I tus plus que Demetrius 2, et n'a rien servy à Epicurus ny aux Epicuriens, pour acquerir celle tranquillité de la chair, dont ils font si grand cas, et qu'ils louënt si haultement, de fuir toute entremise de gouvernement et d'administration honorable et publique, ains fault par autres provisions et moyens entretenir la disposition et habitude du corps, qui est selon nature, estant certain que toute sorte de vie reçoit et maladie et santé. L. Toutefois le personnage dont il est question dit, qu'il falloit recorder aux hommes politiques, et de gouvernement, le contraire de ce que Platon admonestoit les jeunes gens au sortir de son eschole: : car il souloit dire, « Or sus enfans advisez I Disciple d'Aristote. Théophraste étoit d'Erèse, ville de Lesbos, fils d'un foulon. Voyez sa Vie dans Diogène Laërce. Voyez aussi T. II, des Morales, p. 18 et 106, dans les notes. Nous avons de ce philosophe le traité des Caractères des Mœurs, ouvrage qui a servi de modele à M. de la Bruyère, et « Où l'on << ne peut s'empêcher de reconnoître la première source de tout << le comique ; je dis de celui qui est épuré des pointes, des « obscénités, des équivoques, qui est pris dans la nature, qui « fait rire les sages et les vertueux ». Caractères de la Bruyère, T. I, p. 6. 2 Roi de Macédoine. Nous avons sa Vie dans Plutarque, Voyez sur ce grand prince les notes et les Observations précieuses et intéressantes de M. de Vauvilliers, T. II, des Morales, p. 239, et T. III, p. 428. Démétrius de Phalère, philosophe lui-même, et disciple de Théophraste, ne peut être ici opposé à son maître comme un exemple de vie active, quoiqu'il ait gouverné la ville d'Athènes avec beaucoup de sagesse, pendant plusieurs années, Diogène Laëree, in Demet. et T. I, des Vics, p. 37. <d'employer vostre loysir à quelque passetemps « honeste »>: mais nous recorderions volontiers à ceulx qui s'entremettent des affaires de la chose publique, d'employer leur labeur à choses honestes et necessaires, et non pas se tuer le cœur et le corps pour choses legeres, et de bien peu de consequence, comme fait une bonne partie des hommes qui, se tourmentent pour neant, se travaillans de veilles, d'allées et de venues, et de courses çà et là, pour choses qui ne sont bien souvent ny honestes, ains pour faire honte à quelqu'un par envie qu'ils luy portent, ou par opiniastreté, ou pour quelques vaines et folles opinions qu'ils poursuivent car je pense que c'est à telles gens principalement que Democritus disoit, que si le corps mettoit l'ame en procès, et l'appelloit en justice, én matiere de reparation de dommage, jamais elle ne se sauveroit qu'elle ne fust condemnée en l'amende: et je ne sçay si Theophrastus disoit bien vray, quand il affermoit par une matiere de translation', que l'ame payoit bien le louage de sa demeurance au corps: car le corps reçoit plus de mal de l'ame qui n'use pas de luy selon raison, et ne le traitte pas ainsi comme il appartient: pour ce que quand elle a ses propres et peculieres passions, et quelques entreprises on affections, elle abuse de luy, sans en rien l'espargner. LI. OR le tyran Jason 2, ne sçay pour quelle occasion, souloit dire qu'il falloit faire beaucoup de * Par métaphore. 2 Tyran de Phères. Voyez le Tome II, des Morales, p. 193e petites choses injustement, qui en vouloit faire une bien grande justement: aussi pourrions nous bien conseiller à l'homme d'estat et de gouvernement, qu'il ne feist pas cas des choses legeres, ains ne s'en feist que jouer, et se reposer en icelles, s'il veut n'avoir point le corps rompu, ne foulé, ne recreu, quand il le fauldra employer aux grandes et belles, ains qu'il soit tout refait à loisir, ne plus ne moins que les vaisseaux vieux que lon tire en terre, pour les rhabiller, à fin que de rechef, quand l'ame le voudra conduire et remettre anx affaires, il y aille plus dispos, Comme un poulain suit la jument qu'il tette. LII. Er pourtant quand les affaires le permettent il se fault refaire et revenir, sans plaindre ny espargner au corps le dormir, ny le boire, et le manger, ny le repos qui est mestoyen entre plaisir et desplaisir, n'observans pas la regle que la plus part des hommes gardent, et en la gardant perdent et affolent le corps par soudaines mutations, ne plus ne moins que le fer que lon trempe: car lors qu'il3 est bien rompu et foulé de travaux, ils le vont fondre et dissoudre en voluptez excessives et demesurées, puis tout soudain, lors qu'il est tout fondu et affoibly du plaisir de Venus, ou d'avoir bien beu, ils le vous tirent ou aux travaux du palais, ou de la court, à la solicitation de quelque affaire de 2 Fatiguent.... Affoler, causer dommage, nuire. 2 Fer rouge. Lorsque le corps. grande importance, ayant besoing de chaulde et vehemente poursuite. Le philosophe HERACLITUS estant tombé en une maladie d'hydropisie, disoit à son medecin, qu'il feist d'une grande pluye une grande secheresse: Les hommes aussi font ordinairement de grandes et lourdes faultes, quand ils baillent leurs corps à fondre, et à lascher aux voluptez, lors qu'ils sont bien las, recreus, et foulez de labeur: et puis de rechef les roidissent et retendent au contraire: car la nature ne desire, ny ne demande point ce soudain changement, ains est l'incontinence et lascheté de l'ame, qui se laisse desordonneement aller aux plaisirs et voluptez, au sortir des laborieux exercices, ainsi comme font ordinairement les gens de marine, qui soudainement après les voluptez se rejettant de rechef à la poursuitte du gaing, et à penser à leurs affaires, ne dormans pas loisir à la nature de jouir du repos, et de la quoye tranquillité, dont elle a besoing, I M. de Voltaire, discours IV, de la Modération, dit très bien: « Tout vouloir est d'un fou, l'excès est son partage. « La modération est le trésor du sage ». ains l'en jettent incontinent dehors, et la mettent sans dessus dessoubs par le moyen de ceste inegalité. LIII. MAIS les hommes advisez se gardent bien de donner des voluptez à leur corps, lors qu'il est rompu de travail, car ils n'en ont que faire: et les mesprisent, ou ne s'en souvienent du tout point, ayans tousjours l'esprit tendu à la consideration de l'honesteté et beauté de la chose qu'ils ont envie de faire 2, amortissans toute aise et toute solicitude de leur ame par autres cupiditez: comme lon trouve escript qu'Epaminondas dit en jouant, d'un fort homme de bien et vaillant, qui mourut en son lict de maladie, environ le temps de la guerre Leuctrique : « ô Hercules, comment a cest homme « eu loisir de mourir entre tant d'affaires »! autant en pourroit on dire à la verité d'un personnage qui auroit en main quelque grand affaire, en matiere de gouvernement, ou bien quelque traitté de philosophie, Comment un tel homme pourroit il avoir loisir ou de s'enyvrer, ou de gourmander, ou de paillarder? mais les sages quand ils sont hors d'affaires, ils mettent lors leurs corps en repos, les deschargent de travaux inutiles, et encore plus de voluptez superflues et non necessaires, les I Voilà donc l'utilité du travail : c'est soustraire l'homme à l'empire des passions, en l'attachant par goût à la recherche de la vérité, et à l'étude du vrai beau. D'après cette réflexion il est aisé de conclure que le précepte du travail, qui est de la plus grande conséquence pour tout le monde, l'est sur-tout pour les tempéramens ardens et pour les ames sensibles. |