sans danger de sa personne ceste inspiration fanatique car la force et vertu de ceste exhalation, n'emeut pas toutes sortes de personnes, ne les mesmes personnes tout d'une sorte, ny autant à une fois qu'à une autre, ains donnent seulement l'eschauffement et le principe, comme nous avons dit au paravant, à ceulx qui sont preparez et accommodez à souffrir et à recevoir ceste alteration. LXIII. OR est ceste exhalation certainement divine et celeste, mais non pourtant indefaillible, ny incorruptible ou non subjecte à vieillir, et suffisante à durer par un temps infiny, lequel vient à bout de toutes choses qui sont au dessoubs de la lune, ains comme nous tenons, et y en a d'autres qui disent, que celles qui sont encore par dessus n'y resistent non plus, mais que se lassans par un eternel et infiny temps, elles sont soudainement immuées et renouvelées. Or quant à cela, dis-je, je suis d'advis que vous et moy ensemble rememorions, et reconsiderions souvent ces discours là, sçachant bien qu'il y a plusieurs prises et plusieurs conjectures à l'encontre, lesquelles le temps ne permet pas que nous puissions toutes deduire, et pourtant remettons les à une autrefois avec les doubtes que fait et allegue Philippus touchant Apollo et le soleil. SUR LE TRAITE S'IL EST LOISIBLE DE MANGER CHAIR. TITRE. J. J. Rousseau s'est proposé la même question dans son Emile, liv. II. Il se décide contre l'usage des viandes, et cite tout le commencement de ce premier Traité. Il faut comparer ces deux grands hommes dans leur manière de traiter le même sujet. Le jugement et le goût ne se forment que par ces sortes de comparaisons. Le lecteur d'après cela ne nous saura sans doute pas mauvais gré de placer ici le morceau traduit ou imité par le citoyen de Genêve. Ce sera une nouvelle occasion d'apprécier le mérite de la Traduction d'Amyot, dont le plus célèbre écrivain de ce siècle s'écarte très-peu, se bornant uniquement à marier son style vif et pressant, et són brillant coloris avec les graces naïves du premier et de l'inimitable traducteur de Plutarque. « Tu me demandes, disoit Plutarque, pourquoi Pythagore s'abstenoit de manger de la chair de bêtes; mais moi je te demande, au contraire, quel «courage d'homme eut le premier qui approcha de <«<< sa bouche une chair meurtrie, qui brisa de sa dent «<les os d'une bête expirante, qui fit servir devant «<lui des corps morts, des cadavres, et engloutir dans << son estomac des membres qui le moment d'aupara<< vant bêloient, mugissoient, marchoient et voyoient? << Comment sa main put-elle enfoncer un fer dans le «< cœur d'un être sensible? comment ses yeux purent «ils supporter un meurtre? comment pût-il voir saigner, écorcher, démembrer un pauvre animal <<< sans défense? comment pût-il supporter l'aspect, « des chairs pantelantes? comment leur odeur ne lui «fit-elle pas soulever le cœur? comment ne fut-il pas dégoûté, repoussé, saisi d'horreur, quand il vint à « manier l'ordure de ces blessures, à nettoyer le sang << noir et figé qui les couvroit? Les peaux rampoient sur la terre écorchées; « Les chairs au feu mugissoient embrochées ; « Voilà ce qu'il dut imaginer et sentir la première <<< fois qu'il surmonta la nature pour faire cet horrible « repas, la première fois qu'il eut faim d'une bête en « vie, qu'il voulut se nourrir d'un animal qui paissoit << encore, et qu'il dit comment il falloit égorger, dé<< pecer, cuire la brebis qui lui léchoit les mains. C'est << de ceux qui commencerent ces cruels festins, et « non de ceux qui les quittent, qu'on a lieu de s'é<<< tonner: encore ces premiers là pourroient-ils jus<<<tifier leur barbarie par des excuses qui manquent à la « nôtre, et dont le défaut nous rend cent fois plus « barbares qu'eux. « Mortels bien-aimés des dieux, nous diroient ces premiers