der la pièce par mes Provençaux (*) et nous verrons. En effet, les Provençaux auxquels se réunit le public de Paris, indignés des obstacles apportés par les évêques à ce que la tragédie de Charles IX fût représentée, réclamèrent avec une extrême chaleur pour que les représentations de cette pièce fussent continuées. Un acteur étant venu annoncer qu'elles ne pouvaient l'être, faute d'acteurs, Talma qui était en scène en ce moment, prit la parole et dit, « qu'un seul role manquait, (celui de Catherine de Médicis) et qu'il ne doutait pas que Mme Vestris, quoique très-indisposee, ne fit tous ses efforts pour satisfaire au désir du public. » Toutefois, cette circonstance avait mis le trouble et la division dans la comedie, qui, ainsi que l'assemblée et la nation elle-même, était partagée en factions. En peu de temps, les querelles prirent un caractère beaucoup plus sérieux; il n'y eut plus moyen de s'entendre; les comédiens français publièreat un mémoire contre Talma; celui-ci se défendit dans une réponse imprimée. Bientôt les dissidens, à la tête desquels il était avec Monvel, Dugazon, Mme Vestris et quelques autres, fondèrent, sur le théâtre construit rue de Richelieu sur l'emplacement de l'ancienne salle des Variétés, une seconde scène française, qui, par la supériorité de talens et la réputation de la colonie émigrée, prit bientôt le premier rang, et força plus tard, celleci, à se réunir à elle. A cette époque, existait entre Talma et Mirabeau une liaison intime, dont une circonstance particulière avait encore resserré le lien; le grand orateur que l'opinion de l'Europeavait proclamé plus d'une fois le Démos thènes du senat français, était logé rue de la chaussée d'Antin, dans une maison appartenante au Roscius moderne. Cette maison subsiste encore; c'est là que mourut Mirabeau,le 2 avril 1791. Talma com. posa et fit placer sur la porte de la maison, le distique suivant, surmonté des deux figures de la nature et de la liberté: « L'ame de Mirabeau s'exhala dans ces lieux; Hommes libres, pleurez; tyrans, baissez les yeux > (*) On sait que Mirabeau était deputé de Provence. Un grand nombre de Provençaux étaient alors à Paris. Toutefois, deux ans s'étaient écoulés, et déjà le délire révolutionnaire avait proscrit la mémoire et renversé les autels de l'un des plus illustres fondateurs de la liberté française; l'inscription disparut, mais les deux figures sont demeurées. L'admirateur et l'ami de Mirabeau pouvait-il ne pas admirer et chérir ceux, qui, avec plus de vertus, se montraient les plus dignes héritiers de l'éloquence de ce grand homme! Vergniaud, Guadet, ces députés célébres de la Gironde, dont la brillante et redoutable éloquence avait jeté tant d'éclat sous l'assemblée législative, bien que cet éclat n'y eût pas toujours été exempt de quelque reproche, étaient devenus,dans la convention,de grands hom mes d'état qui sacrifiaient tous les jours à la patrie, leur popularité, leur repos et leur bonheur, et qui, dès-lors, se préparaient à lui sacrifier leur vie. Déjà si grands par leurs talens, la subtimite de leur dévouement les avait placés hors de tout parallèle avec tout ce qui les avait précédés. Aux noms illustres que nous venons de citer, il faut joindre ceux de Condorcet, de Gensonné, de Clavière. Talma s'honora de leur amitié, alors que cette amitié était déjà un titre à la défaveur populaire, et lorsqu'il était facile d'apercevoir que, de cette défaveur à la proscription la pente serait bientôt rapide. On n'a pas oublié de quelles violentes dénonciations Talma fut l'objet à la tribune des jacobins et de la part des feuilles dévouées à la faction de la montagne, pour la fête qu'il donna, vers la fin d'octobre 1792, au général Dumouriez partant pour la conquête de la Belgique. On sait comment cette fête, à laquelle assis→ taient les députés de la Gironde, fut troublée par la présence et les menaces de Marat, se présentant inopinément à la tête d'une députation des jacobins qui venait demander compte à Dumouriez victorieux de ce qu'un assez grand nombre d'émi→ grés étant tombés entre ses mains, il avait épargné leur vie, au mépris du décret qui ordonnait qu'ils fussent immédiatement mis à mort. Dès-lors Talma eut tout à craindre des ressentimens et de la vengeance de cette faction. Dénoncé,un an après, devant le tribunal révolutionnaire, pendant l'instruction de l'horrible procedure dirigée contre les 21 députés mis en accusation le 3 octobre 1793 il fut présenté comme leur complice pour avoir fait de sa maison le lieu de réunion des conspirateurs, et n'echappa