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humeur contre Hollis, dont les premières réponses dans la chambre avaient été, selon lui, trop ouvertes et trop fières. Mais, pour un homme avisé et sensé dans sa pusillanimité, comme Whitelocke, le jour de la défection n'était pas encore venu; il fut fidèle à Hollis, fit valoir habilement leur défense commune, et après un long examen, malgré les efforts du parti indépendant pour laisser du moins l'affaire en suspens, la chambre décida qu'elle ne donnerait point suite à l'accusation 1.

De ce jour, Whitelocke se retira de la lutte; Hollis s'y engagea avec ardeur. Il devint l'adversaire déclaré, personnel, de Cromwell, d'Ireton, de tous les chefs indépendants, les attaquant dans la chambre, les dénonçant au peuple, appliqué sans relâche à prédire leurs crimes, à dévoiler leurs piéges, provoquant contre eux tantôt des conférences secrètes, tantôt des résolutions publiques, et peu soucieux d'envenimer leur haine, pourvu que la sienne, même impuissante, eût un libre cours.

Aussi, quand les Indépendants triomphèrent, quand Cromwell domina dans le parlement comme dans l'armée, Hollis fut-il l'un des premiers proscrits. En août 1647, exclu de la chambre des communes, accusé de haute trahison, il se réfugia en France,

1 Whitelocke, p. 148-6.

à Sainte-Mère-Églide, en Normandie, près de la côte, comme pour regarder encore, à travers l'Océan, ce qui se passait dans sa patrie, et ne pouvant détacher son âme de la cause qu'il ne pouvait plus défendre. Un moment, le champ de bataille se rouvrit pour lui; les Presbytériens ressaisirent l'ascendant dans la chambre des communes. Hollis repassa aussitôt en Angleterre, et reprit avec la même passion sa lutte contre les Indépendants et Cromwell, ses efforts pour la paix avec le roi. « Un jour, le commissaire général Ireton parlait des membres exclus M. Hollis, qui regarda ses paroles comme injurieuses pour eux, lui dit à l'oreille, en passant auprès de lui dans la chambre, qu'il en avait menti, et que lui, Hollis, le lui ferait bien voir s'il voulait le suivre. Il sortit incontinent, et l'autre le suivit; quelques membres qui avaient remarqué leur air irrité, les voyant quitter précipitamment la chambre, manifestèrent leurs appréhensions: sur quoi on envoya le sergent d'armes leur donner ordre de revenir. Il les trouva prêts à prendre un bateau pour passer la rivière, leur dit le sujet de sa commission et les fit revenir. La chambre leur ordonna de s'abstenir mutuellement de toutes paroles et actions offensantes, et de se comporter à l'avenir comme membres d'un même corps, ce qu'ils promirent de faire 1».

1 Mémoires de Ludlow, t. I. p. 285-288, dans ma Collection.

La pacification était aussi fausse que la victoire de Hollis dans un duel avec Ireton eût été vaine. Ces attaques ardentes des chefs presbytériens n'étaient qu'une lueur passagère, le dernier bond d'un parti expirant. La force avait passé aux Indépendants; Cromwell sentait sa confiance monter au niveau de son ambition: <«< Puisque Hollis et Stapleton ont eu tant d'autorité, disait-il, je ne vois pas pourquoi je ne gouvernerais pas aussi bien qu'eux le royaume 1.» Quatre mois après l'apparent retour de fortune des Presbytériens, ils étaient chassés en masse de la chambre des communes; le roi était mis en jugement, et Hollis avait repris, à Sainte-Mère-Églide, sur l'autre rive de la Manche, la vie amère et oisive de l'exil.

Ce fut là, pendant son premier séjour, qu'il écrivit ses Mémoires. Il y avait joint cette dédicace :

« Au couple incomparable, M. Olivier Saint-John, procureur-général de Sa Majesté, et M. Olivier Cromwell, lieutenant général du parlement, les deux grands machinateurs de la ruine des trois royaumes. »

<< Messieurs,

« Comme vous avez plus contribué que personne à me fournir la matière de ce discours, et à me donner

1 Mémoires du major Huntington, p. 326, dans ma Collection.

le loisir de l'écrire, en me bannissant loin de mon pays et de mes affaires, il est bien juste que je vous l'adresse particulièrement. Vous y trouverez la représentation des traits les plus saillants de votre caractère, de ces crimes visibles et notoires qui vous rendent remarquables, et feront aisément reconnaître votre portrait. Cependant il ne ressemblera pas aux originaux aussi parfaitement que j'aurais pu le désirer. Celui-là seul peut vous peindre trait pour trait qui a coopéré avec vous, de l'œil et de la main, dans vos secrets conciliabules, qui vous a vus dans vos réunions, dans vos sabbats, où, déposant la forme empruntée dont vous vous êtes servis pour duper le monde, vous repreniez votre forme naturelle, où vous vous confiiez l'un à l'autre, et à vos diaboliques associés, le fond de vos projets, la politique qui dirigeait vos actions, les détours de vos intrigues, tous vos mensonges, tromperies, infamies et cruautés, ainsi que l'intention déterminée où vous étiez de ruiner les trois royaumes. Je ne vous dirai pas autre chose que ce que Pierre disait à Simon-le-Magicien : Repentez-vous donc de votre perversité, et priez Dieu, s'il est possible, que les pensées de votre cœur soient pardonnées. Que si la grâce vous manque à ce point que vous ne puissiez prier pour vous-mêmes, comme il se peut en effet que cela soit, j'ai la charité de prier pour vous, mais non pas une foi suffisante pour croire en vous. C'est avec ces sentiments

que je suis, Dieu merci, hors de votre pouvoir et tout aussi peu à votre service. >>

Hollis voulait sans doute publier son ouvrage, et maudire du moins les ennemis qu'il ne pouvait plus combattre. Mais le procès du roi, l'établissement de la république, l'empire de Cromwell, le cours si rapide d'événements si prodigieux, emportèrent bien loin de sa propre pensée cet inutile dessein. Il ne continua même pas ses Mémoires, et ils n'ont paru qu'en 1699, près de vingt ans après sa mort.

C'est un dithyrambe historique contre les Indépendants, écrit comme si les Presbytériens n'avaient jamais eu d'autres adversaires, comme s'ils n'avaient jamais été eux-mêmes vainqueurs et oppresseurs. Nonseulement Hollis ne raconte que la lutte de son parti contre les républicains, les fanatiques et l'armée; mais il semble que ce soit là tout ce dont il se souvienne, et que la conduite des Presbytériens, dans la première époque de la guerre civile, soit tout-à-fait bannie de sa pensée. Cette grande lacune une fois constatée, le récit de Hollis est vrai, d'une frappante vérité morale; et malgré la profondeur de ses ressentiments, malgré la fougue de son langage, malgré ces flots d'invectives qu'il répand sans jamais parvenir à exhaler toute la colère qui l'oppresse, il n'a point calomnié ses ennemis. C'est le tableau le plus fidèle qui ait été tracé des inso

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