des isles Echinades, et que leur navire alla branlant tant qu'elle arriva près des Paxes, que la plus part des passagers estoient vaillans, et y en avoit beaucoup qui beuvoient encore, achevans de soupper, quand tout soudain on entendit une haulte voix venant de l'une de ces isles de Paxes, qui appelloit Thamos, si fort, qu'il n'y eut celuy de la compagnie qui n'en demourast tout esbahy. Ce Thamos estoit un pilote AEgyptien, que peu de ceulx qui estoient en la nef cognoissoient par son nom: pour les deux premieres fois qu'il fut appellé, il ne respondit point, mais à la troisieme, si: et lors celuy qui l'appelloit renforceant sa voix : luy crya que quand il seroit à l'endroit des basses, qu'il denonceast que le grand Pan estoit mort. Epitherses nous contoit que tous ceulx qui ouirent le cry de ceste voix en demourerent tous esmerveillez, et entrerent là dessus en dispute, à sçavoir s'il seroit bon de faire ce qu'il commandoit, ou bien de ne s'en entremettre point, ains le laisser là, finablement qu'ils resolurent ainsi, que s'ils avoient bon vent, lors qu'ils passeroient par devant ce lieu, que Thamos passast oultre sans mot dire: mais si d'adventure il y avoit calme, et qu'il ne tirast point de vent, qu'il cryast tout hault, ce qu'il avoit entendu. Quand ils furent à l'endroit de ces basses et platys, il advint qu'il ne tiroit vent ny haleine, et estoit la mer fort plate: parquoy ce Thamos regardant de dessus la prouë vers la terre dit tout hault ce qu'il avoit entendu, que le grand Pan estoit mort. Il n'eut pas plus tost achevé de dire, que lon entendit un grand bruit, non d'un seul, mais de plusieurs ensemble qui se lamentoient et s'esbahissoient tout ensemble: et pour autant que plusieurs estoient presens, la nouvelle en fut incontinent espandue par toute la ville de Rome, tellement que l'empereur Tiberius Cæsar envoya querir ce Thamos, et adjousta tant de foy à son dire, qu'il feit enquerir qui pouvoit estre ce Pan là, et que les hommes de lettres qui estoient en bon nombre autour de luy, furent d'opinion que ce devoit estre celuy qui estoit né de Penelope et de Mercure : si y eut lors quelques uns en la compagnie qui tesmoignerent l'avoir autrefois ouy dire au vieil AEmylianus. XXVII. Demetrius adonc conta que à l'entour de l'Angleterre y a plusieurs petites isles desertes semées çà et là par la mer, que l'on appelle au païs les isles des dæmons et des demy-dieux, et que luy mesme par commandement de l'empereur alla en la plus prochaine des desertes, pour veoir et enquerir ce que c'estoit, et trouva qu'il y avoit peu d'habitans qui estoient tenus pour saincts et inviolables par les Anglois, peu après qu'il y fut arrivé il dit que l'air et le temps se troubla merveilleusement, et se feit une terrible tempeste et orage de vents et de tonnerres, laquelle estant à la fin cessée, il dit que les insulaires luy asseurerent que c'estoit quelqu'un de cès dæmons et demy-dieux qui estoit decedé: car ainsi comme une lampe, disoitil, pendant qu'elle est allumée n'a rien qui offense personne personne, mais quand elle vient à s'estaindre, elle rend une puanteur qui fasche ceulx qui sont à l'entour; aussi les grandes ames, pendant qu'elles luysent sont doulces et gracieuses sans fascher personne, mais quand elles vienent à s'estaindre et à defaillir, elles emeuvent comme lors de grands orages et de grandes tempestes, et bien souvent mesme infectent l'air de maladies contagieuses. Ils disent davantage qu'il y a l'une de ces isles là, où Saturne est detenu prisonnier par Briareus qui le tient lié de sommeil, et que l'on a inventé ce moyen là de le tenir enchainé en le faisant dormir, et qu'il y avoit autour de luy plusieurs dæmons qui estoient ses valets et ses serviteurs. Cleombrotus adonc prenant la parole: Je pourrois, dit-il, aussi