible à l'excès à tout ce qui l'affecte, semblent ne pouvoir s'allier dans le même caractère; et ces deux contraires composent pourtant le fond du mien. Quoique je ne puisse résoudre cette opposition par des principes, elle existe pourtant; je le sens, rien n'est plus certain, et 15 j'en puis du moins donner par les faits une espèce d'historique qui peut servir à la concevoir. J'ai eu plus d'activité dans l'enfance, mais jamais comme un autre enfant. Cet ennui de tout m'a de bonne heure jeté dans la lecture. A six ans, Plutarque me tomba sous 20 la main; à huit, je le savais par cœur ; j'avais lu tous les romans; ils m'avaient fait verser des seaux de larmes avant l'âge où le cœur prend intérêt aux romans. De là se forma dans le mien ce goût héroïque et romanesque qui n'a fait qu'augmenter jusqu'à présent, et 25 qui acheva de me dégoûter de tout, hors de ce qui ressemblait à mes folies. Dans ma jeunesse, que je croyais trouver dans le monde les mêmes gens que j'avais connus dans mes livres, je me livrais sans réserve à quiconque savait m'en imposer par un certain jargon dont 30 j'ai toujours été la dupe. J'étais actif, parce que j'étais

762.

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fou; à mesure que j'étais détrompé, je changeais de
goûts, d'attachements, de projets; et dans tous ces
changements, je perdais toujours ma peine et mon
temps, parce que je cherchais toujours ce qui n'était
point. En devenant plus expérimenté, j'ai perdu peu à 5
peu l'espoir de le trouver, et par conséquent le zèle de
le chercher. Aigri par les injustices que j'avais éprou-
vées, par celles dont j'avais été le témoin, souvent af-
fligé du désordre où l'exemple et la force des choses
m'avaient entraîné moi-même, j'ai pris en mépris mon 10
siècle et mes contemporains; et, sentant que je ne
trouverais point au milieu d'eux une situation qui pût
contenter mon cœur, je l'ai peu à peu détaché de la
société des hommes, et je m'en suis fait une autre dans
mon imagination, laquelle m'a d'autant plus charmé, 15
que je la pouvais cultiver sans peine, sans risque, et
la trouver toujours sûre et telle qu'il me la fallait.

Après avoir passé quarante ans de ma vie ainsi mé-
content de moi-même et des autres, je cherchais in-
utilement à rompre les liens qui me tenaient attaché 20
à cette société que j'estimais si peu, et qui m'enchaî-
naient aux occupations le moins de mon goût, par des
besoins que j'estimais ceux de la nature, et qui n'étaient
que ceux de l'opinion: tout à coup un heureux hasard
vint m'éclairer sur ce que j'avais à faire pour moi- 25
même, et à penser de mes semblables, sur lesquels mon
cœur était sans cesse en contradiction avec mon esprit,
et que je me sentais encore porté à aimer, avec tant de
raisons de les haïr. Je voudrais, monsieur, vous pou-
voir peindre ce moment qui a fait dans ma vie une si 30
singulière époque, et qui me sera toujours présent
quand je vivrais éternellement.

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