décidérent à étouffer, dans sa naissance, une affaire dont le scandale eût été d'autant plus grand, qu'il est probable que la justification des accusés eût entraîné l'accusation de leurs protecteurs; et que, forcé de chercher les coupables dans son palais, et peut-être sur les marches de son tróne, le monarque français se serait vu dans la cruelle nécessité d'immoler ses affections à sa justice. ROEDERER (Le comte PIERRE-LOUIS), conseiller au parlement de Metz avant la révolution, professait depuis long-temps des principes amis de la liberté, lorsqu'en avril 1789, il fut député aux états-généraux, par le tiers-état de Metz. Il ne parut néanmoins dans cette assemblée, qu'après les événemens du 14 juillet. Il y fut précédé par une grande réputation de talent et la justifia, en discutant avec éloquence et dans l'esprit le plus philoso. phique, les questions neuves et importantes soumises pour la première fois aux délibérations des représentans du peuple français. Peut-être M. Roederer dépassat-il quelques fois les justes bornes prescrites par une politique prudente et conservatrice; mais dans ces temps d'enthousiame, où il arrivait souvent à la cour d'opposer une résistance déraisonnable et opiniâtre au vœu national, quel homme et quelle sagesse pouvaient demeurer exempts d'erreurs. Le 17 novembre 1789, le parlement de Metz ayant été dénoncé à cause de sa résistance aux opérations de l'assemblée, M. Roederer fit la motion que six de ses membres fussent mandés à la barre pour y rendre compte de leur conduite. Il fit décréter bientôt après la même mesure contre la chambre des vacations du parlement de Rouen. Le 21 décembre, il parla en faveur des comédiens; s'éleva contre les préjugés dont on avait entouré leur profession, et réclama pour eux l'universalité des droits civils et politiques, qui ne devaient être suspendus, dans son systême, que pour les personnes attachées au service personnel d'un individu. En janvier 1790, il demanda que les biens des ecclésiastiques absens fussent acquis au domaine public; provoqua en même-temps l'abolition de tous les ordres religieux, et s'opposa à ce que la religion catholique fût déclarée nationale. Le 21 janvier 1790, il fut nommé membre du comité des impositions, et en devint un des rapporteurs les plus habituels. Le 24 mars 1790,il fit décréter unenouvelle organisation de l'ordre judiciaire, et se prononça fortement en faveur de l'institution du jury, qu'il voulait faire admettre, même en matière civile. Ce fut surtout dans la manière dont il présenta les systêmes de finances qu'il fit adopter, et dans l'habileté avec laquelle il sut repousser les attaques que ces rapports essuyèrent, qu'on reconnut un véritable talent. Le 7 avril 1791, il proposa tles peines sévėres contre les députés qui solliciteraient des places du ministère. Le 19 du même mois, il expliqua et s'efforça de justifier la résistance opposée par le peuple au départ du roi pour St.-Cloud. En mai, il se prononça en faveur des nègres et des hommes de couleur, et demanda pour eux l'exercice des droits de cité. Lorsque Louis XVI fut ramené de Varennes, Rocderer fit décréter la destitution du marquis de Bouillé, qui avait favorisé l'évasion de ce prince. A l'époque où le travail de la constitution fut terminé et présenté à l'assemblée, M. Roederer ne crut pas devoir se réunir à ceux de ses collègues qui jugeaient indispensable de fortifier l'autorité royale. Pendant toute la session, il avait défendu avec une énergique persévérance, cette liberté de la presse, conservatrice de toutes les autres libertés, et qu'à ce titre, les ministres de tous les temps et de tous les pays n'ont cessé de proscrire. Après la session de l'assemblée constituante, il resta à Paris, et fut élu procureur-syndic du département de la Seine, en remplacement de Pastoret appelé au corps législatif. Lors du rassemblement de séditieux qui, sous le nom de pétitionnaires, s'introduisirent en armes dans le palais des Tuileries, le 20 juin 1792, M. Roederer se presenta à l'assemblée legislative: Jui rendit compte du mouvement qui s'opérait : rappela la loi qui défendait aux petitionnaires de se présenter au nombre de plus de vingt et avec des armes ; et fit connaître, sans détour, et sans examiner jusqu'à quel point ce courage le compromet. tait lui-même, les projets que se proposaient les factieux. Le 10 août 1792, à sept heures du matin. Roederer, accompagné du directoire du département, se rendit chez le roi, demanda à parler en particulier à ce prince et à la reine, et leur déclara que le danger était au-dessus de toute expression; que la partie de la garde