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ne lui fit jamais oublier son devoir envers son pays, et envers son roi qui sauvait son pays. Il demeura ferme et actif dans sa foi, mais sans tomber sous le joug d'aucune idée fixe et exclusive, conservant on bon sens patriotique au sein de sa piété fervente, et supportant avec une fermeté triste les colères de ses amis et les ingratitudes de son roi. Vie laborieuse et douloureuse, pleine d'effort et de mécompte, mais digne de servir d'exemple aux hommes de bien et de sens, dans les temps de discordes civiles et de révolutions!

Me de Mornay était à la fois ressemblante et supérieure à mistriss Hutchinson. Ressemblante par les affections et les vertus domestiques, et par la piété passionnée; supérieure, non par les dons de l'esprit, mais par la rectitude du jugement et la gravité morale. Mistriss Hutchinson avait une imagination vive et forte, une culture intellectuelle étendue et variée, un goût secret pour les aventures éclatantes, soit dans la vie publique, soit dans la vie privée, et une préoccupation d'elle-même qui lui donnait quelques torts, ou du moins quelques airs tantôt de pédanterie et tantôt de vanité. Moins instruite, moins brillante, moins riche de savoir et d'esprit, Me de Mornay avait le sens plus droit et le cœur plus simple: pas la moindre teinte romanesque dans ses sentiments et dans ses désirs; pas la moindre complaisance vaniteuse quand elle parle

soit d'elle-même, soit de ce qui la touche; loin de rien amplifier, de rien étaler, elle montre toujours moins qu'elle ne pourrait, elle dit moins qu'elle ne sent; les événements les plus considérables, quand elle les raconte, les sentiments les plus puissants, quand elle les exprime, se présentent sous une forme contenue, exempte de tout agrandissement, de tout ornement factice ou prémédité. C'est la vérité pure, réduite à son expression la plus simple, et racontée en passant, dans la mesure de la stricte nécessité, pour l'information ou l'édification du fils à qui elle adresse son récit, sans mélange d'aucun autre dessein, sans aucun mouvement ni retour personnel.

Entre les preuves que je pourrais apporter de cette différence profonde des deux caractères et des deux ouvrages, j'en choisirai une qui sera frappante. J'ai reproduit le récit qu'a fait mistriss Hutchinson de ses premières relations avec le colonel et des préliminaires de leur mariage. Voici comment Me de Mornay raconte le même fait et décrit la même situation. Elle avait vingt-six ans; veuve depuis sept ans de M. de Feuquières, qu'elle avait épousé à dix-sept ans et avec qui elle n'avait vécu que dix-huit mois. Elle était à Sedan, où Duplessis-Mornay se trouvait aussi : « M. Duplessis continuait à me venir voir, et y avait près de huit mois qu'il ne se passait jour que nous ne fussions deux ou trois heures ensemble; même, depuis son voyage de

Clèves, il m'avait écrit. Je projetais lors de faire un voyage en France pour mes affaires, et le voulais avancer, afin de nous ôter cette familiarité, pour la crainte que j'avais que quelques-uns en fissent mal leur profit. Comme j'étais sur ce pensement, il me déclara l'envie qu'il avait de m'épouser, ce que je reçus à honneur, et toutefois lui déclarai qu'il ne pouvait entendre ma volonté que premièrement je ne susse par lettres la volonté de Mue de Buhy, sa mère, et de M. de Buhy, son frère, pour être assurée par eux qu'ils eussent notre mariage pour agréable... Après lui avoir répondu comme je m'estimerais heureuse si Dieu permettait que la chose se trouvât agréable à ceux desquels je dépendais, je lui demandai tems, avant que de lui déclarer ma résolution, d'en écrire à Mile de la Borde, ma mère, et à mes parents, afin d'en savoir leur volonté. Ainsi je leur en écrivis à tous comme de chose que j'affectionnais, et en laquelle toutefois je ne passerais outre sans leur permission.... Dieu nous montra tellement qu'il avait ordonné notre mariage pour mon grand bien, que nous eûmes un consentement réciproque de tous ceux à qui nous le demandâmes.... Durant ces allées et venues, il se passait du temps; et plusieurs à Sedan, voyant que M. Duplessis continuait toujours à me venir voir, commençaient à croire qu'il pensait à m'épouser; quelques-uns aussi lui parlaient d'autres mariages, de filles riches et héritières, et eussent bien désiré le pouvoir détourner

de moi pour le faire penser ailleurs, voyant, outre les grâces qu'il avait reçues de Dieu et avec lesquelles il était né, qu'il était pour parvenir plus haut. Mais il ne voulut, depuis qu'il m'eût ouvert la bouche, jamais prêter l'oreille à autre proposition qu'on lui fit. L'on lui offrit même, pour sentir s'il pensait à moi, au cas qu'il me voulût épouser, de lui faire voir tout mon bien dans la vérité... Mais il fit réponse que, quand il voudrait en être éclairé, il ne s'en adresserait qu'à moi-même, et que le bien était la dernière chose à quoi on devait penser en mariage; la principale était les mœurs de ceux avec qui l'on avait à passer sa vie, et surtout la crainte de Dieu et la bonne réputation'. »

Celle qui parlait si simplement, et avec cette réserve austère, du plus vif intérêt de son âme et du plus grand événement de sa vie, était une femme aussi passionnée que grave, qui suivit son mari dans tous ses périls, prit part à tous ses travaux, vécut pour lui seul, reçut de lui seul toutes ses joies, et mourut de douleur de la mort de leur fils.

Je ne pousserai pas plus loin cette comparaison. En voici, je pense, le trait essentiel. M. et Mme Du PlessisMornay n'étaient pas seulement vertueux et pieux ik étaient modestes; vertu inconnue des révolutionnaies

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1 Mémoires et Correspondance de Duvlessis-Mornay, t. I, ŋe de

C'est là, entre eux et le colonel Hutchinson et sa femme, la vraie et capitale différence. Les révolutions sont faites par des présomptueux et font des présomptueux. Les révolutionnaires, même les meilleurs, ont en euxmêmes, dans ce qu'ils pensent et dans ce qu'ils veulent, une confiance vaniteuse qui les pousse, tête baissée, dans les voies où ils se sont une fois engagés, et ferme leurs yeux à tout ce qui pourrait les y arrêter ou les en détourner. La modestie est une grande lumière; elle laisse l'esprit toujours ouvert et le cœur toujours docile à la vérité. M. et Mme Du Plessis-Mornay, chrétiens et étrangers à tout sentiment comme à tout acte révolutionnaire, eurent cette précieuse sauvegarde du bon sens et de la vertu. Elle manqua au colonel Hutchinson et à sa femme, révolutionnaires quoique chrétiens. De là leurs aveuglements, leurs entraînements et leurs malheurs, dignes de sympathie, mais naturels, et je le dis avec tristesse, mérités. Le monde et, s'il est permis de pressentir la justice suprême, Dieu luimême est sévère pour les fautes des gens de bien. Ils n'ont nul droit de s'en plaindre; c'est leur honneur.

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