Et l'on craint, s'il paroît dans ce nouvel orage, Qu'il n'entraîne après lui tout un peuple volage.
Panope, c'est assez : la reine, qui t'entend, Ne négligera point cet avis important.
SCÈNE V.
PHEDRE, OENONE.
MADAME, je cessois de vous presser de vivre, Déjà même au tombeau je songeois à vous suivre Pour vous en détourner je n'avois plus de voix : Mais ce nouveau malheur vous prescrit d'autres lois. Votre fortune change et prend une autre face :
Le roi n'est plus, madame; il faut prendre sa place. Sa mort vous laisse un fils à qui vous vous devez ; Esclave s'il vous perd, et roi si vous vivez.
Sur qui, dans son malheur, voulez-vous qu'il s'appuie? Ses larmes n'auront plus de main qui les essuie ; Et ses cris innocents, portés jusques aux dieux, Iront contre sa mère irriter ses aïeux.
Vivez; vous n'avez plus de reproche à vous faire : Votre flamme devient une flamme ordinaire; Thésée en expirant vient de rompre les nœuds Qui faisoient tout le crime et l'horreur de vos feux. Hippolyte pour vous devient moins redoutable; Et vous pouvez le voir sans vous rendre coupable. Peut-être, convaincu de votre aversion,
Il va donner un chef à la sédition :
Roi de ces bords heureux, Trézène est son partage; Mais il sait que les lois donnent à votre fils Les superbes remparts que Minerve a bâtis. Vous avez l'un et l'autre une juste ennemie : Unissez-vous tous deux pour combattre Aricie. PHEDRE.
Hé bien! à tes conseils je me laisse entraîner. Vivons, si vers la vie on peut me ramener, Et si l'amour d'un fils, en ce moment funeste, De mes foibles esprits peut ranimer le reste.
HIPPOLYTE demande à me voir en ce lieu ? Hippolyte me cherche, et veut me dire adieu? Ismène, dis-tu vrai? n'es-tu point abusée?
C'est le premier effet de la mort de Thésée. Préparez-vous, madame, à voir de tous côtés Voler vers vous les cœurs par Thésée écartés. Aricie, à la fin, de son sort est maîtresse, Et bientôt à ses pieds verra toute la Grèce.
Ce n'est donc point, Ismène, un bruit mal affermi? Je cesse d'être esclave, et n'ai plus d'ennemi?
Non, madame, les dieux ne vous sont plus contraires; Et Thésée a rejoint les månes de vos frères.
Dit-on quelle aventure a terminé ses jours? ISMÈNE.
On sème de sa mort d'incroyables discours.
On dit que, ravisseur d'une amante nouvelle, Les flots ont englouti cet époux infidèle. On dit même, et ce bruit est par-tout répandu, Qu'avec Pirithoüs aux enfers descendu
Il a vu le Cocyte et les rivages sombres, Et s'est montré vivant aux infernales ombres; Mais qu'il n'a pu sortir de ce triste séjour, Et repasser les bords qu'on passe sans retour.
Croirai-je qu'un mortel, avant sa dernière heure, Peut pénétrer des morts la profonde demeure? Quel charme l'attiroit sur ces bords redoutés? IS MÈNE.
Thésée est mort, madame, et vous seule en doutez : Athènes en gémit; Trézène en est instruite, Et déjà pour son roi reconnoît Hippolyte. Phèdre, dans ce palais, tremblante pour son fils, De ses amis troublés demande les avis.
Et tu crois que, pour moi plus humain que son père, Hippolyte rendra ma chaîne plus légère;
Qu'il plaindra mes malheurs?
L'insensible Hippolyte est-il connu de toi?
Sur quel frivole espoir penses-tu qu'il me plaigne, Et respecte en moi seule un sexe qu'il dédaigne? Tu vois depuis quel temps il évite nos pas,
Et cherche tous les lieux où nous ne sommes pas.
Je sais de ses froideurs tout ce que l'on récite : Mais j'ai vu près de vous ce superbe Hippolyte; Et même, en le voyant, le bruit de sa fierté A redoublé pour lui ma curiosité.
Sa présence à ce bruit n'a point paru répondre : Dès vos premiers regards je l'ai vu se confondre; Ses yeux, qui vainement vouloient vous éviter, Déjà pleins de langueur ne pouvoient vous quitter: Le nom d'amant peut-être offense son courage; Mais il en a les yeux, s'il n'en a le langage.
Que mon coeur, chère Ismène, écoute avidement Un discours qui peut-être a peu de fondement! O toi qui me connois, te sembloit-il croyable Que le triste jouet d'un sort impitoyable,
Un cœur toujours nourri d'amertume et de pleurs, Dût connoître l'amour et ses folles douleurs? Reste du sang d'un roi noble fils de la Terre, Je suis seule échappée aux fureurs de la guerre : J'ai perdu dans la fleur de leur jeune saison Six frères; quel espoir d'une illustre maison ! Le fer moissonna tout, et la terre humectée But à regret le sang des neveux d'Erechthée. Tu sais depuis leur mort quelle sévère loi Défend à tous les Grecs de soupirer pour moi : On craint que de la sœur les flammes téméraires Ne raniment un jour la cendre de ses frères. Mais tu sais bien aussi de quel ceil dédaigneux Je regardois ce soin d'un vainqueur soupçonneux.
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