nationale sur laquelle on pouvait compter était peu nombreuse, et que toute la famille royale courait le risque d'être massacrée, avec ceux qui l'entouraient, si le roi ne prenait sur le champ le partide se rendre à l'assemblée nationale. On sait que la reine s'opposa d'abord vivement à cette détermination; mais sur les nouvel les instances de Roederer, elle se décida à partir. Les personnes attachées au château, ou qui s'y étaient rendues dans le dessein de défendre le roi, voulaient l'ac compagner; mais le procureur-syndic leur représenta les dangers de cette résolution; néanmoins, un certain nombre d'entre elles s'obstinèrent à suivre ce prince, et furent, pour la plupart, victimes de leur dévoûment. La conduite de Roederer dans cette circonstance, a été diversement jugée;les partis extrêmes l'ont également bla mé; les royalistes ne lui pardonnaient pas ce qu'ils appelaient un conseil perfide, tandis que les républicains ardens l'accu saient d'avoir donné l'ordre de repousser la force par la force, reproche dont les circonstances lui ont commandé depuis de se défendre, pour sauver sa vie, mais qui, certes, n'avait rien dont il eût à se justifier. Quoi qu'il en soit, nous qui ne cherchons pas des motifs criminels aux actions honorables, nous ne pouvons voir dans le conseil donné par Roederer au roi et à la reine, que l'intention évidente de les sous traire à une mort certaine. Avec le carac tère de Louis XVI, on ne pouvait espérer de le mettre à la tête des troupes; sa présence au château, pendant l'action qui allait s'engager, n'ajoutait donc aucune chance favorable à sa position; tandis que, sous la garde de l'assemblée, il était probable, ainsi que l'événement l'a prouvé, que la victoire de ses ennemis ne lui coûte rait pas immédiatement la vie. Sans péné trer dans les profondeurs de l'effrayant avenir qui se présentait alors, il est incontestable ཤ་་ཙ le premier devoir du magistrat était de mettre en sûreté les jours du monarque; c'était à celui-ci à suivre ou à rejeter le conseil qui lui était donné. Un prince guerrier se fût abandonné sans doute aux inspirations de son courage; Louis XVI, cédant à la bonté de son ame et à la faiblesse de son organisation, se frésigna à sa destinée. A la suite de la révolution du 10 août, les scellés furent mis sur les papiers de Roederer; il s'ennonça de plus en plus dans l'obscurité. Mandé quelques mois après au comité de salut public, il fut interrogé sur les événemens du 10 août; et ses ennemis lui prêtèrent alors une réponse que nous ne rapportons ici que pour en combattre l'authenticité : ils prétendirent que, pressé par Billaud-Varennes de s'expliquer sur le motif qui l'avait porté à conseiller au roide se rendre dans l'assemblée,Roederer, par une allusion atroce à une circonstance de la Passion, avait répondu : « De quoi vous plaignez-vous? Ego sum qui tradidi illum.» Echappé a ces dangers, Roederer rentra dans sa retraite et né reparut sur la scène politique qu'après le 9 thermidor. Il s'attacha alors à la rédaction du Journal de Paris, dont il était devenu un des propriétaires. Il écrivit, dans cette feuille, avec sa réserve accoutumée. II dut à cette conduite prudente de n'être point poursuivi, aprés la journée du 13 vendémiaire an 4 (5 octobre 1795), et continua d'écrire, après cette époque, dans des principes toujours amis d'une sage liberté. Le a1 août 1795, il publia un article dans lequel il soutint qu'il devait y avoir une différence essentielle dans les mesures à prendre à l'égard des individus, émigrés avant ou après le 10 août. Les derniers ne devaient, selon lui,êtreconsidérés que comme des fugitifs qu'il fallait laisser rentrer en France, et dans la possession de leurs biens; mais, quant aux autres, il pensa qu'ils devaient être décla rés étrangers, et leurs biens dévolus à la nation, pour la dédommager des frais de la guerre qu'ils avaient provoquée. Cette opinion, dictée par un profond sentiment de justice, fut partagée par tous les hom mes de bien qui savaient se défendre de tout esprit de faction; et peut-être n'est-il plus permis de douter aujourd'hui que tous les malheurs de la France n'aient eu pour cause l'erreur coupable et si long-temps prolongée,par suite de laquelle Bonaparte, premier consul et empereur, a rappelé sur le sol français cette foule de rebelles armés, qui, pendant vingt-trois ans ( de 1792 à 1814), n'ont cessé d'exciter la coalition des rois contre leur patrie et les y rappellent encore (1840), pour y retablir par eux, leur sanglante domination. Roederer a été, dans tous les temps, l'un des plus zélés défenseurs de la constitution de l'an 