364 RAPPORTS DE WASHINGTON AVEC LES ÉMIGRÉS. << venue à Philadelphie, comme le ministre de Francey « réside, cela pourrait donner lieu à des embarras, sans << amener aucun bien. En attendant, et pour éviter les « dangers de la paresse et de la dissipation, je propose « de le faire admettre à l'université de Cambridge'. » Le Congrès ayant déclaré, peu de mois après, qu'il était « convenable de témoigner au fils de M. de la Fayette << la reconnaissance du pays pour les services de son « père, » Washington put céder au sentiment de son cœur et recueillir sous son toit l'enfant proscrit de son ami. Les susceptibilités tracassières de la légation française et le perfide empressement que mettait le parti démocratique à les exciter et à les exploiter, rendaient une telle prudence nécessaire. Le Président avait pour principe de n'avoir aucun rapport personnel avec les émigrés : « Les recevoir publiquement dans mes salons,» écrivait-il à Hamilton, « ce serait en éloigner le ministre de France.... Les « recevoir en particulier, ce serait attirer encore bien plus l'attention.... Je voudrais pouvoir éviter l'impo« litesse, sans amener des embarras politiques.... En « qualité de dignitaire de la république, c'est mon devoir « de ne point offenser les puissances amies en faisant a trop bon accueil à leurs proscrits. » Et au duc de Liancourt, pour s'excuser de ne l'avoir point reçu: << Malgré l'extrême circonspection de ma conduite à « l'égard des gentilshommes de votre pays que leur 1 Wash. Writ., t. XI, p. 65; 71. 2 18 mars 1796.-Wash. Writ., t. XI, p. 118. 3 6 mai 1794.-Wash. Writ., t. X, p. 411. émigration a rendus suspects au gouvernement français, la prétendue faveur avec laquelle ils sont accueillis est alléguée par le directoire comme un sujet de plainte contre les États-Unis.... Personne mieux que vous, monsieur, ne peut apprécier la justice de cette accusation; et, quant au reproche opposé, vous avez l'esprit trop pénétrant et trop équitable pour ne pas comprendre les motifs qui m'obligent à l'affronter et à suivre une conduite contraire à votre attente et à mon souhait 1. >> Il y avait, de la part du directoire, parti pris de trouver mauvais tous les actes d'un gouvernement qui avait osé traiter avec l'Angleterre. Tant qu'il avait paru possible de faire échouer la négociation, le mécontentement de la république française ne s'était manifesté que par les plaintes et les machinations de ses agents. Mais, dès le milieu de l'année 1796, des symptômes graves semblèrent indiquer en elle le dessein de donner aux États-Unis des marques plus éclatantes de son courroux. De tous côtés, le Président recevait l'avis que les corsaires français s'attaquaient aux navires américains; que l'ordre d'intercepter les communications entre les États-Unis et la Grande-Bretagne allait être donné aux croiseurs de la marine nationale; que des gens suspects parcouraient le territoire occidental, observant les postes militaires et excitant le peuple à se séparer de l'Union et à se réunir à la Louisiane, dont la France méditait l'acquisition ; les bruits les plus menaçants 1 8 août 1796.-Wash. Writ., t. XI, p. 161. 2 Juin 1796. 2 3 Gibbs. Mem. of the Adm. of Wash, and. J. Ad., t. I, p. 350-356. circulaient à Paris; dans ses dépêches, le colonel Monroe' se montrait fort alarmé des dispositions du directoire. Washington n'était pas cependant sérieusement inquiet « Il sortira probablement de tout ceci plus de a fumée que de feu.... L'affaire pourrait bien n'être « qu'une gasconnade. » Mais les guerres les plus terri bles commencent souvent par des gasconnades. Avant de se résigner à une rupture, même passagère, avec les plus anciens alliés de son pays, Washington crut devoir solennellement tenter un appel au bon sens et à l'équité des révolutionnaires impérieux, imprévoyants et impuissants auxquels la France abandonnait alors le scia de sa destinée. Il ne pouvait compter, dans cette nego ciation difficile, sur le zèle et la vigueur du colonel Monroe, qui, en plusieurs occasions, avait fait preuve d'une complaisance exagérée pour les Jacobins et d'un attachement indiscipliné aux principes du parti democratique. A son arrivée à Paris, il s'était prêté aux ovations les plus déplacées et les plus compromettantes; plus tard, il avait négligé de donner, sur le traité avec l'Angleterre, les éclaircissements qui auraient pu attėnuer le mauvais effet qu'il avait produit en France; entin il était en correspondance confidentielle avec les principaux meneurs de l'opposition, approuvant leur poli tique, blâmant celle qu'il avait à défendre, et si connu en France pour son hostilité contre la Grande-Bretagne | que, dans ses plaintes contre le prétendu mauvais vouloir 1 Ministre des Etats-Unis à Paris. * 25 juillet 1796.