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j'ai joui n'est-il connu de tout l'univers! chacun vou-
drait s'en faire un semblable; la paix règnerait sur la
terre; les hommes ne songeraient plus à se nuire, et il
n'y aurait plus de méchants quand nul n'aurait intérêt 5
à l'être. Mais de quoi jouissais-je enfin quand j'étais
seul? De moi, de l'univers entier, de tout ce qui est,
de tout ce qui peut être, de tout ce qu'a de beau le
monde sensible, et d'imaginable le monde intellectuel :
je rassemblais autour de moi tout ce qui pouvait flatter 10
mon cœur ; mes désirs étaient la mesure de mes plaisirs.
Non, jamais les plus voluptueux n'ont connu de
pareilles délices, et j'ai cent fois plus joui de mes chi-
mères qu'ils ne font des réalités.

Quand mes douleurs me font tristement mesurer la 15
longueur des nuits, et que l'agitation de la fièvre m'em-
pêche de goûter un seul instant de sommeil, souvent je
me distrais de mon état présent, en songeant aux divers
événements de ma vie; et les repentirs, les doux sou-
venirs, les regrets, l'attendrissement, se partagent le 20
soin de me faire oublier quelques moments mes souf-
frances. Quels temps croiriez-vous, monsieur, que je
me rapelle le plus souvent et le plus volontiers dans
mes rêves? Ce ne sont point les plaisirs de ma jeu-
nesse; ils furent trop rares, trop mêlés d'amertume, et 25
sont déjà trop loin de moi. Ce sont ceux de ma re-
traite; ce sont mes promenades solitaires, ce sont ces
jours rapides, mais délicieux, que j'ai passés tout entiers
avec moi seul, avec ma bonne et simple gouvernante,*

4 Thérèse Le Vasseur, an unattractive and almost illiterate servant to whom Rousseau became attached, by whom he had sev

avec mon chien bien-aimé, ma vieille chatte, avec les oiseaux de la campagne et les biches de la forêt, avec la nature entière et son inconcevable auteur. En me levant avant le soleil pour aller voir, contempler son 5 lever dans mon jardin; quand je voyais commencer une belle journée, mon premier souhait était que ni lettres, ni visites, n'en vinssent troubler le charme. Après avoir donné la matinée à divers soins que je remplissais tous avec plaisir, parce que je pouvais les IO remettre à un autre temps, je me hâtais de dîner pour échapper aux importuns, et me ménager un plus long après-midi. Avant une heure, même les jours les plus ardents, je partais par le grand soleil avec le fidèle Achate, pressant le pas dans la crainte que quelqu'un 15 ne vint s'emparer de moi avant que j'eusse pu m'esquiver; mais quand une fois j'avais pu doubler un certain coin, avec quel battement de cœur, avec quel pétillement de joie je commençais à respirer en me sentant sauvé, en me disant: "Me voilà maître de moi pour 20 le reste de ce jour!" J'allais alors d'un pas plus tran

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quille chercher quelque lieu sauvage dans la forêt, quelque lieu désert où rien ne montrant la main des hommes n'annonçât la servitude et la domination, eral children and whom he later married. She followed him in all his wanderings and survived him. Opinions on her character and influence on Rousseau's life, differ widely. M. Ritter defends her. M. Faguet (J.-J. Rousseau 1911) on the contrary is inclined to see in her the cause of many of Rousseau's misfortunes. Rousseau speaks of her here and later as his "gouvernante."

5 His dog, Turc. The dog's name had been changed from Duc to Ture through fear of offending M. le Duc de Luxembourg, his patron, on whose estate he was living.

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quelque asile où je pusse croire avoir pénétré le premier,
et où nul tiers importun ne vint s'interposer entre la
nature et moi. C'etait là qu'elle semblait déployer à
mes yeux une magnificence toujours nouvelle. L'or
des genêts et la pourpre des bruyères frappaient mes 5
yeux d'un luxe qui touchait mon cœur; la majesté des
arbres qui me couvraient de leur ombre, la délicatesse
des arbustes qui m'environnaient, l'étonnante variété
des herbes et des fleurs que je foulais sous mes pieds,
tenaient mon esprit dans une alternative continuelle 10
d'observation et d'admiration: le concours de tant
d'objets intéressants qui se disputaient mon attention,
m'attirant sans cesse de l'un à l'autre, favorisait mon
humeur rêveuse et paresseuse, et me faisait souvent
redire en moi-même: "Non, Salomon dans toute sa 15
gloire ne fut jamais vêtu comme l'un d'eux."