3, dont un petit nombre d'améliorations, telles qu'une présidence pour dix ans, aulieu d'un directoire exé eulif; un conseil des anciens à vie; le droit d'ajourner et de dissoudre les chambres accordé à la puissance exécutive,etc., eussent fait un des ouvrages les plus parfaits, et le meilleur mode de gouvernement qui fussent sortis de la main des hommes. Ræderer, fut, en brumaire an 8 (9 novembre 1799), l'un des instrumens les plus actifs de la révolution qui plaça le pouvoir dans les mains du général Bonaparte. Appelé au mois de décembre au sénat, lors de sa première formation, il refusa d'y entrer, et devint conseiller-d'état ; il s'occupa dans ce poste, d'un grand nombre de projets de lois, qu'il présenta au corps législatif; et fut principalement chargé du travail relatif à l'établissement des préfectures. Il provoqua, en 1801, l'organisation des quatre nouveaux départemens de la rive gauche du Rhin. Le 26 novembre de la même année, il présenta le traité qui fit cesser la mesintelligence entre la France et les EtatsUnis, et à la conclusion duquel il avait pris une très-grande part. Il fut ensuite chargé de la direction de l'instruction publique,qu'il céda bientôt après à Fourcroy. Il présenta, le 15 mai 1802, au corps législatif,le projet d'établissement de la légion d'honneur, dont il fut nommé commandant. En 1803, il entra au sénat, et fut un des membres de ce corps chargés de conférer avec les députés suisses réunis à Paris, sur les moyens de donner à leur pays une nouvelle constitution. Peu après, l'empereur lui conféra la sénatorerie de Caen, avec le titre de comte. En février 1806, il fut un des sénateurs chargés de complimenter le prince Joseph Bonaparte sur son avénement au trône de Naples; eut une grande part à l'organisation nou velle des autorités de ce pays, et fut luimême nommé ministre. Le 6 décembre 1807, il fut fait grand-officier de la légion-d'honneur; le 19 mai 1808, granddignitaire de l'ordre des Deux-Siciles; et en 1810, ministre-secrétaire-d'état du grand-duché de Berg. Le 26 décembre 1813, lors de l'invasion des alliés, le comte Roederer fut envoyé en qualité de commissaire extraordinaire, à Strasbourg, pour y prendre les mesures de salut public que nécessiteraient les circonstances. Resté sans emploi après le rétablissement des Bourbons, il fut, le 2 juin 1815, nommé membre de la chambre impériale des pairs, et chargé d'une mission extraordinaire à Grenoble, où il organisa une fédération semblable à celle qui existait alors en Bretagne et en Bourgogne. Le 22 juin, il se prononça à la chambre des pairs en faveur de la proposition de reconnaître Napoléon II. Depuis le second retour des Bourbons, le comte Roederer a disparu de la scène politique, et, par une odieuse usurpation d'un pouvoir jaloux d'étendre ses proscriptions sur les sciences et sur les arts comme sur les individus, il a cessé, au mois d'avril 1816, de faire partie de la seconde classe de l'institut, où il avait été admis en 1795 lors de la fondation de ce corps. Considéré comme écrivain, son style est nerveux et serré, et ses argumens enchaînes les uns aux autres avec beaucoup d'habileté, annoncent un homme capable de penser et de s'exprimer avec force. Privé, ainsi que le duc de Bassano (Maret), depuis la restauration des Bourbons, de sa part de propriété dans le journal de Paris, un arrêt de la cour royale la lui a rendue en 1818. Le comte Roederer a publié: Dialogue concernant le colportage des marchandises en général, 1783, in-8. Discours qui a remporté le prix proposé par la société royale de Metz, sur cette question: La foire établie à Metz, au mois de mai de chaque année, est-elle avantageuse? 1784.- Eloge de Pilastre des Roziers, 1787.-En quoi consiste la prospérité d'un pays, et quelles sont, en général, les causes qui peuvent y contribuer le plus efficacement? 1787, in-8. Observations sur les trois évéchés de Lorraine, relativement au reculement des barriéres des traités, 1787, in-8. — Reflexions sur le rapport fait à l'assemblée provinciale de Metz, au sujet du reculement, etc., 1788, in-8. De la députation aux états-généraux, 1788, in-8. -Des rapports à l'assemblée constituante. Lettre à Garat, au sujet de l'article Assemblée nationale, inséré dans le Journal de Paris, 1791. P. L. Ræderer à la société des amis de la constitution de Metz, 1791, in-8. Systéme général des finances de France, adopté par l'assemblée nationale constituante, exposé, mis en ordre et discuté, 1791, 3 vol. in-8. Du gouvernement, 1795, in-8.