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x rire. Je voyais bien, d'après vos continuels panégyriques des joies domestiques aux États-Unis, que vous x aviez mordu à l'amorce et que vous finiriez par être * attrapé, aussi vrai que vous étiez philosophe et soldat. Votre jour est donc enfin venu. De tout mon cœur * j'en suis ravi. Vous voilà bien servi pour être venu, « tout au travers de l'Océan, combattre en faveur des * rebelles américains; vous êtes victime de cette ter«rible contagion, le bonheur domestique, dont un « homme ne peut être atteint qu'une fois en sa vie, « comme de la peste, car il dure généralement autant « que lui. Il en est du moins ainsi chez nous: mais je ne << sais comment vous arrangez tout cela en France. « Quoi qu'il en soit, le pire souhait que mon cœur « trouve à former contre vous et Mme de Chastellux, c'est « que ni l'un ni l'autre vous ne guérissiez jamais de - « ce mal-là, pendant toute votre vie terrestre 1. »

Washington pouvait parler du bonheur domestique. A vingt-sept ans, au sortir de l'armée où il venait de se couvrir de gloire, en combattant contre la France, il avait trouvé une compagne selon son cœur, et elle lui survécut. Comment il la connut et l'aima, c'est ce que. racontent les traditions conservées dans sa famille.

<<« C'était dans le courant de 1758. Le colonel Wash«ington, à cheval, en petite tenue militaire, et suivi « d'un seul domestique, à l'air martial comme son = « maître, venait de traverser le gué de William sur le « Pamunkey, lorsqu'il fut arrêté par un de ces gentils« hommes virginiens, tels qu'en produisait l'ancien

1 Wash. Writ., t. IX, p. 346.

« régime, la bonté et l'hospitalité en personne. En vaid « le colonel prétendit continuer sa route, allégua <<< des affaires pressées à Williamsburg, des nouvell << importantes à communiquer au gouverneur. Il étai << sur les domaines de M. Chamberlayne, et celui-cir << voulut rien entendre. Le nom de Washington eta <<<< cher à tous les Virginiens; c'était un de ces person« nages qu'on ne laissait point passer devant sa porte « lorsqu'on avait la bonne fortune de l'y rencontrer « Il se défendit d'abord bravement; mais Chamberlay « parla de le présenter à une charmante jeune veuve << qu'il abritait alors sous son toit, et le colonel se rendit « Il consentait, disait-il, à rester à dîner, mais rien de << plus; aussitôt après, il voulait sauter en selle et profiter << de la nuit pour atteindre Williamsburg, avant le re « veil de son Excellence. Il donne ses ordres à son fidek << serviteur Bishop, que Braddock mourant lui avait le« gué avec son cheval de bataille; et il suit son hôte dans « la maison. Le matin se passe, le soir vient, et Bishop « est à son poste, tenant d'une main la jument favorile « du colonel et, de l'autre, se préparant à lui présen<< ter l'étrier. Le soleil disparaît à l'horizon et le colonel << ne paraît pas. C'est drôle, se répétait le vieux soldal, « c'est bien dròle; lui d'ordinaire si exact. Il attendit <<< encore longtemps, et lorsque Washington songea « enfin à venir délivrer le pauvre Bishop, qui grelottait « à la belle étoile, il était trop tard pour partir, la nuit « était trop sombre, et il fallut attendre au lendemain. « Le lendemain, le soleil était déjà bien bas quand « l'amoureux colonel pressa les flancs de son cheval. << Ses affaires à Williamsburg furent promptement

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terminées, et depuis, on le vit souvent reprendre le chemin de la maison Blanche, où tout se prépara bientôt pour un mariage. C'était le beau temps du luxe et des fêtes virginiennes. Grandes furent les réjouissances, grand le concours de tout ce qu'il y avait de bon, de considérable et de riche dans la colonie, pour venir saluer, dans le héros virginien, l'heureux et brillant fiancé. Et bien souvent l'auteur de ces lignes1 a entendu raconter tout ceci par les domestiques à cheveux gris qui avaient servi au repas de noces. Ainsi, mon vieil ami, vous vous souvenez bien du temps où le colonel Washington venait faire : la cour à votre jeune maîtresse, disait-il un jour à l'un (d'entre eux âgé de cent ans. - Je crois bien, maître!

quels jours! quels beaux jours! - Et Washington? * il avait bon air? - Ah! monsieur, je n'ai jamais « rien vu de pareil; grand, droit, et quand il était à « cheval, il vous montait une bête d'une façon! Allez, «mon bon monsieur, ce n'était pas à comparer avec <<< les autres. Au mariage il y avait bien des grands « personnages en dentelle d'or, mais il les surpassait « tous 2. »