que par une sorte de prodige à l'échafaud, surlequel ces généreusesvictimes de la sain te cause de l'humanité, de l'ordre et de la liberté, portèrent leurs têtes le 31 du même mois. Lorsque Larive eut renoncé au théâtre, Talma, qui jusqu'à cette époque avait joué les rôles tragiques et comiques, abandonna entièrement le brodequin, et se trouva, sans partage, en possession du premier emploi tragique. C'est surtout, de ce moment, que date la brillante renommée qu'il s'y est acquise. Un amour passionné pour son art; des études et des observations, tous les jours plus réfléchies; un sentiment exquis de toutes les convenances, élevèrent en peu de temps son talent à une telle hauteur, que, dans l'état où était la scène tragique, que Monvel se disposait à quitter, il en soutint seul l'honneur, au milieu de ceux qui avaient eu long-temps la prétention d'étre ses rivaux, mais à qui la juste rigueur du public avait assigné leur véritable place. Alors s'elevait cet homme extraordinaire, dont la prodigieuse gloire militaire, la merveilleuse élévation, l'ambition sans mesure, d'immenses triomphes et d'éclatans revers, suivis d'une chute épouvantable, doivent agrandir un jour le domaine de la tragédie, et dont le règne a exercé une si puissante in fluence sur les arts. Il avait vu Talma avant son départ pour l'Egypte, et l'avait traité des-lors, avec beaucoup de distinction. A son retour, il suivit ses représentations avec une plus grande assi duité; l'appela chez lui; eut avec lui de fréquens entretiens; lui exprima la vive admiration qu'il avait conçue pour son talent, et ne tarda pas à l'admettre dans son intimité. Bientôt s'établit entre ces deux hommes, destinés par la nature à représenter sur des théâtres dont la plus grande différence, aux yeux du philosophe, est dans leurs dimensions une sympathie dont le résultat fut, jusqu'aux derniers instants du règne de Napoléon, une sorte de réaction continuelle du personnage ideal sur le personnage réel, et du personnage réel sur le personna ge idéal. Ainsi, quoiqu'il ne soit point exact de dire que Napoléon ait pris des leçons de Talma, il est certain que, par l'habitude de voir et d'entendre ce grand acteur, il avait adopté plusieurs de ses manières, de ses gestes, de ses attitudes, et même des inflexions de sa voix, ainsi qu'il est souvent arrive à Talma d'étudier profondement Napoléon, et d'appliquer le résultat de ses observations à ceux de ses roles qui étaient en analogie avec son modele, et dans lesquels il avoue que la pensée de Napoléon lui est toujours présente. Atteint, en 1804, d'une effrayante maladie de nerfs, Talma, né avec une imagination mélancolique et un genre nerveux irritable au plus haut point, parais. sait ne pouvoir resister à la violence du mal, lorsqu'une crise inespérée vint ré tablir sa santé. Les effets de cette maladie, dont les médecins habiles qui le soignaient (MM. Corvisart et Alibert } observaient la nature et les progrès comme une sorte de phénomène,étaient telle. ment extraordinaires que lorsqu'il était en scène, les émotions qui s'emparaient de lui devenaient si violentes, que pour ne pas être entraîné par elles, il avait besoin de rappeler à soi sa raison; de s'examiner lui-même; et de se convaincre qu'il n'y avait rien de réel dans tout ce qui se passait autour de lui. A l'époque où le premier consul fut proclamé empereur, Talma avait cru devoir mettre, de luimême, un terme à l'ancienne familiarité qui avait régné jusques-là entr'eux et cesser de paraître au palais; mais Napoleon ne tarda point à s'apercevoir de son absence, et lui fit dire, par un chambellan, qu'il aurait désormais, tous les jours, ses entrées au palais à l'heure du déjeuner. C'était pendant ce repas, et à sa suite, que s'établissaient entr'eux ces conversations qui duraient quelquefois des heures entières, et auxquelles Napoléon paraissait attacher le plus vif intérêt. L'une d'elles eut lieu à Saint-Cloud, le matin même du jour où toutes les autorites vinrent complimenter le premier consul, sur son élévation à l'empire. Il parlait alors, depuis une heure, Talma, sur l'art de la tragédie; à tout instant on venait lui annoncer l'arrivée de nouvelles députations, et comme Tal ma, craignant d'être importun, témoi– gnait le désir de se retirer, « non, non, di. sait Napoléon, restez; » puis s'adressant au chambellan de service, « c'est bien; qu'elles attendent dans la salle du trône; avec continuons; » et il poursuivait la conversation, comme s'il se fût agi pour lui du moindre des intérêts. Ce jour-là même Bonaparte discutait, avec