Mon imagination ne laissait pas longtemps déserte
la terre ainsi parée. Je la peuplais bientôt d'êtres selon
mon cœur, et, chassant bien loin l'opinion, les préjugés,
toutes les passions factices, je transportais dans les 20
asiles de la nature des hommes dignes de les habiter.
Je m'en formais une société charmante dont je ne me
sentais pas indigne, je me faisais un siècle d'or à ma
fantaisie, et remplissant ces beaux jours de toutes les
scènes de ma vie qui m'avaient laissé de doux sou- 25
venirs, et de toutes celles que mon cœur pouvait dé-
sirer encore, je m'attendrissais jusqu'aux larmes sur
les vrais plaisirs de l'humanité, plaisirs si délicieux, si
purs, et qui sont désormais si loin des hommes. Oh!
si dans ces moments, quelque idée de Paris, de mon
siècle, et de ma petite gloriole d'auteur, venait troubler

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Je

mes rêveries, avec quel dédain je la chassais à l'instant pour me livrer, sans distractions, aux sentiments exquis dont mon âme était pleine! Cependant au milieu de tout cela, je l'avoue, le néant de mes chimères venait 5 quelquefois la contrister tout à coup. Quand tous mes rêves se seraient tournés en réalités, ils ne m'auraient pas suffi; j'aurais imaginé, rêvé, désiré encore. trouvais en moi un vide inexplicable que rien n'aurait pu remplir, un certain élancement de cœur vers une 10 autre sorte de jouissance dont je n'avais pas d'idée, et dont pourtant je sentais le besoin. Hé bien, monsieur, cela même était jouissance, puisque j'en étais pénétré d'un sentiment très vif, et d'une tristesse attirante, que je n'aurais pas voulu ne pas avoir.

15

Bientôt de la surface de la terre j'élevais mes idées à tous les êtres de la nature, au système universel des choses, à l'être incompréhensible qui embrasse tout. Alors, l'esprit perdu dans cette immensité je ne pensais pas, je ne raisonnais pas, je ne philosophais pas, 20 je me sentais, avec une sorte de volupté, accablé du poids de cet univers, je me livrais avec ravissement à la confusion de ces grandes idées, j'aimais à me perdre en imagination dans l'espace, mon cœur resserré dans les bornes des êtres s'y trouvait trop à l'étroit; j'étouf25 fais dans l'univers; j'aurais voulu m'élancer dans l'infini. Je crois que, si j'eusse dévoilé tous les mystères de la nature, je me serais senti dans une situation moins délicieuse que cette étourdissante extase à laquelle mon esprit se livrait sans retenue, et qui, dans l'agitation 30 de mes transports, me faisait écrier quelquefois: "O grand Être! ô grand Etre!" sans pouvoir dire ni penser rien de plus.

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Ainsi s'écoulaient dans un délire continuel les journées les plus charmantes que jamais créature humaine ait passées et quand le coucher du soleil me faisait songer à la retraite, étonné de la rapidité du temps, je croyais n'avoir pas assez mis à profit ma journée, 5 je pensais en pouvoir jouir davantage encore; et, pour réparer le temps perdu, je me disais: "Je reviendrai demain."

Je revenais à petits pas, la tête un peu fatiguée, mais le cœur content; je me reposais agréablement au retour, 10 en me livrant à l'impression des objets, mais sans penser, sans imaginer, sans rien faire autre chose que sentir le calme et le bonheur de ma situation. Je trouvais mon couvert mis sur ma terrasse. Je soupais de grand appétit dans mon petit domestique; nulle 15 image de servitude et de dépendance ne troublait la bienveillance qui nous unissait tous. Mon chien luimême était mon ami, non mon esclave; nous avions toujours la même volonté, mais jamais il ne m'a obéi. Ma gaieté durant toute la soirée témoignait que j'avais 20 vécu seul tout le jour; j'étais bien différent quand j'avais vu de la compagnie : j'étais rarement content des autres, et jamais de moi. Le soir, j'étais grondeur et taciturne: cette remarque est de ma gouvernante, et, depuis qu'elle me l'a dite, je l'ai toujours trouvée juste 25 en m'observant. Enfin, après avoir fait encore quelques tours dans mon jardin, ou chanté quelque air sur mon épinette, je trouvais dans mon lit un repos de corps et d'âme cent fois plus doux que le sommeil même.

Ce sont là les jours qui ont fait le vrai bonheur de 30 ma vie, bonheur sans amertune, sans ennuis, sans re

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