- Des fugitifs français et des émigrés, 1795, in-8. Des institutions funéraires convenables à une république qui permet tous les cultes et n'en adopte aucun, 1796, 1819, il a jugé à propos de rendre la France confidente de ses pensées politiques, dans un style qui ne le cède pas plus en clarté à celui de Bonald, qu'en métaphores à celui de Châteaubriand. Il est inutile d'ajouter que M. de la Rochefoucauld se montre en tout digne de l'école à laquelle il appartient; il suffit de le lire pour s'en convaincre. Si l'on sourit de la morgue prétentieuse d'un jeune pédant qui, sur la foi de ses maîtres, se croit sublime, parce qu'il est inintelligible, l'on s'indigne à l'aspect du mauvais citoyen dont l'ignorance présomptueuse, unie au fanatisme de la religion et de la politique, provoque le retour de ces oppositions antinationales qui, après avoir amené, en 1792, la chute du trône de Louis XVI, menacent, en 1820, celui de Louis XVIII. ROCHE-JACQUELEIN (HENRI Comte DE LA ), né au chateau de la Durbellière, le 30 août 1772, était issu d'une famille noble du Poitou. Il habitait, à l'époque de la révolution, la terre de Saint-Aubin de Beaubigné, près de Châtillon. Arrêté comme royaliste, après le 10 août 1792, il fut conduit dans les prisons de Bressuire, et délivré en 1793 par le garde-dechasse Stofflet, que les paysans avaient mis à leur tête. Dès-lors, il se réunit aux Vendéens, qui commençaient à s'organiser; devint membre du conseil militaire; et fut ensuite l'un des commandans en se→ çond de l'armée du Haut-Anjou, sous Bonchamp. Jeune, impétueux, plein de courage, il déploya tout-à-coup des qualités militaires qui fixèrent les yeux sur lui, etlui valurent plus tard le commandement en chef. Il combattit successivement les républicains à Saumur, oùil blessa le général en chef Menou d'un coup de pistolet, et à Châtillon, où il défit les généraux Westermann et Rossignol; chargea lui-même à la tète de sa cavalerie, fut blessé, et, renforcé d'un nouveau corps, se porta sur le second camp que les ré publicains avaient à Brissac,et l'enleva. En octobre, il mat cha de nouveau au secours de Lescure; reprit Châtillon; et, vivement repoussé par Westermann, il rejoiguit la grande armée sous les murs de Mortagne. Après la perte de la bataille de Cholet, il devint général en chef de l'armée royaliste; fit effectuer fort heureusement le passage de la Loire; s'empara de Conde, de Château-Gonthier, et en suite de Laval, où il battit de nouveau les républicains; échoua successivement dans l'attaque de Granville et dans celle d'Angers; essuya peu de temps après un revers bien plus fatal encore à sa cause, dans la ville du Mans, et se vit obligé de se retirer en désordre, avec perte d'une quantité prodigieuse des siens, et d'une grande partie de ses bagages et de son artillerie. Après avoir effectué sa retraite avec les débris de l'armée, il se porta sur Ancenis, où il passa la Loire sur un radeau, au moment où Westermann, qui le poursuivait à outrance à la téte d'un corps de troupes infatigables, parut derrière les siens frappés d'épouvante. La Roche-Jacquelein se jeta en toute hâte dans le haut Poitou, rassembla une petite armée, livra quelque temps après, à Gesté, un des combats les plus opiniâtres qui aient ensanglanté le sol de la Vendée, et fut entièrement défait. Quatre jours après, il fut tué par un soldat républicain qu'il poursuivait dans les champs deTrémentine. Son nom, cher à ses soldats qui l'appelaient le héros de la Vendée, fut célébré dans leurs chants guerriers, et ceux qui lui ont survécu ne parlent encore de lui qu'avec une sorte d'enthousiasme. Son frère (Louis), l'un des plus fermes soutiens du parti vendéen, a été tué dans les sables des Mattes, le 4 juin 1815. Son second frère ( AUGUSTE) fit la campagne de Russie sous les ordres de Napoléon; fut conduit prisonnier à Saratow; rentra en France en 1814, et se rendit dans les départemens de l'ouest après le 20 mars 1815. Là, il s'efforça, mais vainement, de rallumer la guerre civile, et parvint seulement à engager quelques affaires particulières, dans l'une desquelles ( le combat des Mattes ) il fut blesse à coté de son frère Louis. M. Auguste de La Roche-Jacquelein a été nommé, le 9 septembre 1815, colonel du 1er régiment de la garde royale, en garnison à Versailles. En juillet 1818, il reçut brusquement l'ordre de se rendre, avec son corps, à Fontainebleau. On prétendit, à cette époque, qu'il n'avait pas été étranger à des projets formés par les chefs de l'émigration, et qui, dit-on, avaient pour but de forcer Louis XVIII à abdiquer la couronne en faveur de son frère. Des considérations de famille et de pohtique de la plus haute importance et dont il est facile de concevoir l'objet, |