-Wash. Writ., t. XI, p. 155. 1 1 es États-Unis, le directoire séparait le ministre de son ouvernement. Le colonel Monroe fut rappelé1 et remlacé par le général Charles Cotesworth Pinckney, perɔnnage considérable dans le midi de l'Union, et fidèlenent attaché à la politique fédéraliste, sans avoir encore té engagé d'une façon compromettante dans les luttes les partis. Il n'était pas encore arrivé en France lorsque M. Adet communiqua au secrétaire d'État, Timothée Pickering3 un arrêté du directoire, du 2 juillet 1796, déclarant de bonne prise les marchandises ennemies saisies à bord des navires américains. Au nom du traité de 1778 entre la France et les États-Unis, Timothée Pickering protesta contre cette mesure. M. Adet lui répondit par des récriminations contre le traité avec l'Angleterre, et 1 22 août 1796.- Le colonel Monroe n'apprit son rappel que dans le mois de novembre 1796. 2 Ministre de France. 3 Timothée Pickering était secrétaire d'État depuis le 10 dé cembre 1796. Le reproche le plus grave que le Directoire adressât aux États-Unis était d'avoir abandonné, par leur traité de 1794 avec l'Angleterre, le principe que le pavillon couvre la marchandise, principe que le traité de 1778 avait établi comme règle, dans les rapports entre la France et les États-Unis. Le gouvernement américain n'avait jamais cru devoir ni pouvoir le maintenir dans ses rapports avec la Grande-Bretagne, et il l'avait toujours regardé, non comme un axiome du droit des gens universel, mais comme une règle purement conventionnelle ne pouvant avoir d'effet qu'entre les contractants. Dès le 22 juillet 1793, Jefferson exposait en ces termes à M. Genêt la doctrine du gouvernement américain sur cette question tant débattue : « L'on ne < peut, je crois, mettre en doute qu'en vertu des règles géné« rales du droit des gens, les marchandises ennemies trouvées à << bord d'un navire ami sont de bonne prise.... Il est vrai que, << pour éviter les inconvénients et les abus qu'entraînent les << visites en mer..., divers peuples ont introduit, dans des traités 968 LE MINISTRE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE dans l'espoir d'agir sur les esprits en faveur du par démocratique, au moment où les élections pour la Prés dence approchaient, il rendit sa réponse publique, de clara ses fonctions suspendues, et insinua que le cour roux de la France s'adressait, non au peuple américain, < spéciaux réglant leurs rapports entre eux, un nouveau pre «cipe, à savoir que le pavillon ennemi rend la marchandise en <nemie, et que le pavillon ami rend la marchandise amie, pris cipe beaucoup moins vexatoire pour le commerce, et q < quant au gain et à la perte, agit de la même façon sur les par <ties contractantes. Mais il ne peut être établi que par des tra« tés particuliers, modifiant, dans certains cas déterminés, e ◄ règles générales du droit des gens et obligatoires pour ceux« seuls qui les ont conclus. L'Angleterre s'est presque tou attachée à maintenir la règle commune dans toute sa ngu < elle n'a, je crois, qu'une seule fois admis le principe que « pavillon donne sa nationalité à la marchandise; c'est dans vot < traité avec la France. Nous avons adopté cette déroganca < droit des gens dans nos traités avec la France, les Provinces « Unies et la Russie; dans nos rapports avec ces puissances. << notre pavillon couvre la marchandise ennemie, et nos mar <chandises sont de bonne prise sur les vaisseaux ennemis. « Avec l'Angleterre, l'Espagne, le Portugal et l'Autriche nous << n'avons point de traités : donc rien ne nous autorise à eas << opposer à ce qu'ils se conforment à la règle générale du droit << des gens que les marchandises ennemies saisies à bord du << navire ami sont de bonne prise. Et je ne vois pas trop en qua « la France peut avoir à en souffrir; elle perd, il est vrai, ses << marchandises lorsqu'elles sont saisies sur nos vaisseaux par « l'Angleterre, l'Espagne et le Portugal; mais elle gagne nas ◄ marchandises lorsqu'elle les trouve à bord des vaisseur << anglais, espagnols, portugais, autrichiens, hollandais et prus << siens ; et je crois pouvoir affirmer sans danger que nousars < plus de marchandises à bord des vaisseaux de ces six rations « que la France ne peut en avoir à bord des nôtres. En conse « quence, le principe du traité de 1778 travaille au proft de ia « France et à notre détriment. De toute façon nous sommes << d'ailleurs les perdants; car, lorsque le principe agit en nor « faveur, c'est pour sauver les marchandises de nos amis, lors « qu'il agit contre nous, c'est pour nous faire perdre nos propres < marchandises; et tant que la règle ne sera que partiellemen |