bien reciter plusieurs tels exemples si je voulois, mais c'est assez que cela n'est point contraire, ny n'apporte aucune opposition à l'encontre de ce que nous avons mis en avant, combien que nous sçavons assez que les Stoïques ont la mesme opinion des dæmons que nous avons, et qu'ils tienent qu'en une si grande multitude de dieux que lon tient, il n'y en a que un seul qui soit eternel et immortel, et que tous les autres ont eu commancement par naissance, et prendront fin par mort. XXVIII. QUANT aux risées et mocqueries des Epicuriens, il ne les fault point craindre, attendu qu'ils ont bien l'audace d'en user mesme contre la providence divine, l'appellant fable et conte de vieilles mais au contraire nous maintenons que leur infinité de mondes est veritablement une, fable, de dire qu'entre les mondes innumerables il n'y en ait pas un qui soit gouverné par raison et providence divine, ains que tous ont esté faicts et se maintienent fortuitement et casuellement. XXI. Er s'il est loisible de se rire et mocquer ès discours de philosophie plustost fauldroit il se mocquer de ceulx qui tirent aux disputes des choses naturelles je ne sçay quelles images sourdes, aveugles et sans ames, qui apparoissent par infinies revolutions d'années aux survivans, et se promenent par tout, estans, ce disent ils, yssues et decoulées des corps, parties encore vivans, et partie de ceulx qui long temps y a sont ou bruslez ou pourris: c'est de ceulx-là qu'il se fauldroit mocquer, qui attirent des ombres et des bourdes sottes ès disputes de la nature : et cependant se courroucent, et trouvent estrange si lon dit qu'il y a des dæmons, non seulement qui apparoissent, mais aussi qui parlent et qui ont leur vie et leur estre de bien fort longue durée. XXX. APRÈS que ces propos eurent esté dicts, Ammonius parla, disant : il me semble que Cleombrotus a bien prononcé. Et qui empesche que nous ne recevions sa sentence, laquelle est saincte et très digne d'un philosophe? car si on la rejette, on sera contrainct de rejetter aussi et nier beaucoup de choses qui sont et qui adviennent,"mais dont on ne sçauroit rendre raison certaine : et si on la reçoit, elle ne tire après elle consequence de chose quelconque impossible, ne qui ne soit en estre. Mais quant à ce que j'ay ouy dire aux Epicu. riens seuls, à l'encontre des dæmons qu'introduit Empedocles, comme estant impossible qu'ils soient heureux et de longue vie, s'ils sont mauvais et vicieux, d'autant que le vice de sa nature est aveugle, et qui de soy mesme se precipite ordinairement ès perils et inconveniens qui detruisent la vie, cela est une sotte opposition: car par ceste raison il fauldroit qu'ils confessassent que Epicurus ait esté pire que Gorgias le sophiste, et Metrodorus que Alexis le farceur et joueur de comedies, car il vescut deux fois autant que Metrodorus, et Gorgias vescut deux fois autant, et encore un tiers davantage qu'Epicurus: mais autrement disons nous que la vertu est puissante, et le vice debile, non pour l'entretene ment, ou pour la dissolution du corps en vie, attendu que nous voyons entre les animaulx plusieurs qui sont lourds et hebetez, et d'autres qui sont fort gettifs et fort lascifs, qui vivent plus longuement que ne font ceulx qui sont plus sages et plus esveillez parquoy ils ne concluent pas bien de dire, que la nature divine jouisse de l'immortalité, d'autant qu'elle sçait eviter et repoulser les choses qui destruisent la vie, car il falloit qu'en la nature de la divinité bienheureuse, ils missent une impassibilité de n'estre subjecte à corruption ou alteration quelconque, sans avoir besoing d'aucune sollicitude de l'entretenir. XXXI. MAIS à l'adventure n'est il pas honesté de dire ne disputer contre ceulx qui ne sont pas presens et pourtant sera il meilleur que Cleom |