De son côté la jeune veuve, Mme Custis, était aussi riche que jolie, de tout point un fort brillant parti, et qui plus est, une excellente femme. A la fois vive et digne, prévenante et discrète, généreuse et mentacitu gère, elle joignait à une grande habitude du monde uimal piété aussi simple que profonde. Son éducation pemat mière n'avait guère été plus soignée que celle des jeune de l' Américaines de son temps, et elle n'avait d'autre pre Am tention que de remplir exactement ses devoirs, de plate aux siens et de contribuer à leur bonheur. Mais quand son mari fut appelé à gouverner l'Amérique, tout le de se monde la trouva à sa place à côté du chef de l'Etat. Nele se sentant ni le goût ni la force de prendre une part active aux luttes et aux intrigues de parti, et craignanaje de compromettre, par une intervention inopportune, emi les intérêts publics, elle évita toujours avec soin de se li laisser entraîner dans le tourbillon de la politique. Ele ne savait et ne voulait défendre la cause de Washington qu'en se faisant aimer, et en suppléant à la roideurw

M. Custis, petit-fils de Mme Washington. * Historical Collections of Virginia, p. 389.

3 Martha Dandridge, née en Virginie, dans l'année 1732, d'une famille honorable de planteurs, morte en 1801, trois ans après Washington. Elle avait épousé en premières noces le colonel Custis, qui laissa en mourant des terres considérables et plus d'un million en écus, dont il fit trois parts, l'une pour sa femme,

et les autres pour les enfants qu'il avait eus d'elle, et Washington adopta dans la suite.

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Le colonel Custis était fils d'un membre du Conseil prire els homme considérable et ambitieux, qui, voulant faire faire une grande alliance à l'héritier de son nom, s'opposa longtempsaeren mariage avec Mlle Dandridge. Mais l'amour du colonel pour a belle et jeune Américaine triompha des résistances de son pere, et il s'établit dans une plantation, encore connue aujourd'hui en Virginie sous le nom de Maison Blanche, dont il fit bientôt, paren la courtoisie de ses manières et l'élégance de ses habitudes, it rendez-vous de l'aristocratie coloniale. De l'aveu de tous ses contemporains, c'était le vrai type du gentilhomme virginien: d'un cœur noble, d'un esprit cultivé, d'une intégrite à toute épreuve, la bourse toujours pleine et toujours ouverte. Sat son lit de mort, raconte son petit-fils, il se souvint qu'il devast un schilling à l'un de ses fermiers. Il le fit venir, et comme le fermier, ému jusqu'aux larmes, disait avoir oublié cette mise rable petite dette, -<<< Moi pas, >> repartit le juste et consciencieux seigneur, et après avoir payé son créancier :-< Maintenant mes << comptes sont réglés en ce monde; >>> puis il expira.

urne de son mari par des attentions et des soins ables pour les personnes. Ce n'était pas qu'elle man't de courage et de dévouement: pendant la guerre l'indépendance, on la vit traverser tous les ans nérique, pour aller partager avec Washington les - frances et les privations des quartiers d'hiver, sous -hutte de bois; et à la fin de sa vie, elle avait le droit se vanter devant ses petits-enfants « d'avoir entendu 3 premier coup de canon à l'ouverture et le dernier oup à la fin de chaque campagne de la révolution1. >>> jour que les campements étaient menacés par l'enni, les officiers supérieurs proposaient de l'éloigner lieu de l'action, elle et ses braves compagnes : « Non, epartit le général en chef, nous nous battrons mieux en présence de nos femmes. » Washington n'était point de ceux qui négligent, nme trop monotones, les devoirs naturels et ordiires de la vie, pour rechercher ces devoirs exceptionls et difficiles qui ne trouvent leur place que dans les nps de crise. Il ne prit jamais prétexte de son patriome pour oublier sa femme. Au milieu des désordres volutionnaires, il resta un mari fidèle et soigneux, eut-être plus attentif que tendre, parce que sa nature ait peu expansive, mais confiant et amical. On n'a etrouvé de sa correspondance avec Mme Washington que a lettre où il lui dit un long adieu, pour aller prendre e commandement en chef de l'armée américaine. Bien qu'il s'y montre plutôt contrarié à la pensée du chagrin de sa femme qu'attristé lui-même par la perspective de

1 Memoirs of Martha Washington, by C. Conkling, p. 148. 2 Id., p. 153.

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