ces sortes d'affaires y auraient un très-notable désavantage, les princes du sang se trouvant dégradés de leur possession, tous les autres ambassadeurs étant obligés d'avouer qu'ils n'avaient jusqu'ici fait que des fautes, et le roi plus que tous en ce que lesdits ambassadeurs ne manqueraient pas, dès l'instant même, d'entrer dans la même prétention, et qu'on ne pourrait non plus leur refuser qu'à lui de ne point faire d'entrée, après l'exemple et les nouveautés qu'il aurait fait établir. Qu'outre que la suppression de cette cérémonie ferait perdre ici pour jamais une coutume qui est de quelque lustre dans les cours des princes, comme . l'exemple en serait d'abord infailliblement suivi dans toutes les autres cours, il se trouverait enfin que cet expédient n'aurait abouti qu'à faire au roi un des plus grands préjudices qu'il puisse recevoir, qui serait de lui avoir ôté les moyens de prendre et de continuer la possession de la préséance que le roi d'Espagne lui a cédée; et j'ajoutai au seigneur Hollis qu'il devait inférer de là si son expédient était praticable, et si Sa Majesté y pouvait jamais donner les mains. << La conclusion fut que ledit Hollis me dit qu'il désirait fort que je pusse lui faire voir un seul exemple où un ambassadeur d'Angleterre eût cédé aux princes du sang, parce qu'il serait ravi d'avoir sujet de condamner sa prétention. Je lui envoie ce matin MM. de Berlize et de Bonneuil, qui lui montreront, dans un livre im primé il y a longtemps', qu'au mariage de Louis XII avec Marie, sœur du roi d'Angleterre, en 1514, tous les princes du sang furent assis au-dessus des ducs de Norfolk et de Suffolk, ambassadeurs d'Angleterre. Je ne sais pas si, après la parole qu'il m'en a donnée, il se contentera dudit exemple, quoiqu'il soit si formel et d'un temps même où les princes du sang royal ne tenaient pas en France un si grand rang qu'ils ont fait depuis. Outre cela, les ambassadeurs d'Angleterre vont toujours voir les princes du sang les pre miers. >> Les affaires ne furent pas plus faciles à traiter que les questions d'étiquette. « Je ne saurais croire, écrivait M. de Lionne au comte de Comenge, que le chancelier ' puisse tenir capable le mylord Hollis d'une négociation importante, et bien moins de celle de faire et conclure un traité entre deux couronnes. Dès qu'il aura eu son audience publique, on s'apercevra bientôt, par le train qu'il prendra, de quelle sorte d'ordres il est chargé ".>> La capacité ne manquait point à Hollis; mais nul n'était moins disposé que lui à faire de l'Angleterre un 1 Cérémonial français, recueilli par Godefroy, p. 745. 2 Lord Clarendon. 3 Dépêche du 26 décembre 1663: Archives des affaires étrangères. satellite de la France, et il témoignait avec une roideur hautaine son aversion pour une politique qu'il ne savait comment éluder. En avril 1664, il remit à M. de Lionne un projet de traité à peu près semblable à celui dont la discussion avait commencé en Angleterre. « Je reconnais bien déjà, au procéder du mylord Hollis, écrivait au comte de Comenge Louis XIV lui-même, que la négociation ne marchera point ici plus vite qu'elle ne faisait à Londres'. » Elle languit en effet, toujours sans résultat. Hollis avait à Paris une maison splendide, mais tenue et servie selon les usages anglais, ne se prêtant nullement aux mœurs et aux modes de la France". Aussi les relations politiques des deux cours ne tardèrent pas à lui échapper. La sœur de Charles II, Henriette, duchesse d'Orléans, devint la véritable ambassadrice de son frère auprès de Louis XIV, et de Louis XIV auprès de son frère. Le 22 novembre 1664, M. de Lionne écrivait au comte de Comenge : « Le roi n'a pas oublié de se louer extrêmement à Madame de tous les accueils et bons traitements que vous recevez du roi de la GrandeBretagne et de tous ses ministres, et Sa Majesté lui a fait connaître qu'il serait bien aise qu'elle rendit ce témoignage au roi son frère. Elle a cru qu'il valait mieux faire passer la chose par ce canal que par le 1 Lettre du 25 juin 1664; Archives des affaires étrangères. Biographia Britannica, t. IV, p. 2650. mylord Hollis, lequel d'ailleurs nous ne voyons qu'une fois en un an 1. >>> Hollis n'était guère plus compté à White-Hall qu'au Louvre, et pendant que Louis XIV l'écoutait à peine, son propre roi saisissait les moindres prétextes de se moquer de lui. Le 1er décembre 1664, M. de Comenge écrivait de Londres à M. de Lionne : « Vous serez sans doute autant surpris que je l'ai été quand vous saurez qu'un homme de grande qualité, d'âge et d'emploi assez considérable, a mandé au roi d'Angleterre que la reine, notre maîtresse, était accouchée d'une fille more. Ne vous étonnez pas si je ne vous l'ai pas encore nommé; je ne puis m'y résoudre, et il vous y faut préparer, de peur que vous ne tombiez évanoui au nom de mylord Hollis. Je ne suis point l'auteur de cette nouvelle. C'est toute la cour d'Angleterre et le roi même qui l'a débitée. En cas qu'elle soit véritable, ce qui ne tombe pas sous le sens, il faut de nécessité que le peu de connaissance que ce mylord a de la langue française lui ait fait commettre cette grossière..... je ne sais quoi, et que la première nouvelle qu'il a eue ait été que la reine était accouchée d'une fille morte, et que, sur cette équivoque, il ait établi cette nouvelle, ou que son secrétaire ne l'ait pas bien 1 Archives des affaires étrangères. connue et ait mal expliqué ses intentions: car, sans malice, l'on ne peut pas croire qu'un homme sage ait fait une faute si grossière, qui passe pourtant pour sienne' dans les discours même du roi son maître; et quoiqu'il le blâme autant qu'il se doit, je ne sais s'il n'eût pas été meilleur de cacher une faute de méprise en son ministre que de la publier. 1» Hollis s'aperçut bientôt qu'il était partout sans influence, et sa correspondance avec la cour de Londres devint aussi triste que l'étaient ses rapports avec celle de Paris. « Je vous remercie de votre lettre du 27 juin, écrivait-il en confidence, le 19 juillet 1664, à sir William Morrice, secrétaire d'État et son ami : je vous en remercie, quel qu'en soit le contenu, car il ne peut être que ce que permet la disposition du temps, ce qui n'est pas toujours ce que nous désirerions, vous et moi. L'horizon est bien sombre en tous pays, ce me semble, pour les pauvres protestants, et nulle part plus sombre qu'ici. Les malheureux habitants de Privas, qu'on chasse de leurs maisons et de leurs terres, n'ont pas la permission d'emporter leurs meubles; on les leur enlève quand ils s'en vont. Le pays de Gex, près de Genève, avait été cédé au roi de France par le duc de Savoie, dans un échange, sous la condition de la liberté de sa 1 Archives des affaires étrangères de France. |