Enfin, en 1784 et 1787, lorsque les officiers en retraite tentèrent de former entre eux, pour conserver quelque lien dans leur dispersion, pour se soutenir mutuellement, eux et leurs familles, l'association des Cincinnatus, dès que Washington vit naître, aux seuls mots d'association militaire, d'ordre militaire, la méfiance et le mécontentement de son ombrageuse patrie, malgré son goût personnel pour l'institution, non-seulement il en fit modifier les statuts, mais il en déclina publiquement la présidence et cessa d'y prendre part1. Par une coïncidence singulière, vers le même temps, le roi de Suède, Gustave III, interdit aux officiers suédois qui avaient servi dans l'armée française pendant la guerre d'Amérique, de porter l'ordre des Cincinnatus, « institution de tendance républicaine, et peu convenable à son gouvernement 2. » <<< Si nous ne pouvons convaincre le peuple que ses craintes sont mal fondées, disait à ce sujet Washington, il faut lui céder dans une certaine mesure 3. » Il ne cédait pas, même au peuple, quand l'intérêt public en eût souffert; mais il avait un tact trop juste de l'importance relative des choses pour apporter la même roideur quand des intérêts ou des sentiments privés, même légitimes, étaient seuls en question. Quand le but de la guerre fut atteint, quand il se 1 Washington au général Knox; Writings, t. IX, p. 26;- A Arthur Saint-Clair; Ibid., p. 127. 2 Washington's Writings, t. IX, p. 56. 3 Washington à Jonathan Trumbull; Writings, t. IX, p. 35. sépara de ses compagnons d'armes, à côté de son chagrin u affectueux, et sous la joie qu'il ressentait à se reposer re dans la victoire, un autre sentiment se laisse entrevor. P bien qu'obscur dans son âme et ignoré peut-être de da lui-même le regret de la vie militaire, de cette noble fa profession à laquelle il avait donné avec tant d'honneur ses plus belles années. Elle plaisait beaucoup à Wastington, génie régulier, plus ferme que fécond, juste du bienveillant envers les hommes, mais grave, un pe froid, né pour le commandement plutôt que pour lutte, aimant dans l'action l'ordre, la discipline, la hie rarchie, et préférant l'emploi simple et puissant de la force, dans une bonne cause, aux complications subtiles qui et aux débats passionnés de la politique. ret e « La scène est enfin à son terme.... La veille de Nosp au soir, les portes de cette maison ont vu entrer un homme plus vieux de neuf ans que je n'étais quand les ai quittées.... Je commence à me sentir à l'aise et libreo de tout souci public. J'ai quelque peine à secouer me coutume, en m'éveillant chaque matin, de méditer su les soins du jour suivant; et ce n'est pas sans surpris qu'après avoir roulé bien des choses dans mon esprit,j découvre que je ne suis plus un homme public, et n'a plus rien à démêler avec les affaires publiques.... J'es père passer le reste de mes jours à cultiver l'affection des gens de bien, et à pratiquer les vertus domestiques..... La vie d'un agriculteur est de toutes la plus délicieuse a Elle est honorable; elle est amusante, et, avec des soins udicieux, elle est profitable.... Je ne suis pas seulement etiré des emplois publics, je rentre en moi-même. Je uis promener mes regards dans la solitude, et marcher ans les sentiers de la vie privée avec une vraie satisaction de cœur. Ne portant envie à personne, je suis écidé à être content de tous, et dans cette disposition, › descendrai doucement le fleuve de la vie, jusqu'à ce ue je m'endorme avec mes pères'. >> Washington, en tenant ce langage, n'exprimait pas culement une impression momentanée, la jouissance u repos après une longue fatigue, de la liberté après a dur assujettissement. Cette existence active et tranille de grand propriétaire, ces travaux pleins d'intéet et exempts de souci, ce pouvoir