hommes, comparez les tems; voyez com« bien vous êtes heureux, et combien nous étions « misérables! La terre nouvellement formée et l'air chargé de vapeurs, étoient encore indociles à l'ordre « des saisons; le cours incertain des rivieres dégra-` << doit leurs rives de toutes parts: des étangs, des lacs, de profonds marécages inondoient les trois' << quarts de la surface du monde, l'autre quart étoit « couvert de bois et de forêts stériles. La terre ne pro<< duisoit nuls bons fruits, nous n'avions nuls ins<< trumens de labourage, nous ignorions l'art de nous << en servir, et le temps de la moisson ne venoit ja<<< mais pour qui n'avoit rien semé. Ainsi la faim ne « nous quittoit point l'hiver, la mousse et l'écorce « des arbres étoient nos mets ordinaires. Quelques <<< racines vertes de chiendent et de bruyere étoient << pour nous un régal; et quand les hommes avoient << pu trouver des faînes, des noix et du gland, ils en << dansoient de joye autour d'un chêne ou d'un hêtre, << au son de quelque chanson rustique, appellant la « terre la nourrice et leur mère; c'étoit-là leur << unique fête, c'étoient leurs uniques jeux : tout le « reste de la vie humaine n'étoit que douleur, peine <<< et misère. « Enfin, quand la terre, dépouillée et nue, ne «< nous offroit plus rien, forcés d'outrager la nature « pour nous conserver, nous mangeâmes les com«<pagnons de notre misère plutôt que de périr avec <«< eux. Mais vous, hommes cruels, qui vous force à « verser du sang? Voyez quelle affluence de biens vous << environne! Combien de fruits vous produit la terre ! Que de richesses vous donnent les champs et les << vignes! Que d'animaux vous offrent leur lait pour << vous nourrir, et leur toison pour vous habiller! <«< Que leur demandez-vous de plus, et quelle rage « vous porte à commettre tant de meurtres, rassasiés << de biens et regorgeant de vivres ? Pourquoi mentez<< vous contre notre mère, en l'accusant de ne pou« voir vous nourrir? Pourquoy péchez-vous contre « Cérès, inventrice des saintes loix, et contre le a gracieux Bacchus, consolateur des hommes, comme << si leurs dons prodigués ne suffisoient pas à la con«servation du genre humain? Comment avez-vous le «<< cœur de mêler avec leurs doux fruits des ossemens « sur vos tables, et de manger avec le lait le sang des «<< bêtes qui vous le donnent? Les panthères et les << lions, que vous appellez bêtes féroces, suivent leur <«< instinct par force, et tuent les autres animaux pour << vivre. Mais vous, cent fois plus féroces qu'elles, << vous combattez l'instinct sans nécessité pour vous « livrer à vos cruels délices; les animaux que vous <«< mangez ne sont pas ceux qui mangent les autres; << vous ne les mangez pas ces animaux carnassiers, « vous les imitez. Vous n'avez faim que des bêtes <<< innocentes et douces, qui ne font de mal à per« sonnes, qui s'attachent à vous, qui vous servent, << et que vous dévorez pour prix de leurs services. je <<< O meurtrier contre nature! Si tu t'obstines à sou<< tenir qu'elle t'a fait pour dévorer tes semblables, des <<< êtres de chair et d'os, sensibles et vivans comme « toi, étouffe donc l'horreur qu'elle t'inspire pour «ces affreux repas; tue les animaux toi-même, «dis, de tes propres mains, sans ferremens, sans <<<coutelas; déchire-les avec tes ongles comme font <<< les lions et les ours; mords ce boeuf et le mets en <<< pieces, enfonce tes griffes dans sa peau; mange <<< cet agneau tout vif, dévore ses chairs toutes chau<< des, bois son ame avec son sang. Tu frémis! tu « n'oses sentir palpiter sous ta dent une chair vivante? « Hommes pitoyables! tu commences par tuer l'ani« mal, et puis tu le manges, comme pour le faire << mourir deux fois. Ce n'est pas assez : la chair morte «te répugne encore, tes entrailles ne peuvent la sup 1 |