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que c'était une sauve-garde ou quelque lettre du roi d'Angleterre1.>

Le succès du crime multiplia les tentatives: elles furent spécialement dirigées contre Ludlow, le plus fameux et le plus hautain des réfugiés. Les avertissements lui arrivaient de toutes parts: « Vous êtes, lui écrivait-on, plus haï et redouté qu'aucun de vos compagnons; c'est contre vous surtout qu'on cherche des assassins; vous feriez bien de vous retirer dans quelque endroit où vous fussiez inconnu2. » Il s'y refusa absolument. Les magistrats de Vevey veillaient sur lui avec le plus grand soin; le peuple l'aimait; il était officiellement autorisé, en cas de péril, à sonner la cloche d'alarme. Il demeura à Vevey, se gardant bien dans sa maison, et ne changeant rien d'ailleurs à ses habitudes. ·

Cependant la guerre éclata, d'abord entre l'Angleterre et la Hollande, peu après entre la France et l'Angleterre. Un grand homme et un grand roi, Jean de Witt à la Haye, Louis XIV à Paris, formèrent le dessein de ranimer en Angleterre le parti républicain, toujours remuant et frémissant. Les révélations à ce sujet sont authentiques et personnelles. «D'une part, dit Louis XIV lui-même dans ses Mémoires3, je ménageais les restes de la faction

Archives du département des affaires étrangères.

2 Mémoires de Ludlow, t. III, p. 342.

* Année 1666, OEuvres de Louis XIV, t II, p. 203.

de Cromwell, pour exciter par leur crédit quelque nouveau trouble dans Londres; et d'autre côté, j'entretenais des intelligences avec les catholiques irlandais, lesquels, étant toujours fort mécontents de leur condition, semblaient aussi toujours prêts à faire un effort pour la rendre plus supportable.

«Sur ces différentes pensées, j'écoutai les propositions qui me furent faites par Sidney, gentilhomme anglais, lequel me promettait de faire éclater dans peu quelque soulèvement en lui faisant fournir cent mille écus; mais je trouvai la somme un peu forte pour l'exposer ainsi sur la foi d'un fugitif, à moins de voir quelque disposition aux choses qu'il me faisait attendre: c'est pourquoi je lui offris de donner seulement vingt mille écus comptant, avec promesse d'envoyer après, aux soulevés, tout le secours qui leur serait nécessaire, aussitôt qu'ils paraîtraient en état de s'en pouvoir servir avec succès. >>

Vers la même époque, les 11 et 14 mars 1666, le comte d'Estrades, ambassadeur de France en Hollande, écrivait à Louis XIV:

«M. de Witt m'a prié de donner un passeport, pour aller en France, aux sieurs Sidney et Ludlow. Ce sont deux personnes de grand mérite. Ils sont à Francfort, et ont désiré aller trouver Votre Majesté pour des affaires importantes. M. de Witt ne m'en a pas dit davantage1.»

1 Archives du département des affaires étrangères.

Et à M. de Lionne :

« M. de Sidney, personne de qualité et de grand mérite, et qui a été employé dans de grandes ambassades par le feu Protecteur, m'ayant témoigné que, dans cette conjoncture que le roi a déclaré la guerre contre l'Angleterre, il souhaitait se mettre sous la protection de Sa Majesté, et aller lui-même en France offrir ses services, si l'occasion s'en présente, j'ai estimé à propos de lui envoyer mon passeport pour ne retarder pas l'occasion qui pourrait se présenter au service de Sa Majesté dans cette conjoncture, me remettant, monsieur, à ce que vous jugerez plus à propos, après avoir entretenu M. Sidney.»

Le passeport envoyé à Ludlow était conçu en ces termes:

« Nous requérons tous les gouverneurs, commandants, capitaines, lieutenants, maires, échevins, juges et autres officiers, tant de terre que de mer, à qui il appartiendra, de laisser sûrement et librement passer, chacun par les lieux de ses pouvoirs et juridictions, le sieur Edmond Ludlow et quatre valets, sans aucun trouble ou empêchement, et de lui donner plutôt toute faveur et assistance; et ils nous feront un singulier plaisir. << Fait à La Haye, le 2o jour de mars 1666.

D'ESTRADES'.D

1 Mémoires de Ludlow, t. III, p. 388.

En même temps, Sidney, Say, le colonel Bisco, plusieurs autres encore, régicides proscrits ou républicains volontairement exilés, écrivaient à Ludlow, les uns de Francfort, les autres d'Amsterdam, pour le conjurer de venir en Hollande, et de se joindre à eux dans leur patriotique entreprise, dont le succès était infaillible puisqu'ils étaient soutenus par de si puissants souverains.

Ludlow refusa d'abord. La passion l'éclairait aussi bien que la sagesse. Il méprisait la Hollande depuis qu'elle avait livré à Charles II trois des juges de Charles Ier; il détestait Louis XIV, et ne pouvait croire, de sa part, à aucun appui sincère en faveur des républicains. Il instruisit ses amis de toutes ses méfiances; ils insistèrent. Il hésita encore. L'événement donna bientôt raison à son refus. Des négociations s'ouvrirent d'abord entre la France et l'Angleterre, ensuite entre l'Angleterre et la Hollande; et en 1667, la paix de Bréda mit un terme aux espérances des républicains anglais dans l'appui des souverains étrangers.

Louis XIV, même pendant la guerre, avait toujours ménagé Charles II, dont il connaissait bien les secrets penchants, et ne s'était jamais proposé de soutenir sérieusement Sidney et ses amis. Le comte d'Estrades fut blâmé, au moment même, de son empressement à faire ce que Jean de Witt lui avait demandé : « On tâchera, lui écrivait M. de Lionne, le 2 avril 1666, de retirer ici les passeports que vous avez donnés aux

sieurs Sidney et Ludlow. En tout cas, ce n'est pas la même chose qu'ils aient été expédiés par un ministre croyant mieux servir son maître, ou qu'ils les eussent eus de Sa Majesté même1. »

A partir de cette époque, Ludlow vécut à Vevey, obscur mais non pas tranquille, oublié presque de tous, excepté des assassins, laborieusement appliqué à défendre sa vie contre le poignard de ses ennemis, et sa conduite contre les reproches, et il faut le dire, contre les anathèmes de la plupart de ses concitoyens. Situation d'autant plus douloureuse qu'il n'y découvrait, dans sa pensée, aucune raison légitime, et que tous les mauvais succès de son parti, tous les malheurs de sa propre destinée n'étaient, à ses yeux, qu'une absurde et inexplicable iniquité.

La composition de ses Mémoires fut sans doute pour lui, à cette époque, une consolation et une espérance. Il prit plaisir à retracer le passé, temps de sa jeunesse, de sa force, de son triomphe, et à se promettre la justice de l'avenir. Pourtant il y a lieu de croire qu'il finit par se décourager aussi de ce travail et de lui-même, car ses Mémoires s'arrêtent en 1668, et pendant vingt ans.passés encore à Vevey, il ne prit plus la peine de continuer le récit de sa monotone existence".

1 Archives du département des affaires étrangères.

Les Mémoires de Ludlow furent publiés la première fois à Vevey,

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