domestique peu sputé et peu responsable, cette belle harmonie entre homme intelligent et la nature féconde, cette hospitaté grave et simple, les nobles plaisirs de la considéraon et de la bienfaisance obtenus sans effort, c'était ien vraiment là son goût, la préférence constante de on âme. Il eût probablement choisi cette vie. Il en jouisit avec tout ce qu'y peuvent ajouter la reconnaissance ublique et la gloire, douces malgré leurs importunités. Toujours sérieux et d'un esprit pratique, il améliorait culture de ses terres, embellissait son habitation, s'ocupait des intérêts locaux de la Virginie, traçait le plan 1 Washington au gouverneur Clinton; Writings, t. IX, p. 1:— Lafayette; Ibid., p. 17;- Au général Knox; Ibid., p. 21;— A lexandre Spotswood; Ibid., p. 323. L પર de cette grande navigation intérieure, de l'est à l'oues qui devait un jour livrer aux États-Unis la moitié da nouveau monde, fondait des écoles, mettait ses papiers en ordre, entretenait une correspondance étendue, e prenait grand plaisir à recevoir sous son toit, à sa table ses fidèles amis. « C'est mon souhait, écrivait-il à l d'eux peu de jours après son retour à Mount-Verna que l'affection et l'estime mutuelles, qui ont été semie de nos mains et ont grandi dans le tumulte de la r publique, ne viennent pas se flétrir et mourir dans de calme de la retraite. Nous devrions bien plutôt charme nos heures du soir en cultivant ces douces plantes et eder les développant dans toute leur beauté, avant qu'elle vo soient transplantées sous un plus heureux climat'. Vers la fin de 1784, M. de la Fayette vint à Mour jou Vernon. Washington lui portait une affection vraime paternelle, la plus tendre peut-être dont sa vie offre cer trace. A part les services rendus, l'estime personnel qu l'attrait du caractère, à part même le dévouemes co enthousiaste que lui témoignait M. de la Fayette, je jeune gentilhomme élégant, chevaleresque, qui s'éta échappé de la cour de Versailles pour apporter a planteurs d'Amérique son épée et sa fortune, plais singulièrement au grave général américain. C'était pour pas lui comme un hommage rendu, par la noblesse de l'a cien monde, à sa cause et à sa personne, comme un entre lui et cette société française si brillante, si spret 1 Washington à Jonathan Trumbull; Writings, t. IX, p. 5. tuelle, si célébrée. Dans sa grandeur modeste, il en était flatté en même temps que touché, et sa pensée s'arrêtait avec une émotion pleine de complaisance sur ce jeune ami, unique dans sa vie, et qui avait tout quitté pour servir près de lui. « Au moment de notre séparation, lui écrivait-il, sur a route, pendant le voyage, et depuis lors à toute heure, j'ai ressenti tout ce que le cours des ans, une étroite intimité et votre mérite m'ont inspiré d'affection, le considération, d'attachement pour vous. Pendant [ue nos voitures s'éloignaient l'une de l'autre, je me lemandais souvent si c'était pour la dernière fois que je ous avais vu; et malgré mon désir de dire non, mes raintes répondaient oui. Je rappelais à mon esprit les ours de ma jeunesse, et je trouvais que depuis longemps ils avaient fui pour ne plus revenir, que je descendais à présent la colline que j'ai gravie pendant cin[uante-deux ans; car je sais que, malgré la force de ma constitution, je suis d'une famille où l'on vit peu, et que e dois m'attendre à reposer bientôt dans le tombeau de nes pères. Ces pensées obscurcissaient pour moi l'horizon, et répandaient un nuage sur l'avenir, par conséquent sur l'espérance de vous revoir. Mais je ne veux pas me plaindre. J'ai eu mon jour1, »> Malgré ce triste pressentiment et son goût sincère pour le repos, sa pensée se reportait sans cesse sur l'état et les affaires de son pays. On ne se sépare point du Washington à la Fayette; Writings, t. IX, p. 77. |