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D'autres faits viennent à l'appui de ce doute : l'évêque Burnet, tout en rendant hommage à la discrétion et à la fidélité que Henri Clarendon avait déployées durant l'exil, en servant de secrétaire à son père, dit : « Qu'on << ne pouvait faire grand fond sur son jugement, car il <«< était gouverné par des idées fausses et des préjugés << vulgaires, et le roi Charles II ne parlait jamais de lui << qu'avec beaucoup de moquerie et de dédain. » L'éditeur anglais des Mémoires de lord Henri Clarendon s'est donné beaucoup de peine pour combattre ce témoignage, et il se peut que l'animosité de Burnet contre les adversaires de la révolution de 1688 n'y ait pas été étrangère. Rien n'indique cependant que les talents de lord Henri Clarendon aient mérité une grande estime, ni que, sans le nom qu'il portait, il eût obtenu de son temps quelque importance, et de l'histoire un

souvenir.

En 1667, au moment de la disgrâce de son père, il se trouvait membre de la chambre des communes, et il entra dans les rangs de l'opposition sans perdre la charge qu'il occupait auprès de la reine. Son nom revient assez souvent dans les débats parlementaires de cette époque; et si ses discours n'ont rien de remarquable, ils prouvent du moins qu'il n'était ni dépourvu de sens, ni vendu à la cour, mérite rare alors, surtout pour un homme dévoué aux Stuart par tradition et courtisan par état. Devenu comte de Clarendon en 1674,

à la mort de son père banni, il continua, dans la chambre des pairs, à voter avec l'opposition, assez modéré cependant pour que les voies de la réconciliation avec la cour lui demeurassent toujours ouvertes. C'était un de ces hommes honnêtes, mais timides et peu clairvoyants, qui s'affligent des maux de leur pays, mais redoutent encore plus les remèdes, et qui voudraient qu'on pût corriger le pouvoir sans jamais l'offenser ni lui ravir aucun des droits dont ils conviennent qu'il abuse. Telle avait été, au fond, avec bien plus d'élévation et d'énergie d'esprit, la politique du grand-chancelier Clarendon; on la retrouve dans son fils, sauf le talent, et aussi sans les bonnes raisons que, quinze ans auparavant, les excès de la révolution avaient pu lui donner. Vers la fin du règne de Charles II, c'était les vices du gouvernement qu'il fallait craindre et combattre; Henri Clarendon ne les approuvait pas; mais quand l'Angleterre manifesta le ferme dessein de ne plus subir leur empire, quand la lutte du pays et de la cour prit un caractère sérieux et définitif, il se rangea du parti de la cour.

En 1680, la faveur du duc d'York le fit entrer an Conseil privé, et il fut de ceux qui repoussèrent le fameux bill d'exclusion. Aussi fut-il l'un des conseillers dont, le 7 janvier 1681, la chambre des communes demanda l'éloignement.

En 1685, l'avénement de Jacques II redoubla les

craintes de tous les amis de la religion et des libertés de leur pays. Lord Henri Clarendon, qui partageait ces craintes, n'en fut pas moins l'objet des faveurs du nouveau roi, qui voulut le récompenser d'avoir combattu le bill d'exclusion. Il accepta la récompense et fut d'abord nommé garde du sceau privé, ensuite lordlieutenant d'Irlande. Là, il apprit à connaître toute la portée des desseins qui menaçaient l'Angleterre; sincèrement attaché à l'Église anglicane, et respectant, sinon la liberté, du moins les lois de sa patrie, il vit le gouvernement de Jacques II diriger tous ses efforts vers l'établissement du catholicisme et du pouvoir absolu, qui tour à tour se servaient l'un à l'autre de but et de moyen. 11 se conduisit aussi honnêtement que le permettait sa situation, écrivant avec franchise au roi ou à ses ministres, leur représentant le danger comme l'illégalité de leurs actes, et s'efforçant d'en atténuer le vice ou d'en prévenir l'effet, mais sans qu'il lui vînt en pensée de se refuser formellement à y concourir. Quand la servilité a pris possession d'un homme, le bon sens, l'honnêteté même lui deviennent inutiles; il voit le péril et il y marche, le mal et il s'y prête; il a perdu la libre disposition de sa conduite, et sert les projets qu'il déteste, et se perd avec les insensés qu'il avertit. Si Jacques II, mécontent des continuelles objections et de la mollesse du lord-lieutenant d'Irlande, ne l'eût rappelé pour lui substituer lord Tyrconnel,

papiste déclaré, lord Henri Clarendon n'eût jamais songé à se retirer de lui-même, et la révolution de 1688 l'eût trouvé au service d'un pouvoir qu'il ne cessait de déplorer.

Rentré en Angleterre au commencement de 1687, lord Clarendon reprit, dans la vie privée, un peu de cette indépendance qu'il ne pouvait devoir à son caractère ; à partir de cette époque, il a lui-même raconté sa vie; il n'y a rien à ajouter aux détails que contient son Journal, tant sur sa propre conduite que sur les événements généraux de son temps. Aux approches et durant le cours de la révolution de 1688, il fut ce qu'il avait toujours été, grand seigneur honnête et protestant sincère, convaincu qu'il fallait sauver l'Église anglicane et redresser le gouvernement du roi, disposé même à accepter, pour y réussir, le secours du prince d'Orange et de l'insurrection, mais s'effrayant, s'arrêtant et s'indignant, dès que, pour accomplir l'œuvre, on portait la cognée à la racine de l'arbre malfaisant qui, tant de fois attaqué, n'avait jamais cessé de croître. On peut sourire de la crédulité avec laquelle il alla au-devant du prince d'Orange, se flattant qu'il se bornerait à servir de médiateur entre Jacques II et son peuple; mais la révolution de 1688 une fois accomplie, on doit honorer la fidélité que lord Clarendon porta au roi détrôné ; fidélité d'autant plus méritoire qu'elle l'éloigna de la cour où il se plaisait, et qu'après avoir quitté la cour, il

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ne prit aucune part sérieuse aux complots des Jacobites, convaincu à la fois qu'il lui était interdit de servir un nouveau maître, et de compromettre le repos de son pays pour rappeler un pouvoir qu'il avait trouvé mauvais sans cesser de le croire légitime. Il mourut le 22 octobre 1709, dans sa terre de Cornbury.

En 1763, les papiers que lord Henri Clarendon avait laissés en mourant furent publiés à Londres, en 2 vol. in-4°. Sa correspondance avec Jacques II et les ministres, pendant son gouvernement d'Irlande, forme la plus grande partie de cette publication; elle est bonne à lire, mais d'un intérêt tout à fait spécial, et borné aux affaires d'Irlande. Le Journal de lord Henri Clarendon est au contraire l'un des documents les plus piquants et les plus vrais qui nous soient parvenus sur la révolution de 1688; nulle part on ne suit mieux pas à pas, à travers les détails familiers et quotidiens de la vie d'un grand seigneur, la marche rapide de ce mémorable événement conduit d'abord par quelques hommes comme une conspiration et une intrigue, mais soutenu et accompli par l'assentiment déclaré du peuple anglais, et qui a fondé en Angleterre le grand gouvernement auquel elle doit, depuis plus de cent cinquante ans, son repos comme ses/libertés, son bien-être comme son éclat.

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