la supériorité ordinaire de son jugement, le jeu de Talma, dans le rôle de Néron, ( de Britannicus) et n'en paraissait pas entièremeut satisfait; je voudrais, disait-il, reconnaître davantage dans votre jeu, le combat d'une mauvaise nature, avec une bonne éducation, je désirerais aussi que vous fissiez moins de gestes; ces natures-là ne se répandent pas au dehors; elles sont plus concentrées. D'ailleurs je ne puis trop louer les formes simples et naturelles auxquelles vous avez ramené la tragédie; en effet, lors que les personnes constituées en dignité, soit qu'elles doivent leur élévation à la naissance ou aux talens, sont agitées par les passions ou livrées à des pensées graves, elles parlent sans doute de plus haut, mais leur langage ne doit être ni moins vrai, ni moins naturel; » au même instant, et toujours préoccupé de l'idée qui, dans les moindres actes, dominait toute sa vie, il s'interrompait lui-même pour dire: «Par exemple, en ce moment, nous parlons comme on parle dans la convercation; eh bien! nous faisons de l'histoire. » Toutes les remarques de Napoléon, aur le rôle de Néron et sur le jeu de Talma dans ce rôle,quoique décelant une pen. sée et des aperçus aussi ingénieux que profonds, ne nous paraissent pas, néanmoins, également justes; quand Néron, qui n'était pas moins impétueux que cruel, se livre à sa fureur, il est évident que son caractère, et par conséquent le jeu de l'acteur, ne doit pas être concentré. L'ame de ce monstre naissant, passant violemment d'un état à un autre, doit offrir le spectacle des résolutions et des sentimens les plus opposés, parce que le propre des passions est de se contredire. Au reste, c'est ce qu'a parfaitement senti Talma, qui, par son admirable jeu dans ee rôle, auquel, depuis vingt ans, il donne tous les jours des perfectionnemens nouveaux, et dont, même entre ses mains; on ne le croyait plus susceptible, justifie entièrement notre remarque. Tacite et Racine n'ont rien imaginé de plus profond et de plus tragique; et, dans la manière unique dont il a constamment conçu et exprimé les intentions de l'historien et du poète, le grand acteur marche toujours leur égal. Un événement politique d'une haute importance, a dû sa naissan. çe à l'une des conversations dont nous parlons ici; c'est la mesure qui a rendu aux Juifs un état civil en France. La tragédie d'Esther avait été représentée à la cour, dans les premiers jours de juillet 1806, et le lendemain, Talma s'était rendu, comme de coutume, au déjeuner de l'empereur, auquel assistait M. de Champagny, alors ministre de l'intérieur. La conversation s'établit sur la représenta→ tion de la veille : « C'était un pauvre roi que cet Assuérus, » dit Napoléon à Talma; et se tournant presqu'au même instant vers le ministre de l'intérieur, « qu'est co que c'est que ces Juifs? quelle est leur existence? faites-moi un rapport sur eux. Le rapport fut fait, et ce fut quinze jours environ, après cette conversation, que fut convoquée,le 26 juillet 1806, la premie re assemblée des notables d'entre les Juifs, dont le but était de fixer le sort de cette nation, et de lui donner en France une existence légale. Ce fut à la suite d'une représentation de la Mort de Pompée, où Talma jouait le rôle de César, que Na poléon lui adressa, sur la manière dont il entendait ce rôle, des réflexions critiques d'une justesse admirable, et dont un acteur aussi profondément versé que Talma dans la connaissance de son art, no pouvait manquer de tirer un grand parti. « En débitant, » disait Napoléon, «< cette longue tirade contre les rois, dans laquelle se trouve ce vers: « Pour moi qui tiens le trône égal à l'infa➡ mie : >> César ne pense pas un mot de ce qu'il ditg il ne parle ainsi, que parce qu'il a derrière lui ses Romains, auxquels il est de son intérêt de persuader qu'il a le trône en horreur; mais il est loin d'être convaincu que ce trône, qui est déja l'objet de tous ses vœux, soit une chose mépri sable. Il importe de ne pas le faire parler en homme convaincu; et c'est ce qui doit être soigneusement indiqué par l'acteur. » Ces aperçus, aussi neufs que profonds, furent parfaitement saisis par Talma qui en fit une étude particulière, et, à la première représentation du même ouvrage, qui eut lieu à Fontainebleau, il entra avec une si étonnante vérité dans les intentions de Napoléon, que ce prince, jaloux de tous les genres de supério→ rité et de triomphe, et dont il est d'ail leurs vraisemblable que l'amour-pro pre était flatté d'avoir fourni des inspira tions à Talma, manifesta son enthousias |