Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes transports, La fureur de mes feux, l'horreur de mes remords, Et d'un refus cruel l'insupportable injure,
N'étoit qu'un foible essai du tourment que j'endure. Ils s'aiment! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux Comment se sont-ils vus? depuis quand? dans quels lieu Tu le savois: pourquoi me laissois-tu séduire ? De leur furtive ardeur ne pouvois-tu m'instruire? Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher ? Dans le fond des forêts alloient-ils se cacher? Hélas! ils se voyoient avec pleine licence;
Le ciel de leurs soupirs approuvoit l'innocence; Ils suivoient sans remords leur penchant amoureux; Tous les jours se levoient clairs et sereins pour eux : Et moi, triste rebut de la nature entière,
Je me cachois au jour, je fuyois la lumière; La mort est le seul dieu que j'osois implorer. J'attendois le moment où j'allois expirer : Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée, Encor, dans mon malheur de trop près observée, Je n'osois dans mes pleurs me noyer à loisir, Je goûtois en tremblant ce funeste plaisir ; Et, sous un front serein déguisant mes alarmes; Il falloit bien souvent me priver de mes larmes.
Quel fruit recevront-ils de leurs vaines amours? Ils ne se verront plus.
Au moment que je parle, ah, mortelle pensée ! Ils bravent la fureur d'une amante insensée : Malgré ce même exil qui va les écarter,
Ils font mille serments de ne se point quitter. Non, je ne puis souffrir un bonheur qui m'outrage, OEnone; prends pitié de ma jalouse rage.
Il faut perdre Aricie; il faut de mon époux Contre un sang odieux réveiller le courroux; Qu'il ne se borne pas à des peines légères ; Le crime de la sœur passe celui des frères. Dans mes jaloux transports je le veux implorer.
Que fais-je ? où ma raison se va-t-elle égarer? Moi jalouse! et Thésée est celui que j'implore! Mon époux est vivant; et moi je brûle encore! x? Pour qui? quel est le cœur où prétendent mes vœux Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux. Mes crimes désormais ont comblé la mesure : Je respire à la fois l'inceste et l'imposture; Mes homicides mains, promptes à me venger, Dans le sang innocent brûlent de se plonger. Misérable! et je vis! et je soutiens la vue De ce sacré soleil dont je suis descendue! J'ai pour aîeul le père et le maître des dieux; Le ciel, tout l'univers est plein de mes aïeux : Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale. Mais que dis-je! mon père y tient l'urne fatale; Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains ; Minos juge aux enfers tous les pâles humains. Ah! combien frémira son ombre épouvantée Lorsqu'il verra sa fille, à ses yeux présentée,
Contrainte d'avouer tant de forfaits divers,
Et des crimes peut-être inconnus aux enfers! Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible? Je crois voir de ta main tomber l'urne terrible ; Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau, Toi-même de ton sang devenir le bourreau. Pardonne. Un dieu cruel a perdu ta famille : Reconnois sa vengeance aux fureurs de ta fille. Hélas! du crime affreux dont la honte me suit Jamais mon triste coeur n'a recueilli le fruit : Jusqu'au dernier soupir de malheurs poursuivie, Je rends dans les tourments une pénible vie.
Hé! repoussez, madame, une injuste terreur; Regardez d'un autre œil une excusable erreur. Vous aimez. On ne peut vaincre sa destinée : Par un charme fatal vous fûtes entraînée. Est-ce donc un prodige inoui parmi nous ? L'amour n'a-t-il encor triomphé que de vous? La foiblesse aux humains n'est que trop naturelle : Mortelle, subissez le sort d'une mortelle.
Vous vous plaignez d'un joug imposé dès long-temps: Les dieux mêmes, les dieux de l'olympe habitants, Qui d'un bruit si terrible épouvantent les crimes, Ont brûlé quelquefois de feux illégitimes. PHEDRE.
Qu'entends-je! Quels conseils ose-t-on me donner! Ainsi donc jusqu'au bout tu veux m'empoisonner, Malheureuse! Voilà comme tu m'as perdue. Au jour que je fuyois c'est toi qui m'as rendue ;
Tes prières m'ont fait oublier mon devoir : J'évitois Hippolyte ; et tu me l'as fait voir.
De quoi te chargeois-tu ? Pourquoi ta bouche impie A-t-elle, en l'accusant, osé noircir sa vie?
Il en mourra peut-être, et d'un père insensé Le sacrilège vœu peut-être est exaucé.
Je ne t'écoute plus. Va-t'en, monstre execrable; Va, laisse-moi le soin de mon sort déplorable. Puisse le juste ciel dignement te payer! Et puisse ton supplice à jamais effrayer Tous ceux qui, comme toi, par de lâches adresses, Des princes malheureux nourrissent les foiblesses, Les poussent au penchant où leur cœur est enclin, Et leur osent du crime aplanir le chemin ! Détestables flatteurs, présent le plus funeste Que puisse faire aux rois la colère céleste!
Ah dieux! pour la servir j'ai tout fait, tout quitté; Et j'en reçois ce prix ! Je l'ai bien mérité.
HIPPOLYTE, ARICIE, ISMÈNE.
vous pouvez vous taire en ce péril extréme? Vous laissez dans l'erreur un père qui vous aime? Cruel! si, de mes pleurs méprisant le pouvoir, Vous consentez sans peine à ne me plus revoir, Partez; séparez-vous de la triste Aricie : Mais du moins en partant assurez votre vie; Défendez votre honneur d'un reproche honteux; Et forcez votre père à révoquer ses vœux; Il en est temps encor. Pourquoi, par quel caprice Laissez-vous le champ libre à votre accusatrice? Éclaircissez Thésée.
HIPPOLYTE.
Hé! que n'ai-je point dit!
Ai-je dû mettre au jour l'opprobre de son lit? Devois-je, en lui faisant un récit trop sincère, D'une indigne rougeur couvrir le front d'un père? Vous seule avez percé ce mystère odicux.
Mon cœur pour s'épancher n'a que vous et les dieux: Je n'ai pu vous cacher, jugez si je vous aime,
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