En présence d'un enseignement si grave, Louis d'abord duc de Berry, puis dauphin de France, avait contracté des habitudes de travail et de réflexion; brusque de caractère, facile à se laisser emporter, il avait néanmoins une indicible faiblesse dans ses résolutions. Son premier instinct était juste, son premier aperçu vrai; s'il avait suivi son impulsion naturelle, il aurait bien jugé, parfaitement exécuté un plan, une idée; mais, toujours hésitant, sur la moindre observation, il doutait de lui-même. Ces sortes de caractères se rencontrent souvent, et justes et réfléchis on les pousse néanmoins au mal et à la déconsidération. Un défaut opposé à la présomption orgueilleuse, c'est de trop douter de soi; la foi n'est pas seulement bonne en religion, elle l'est aussi en politique. Peut-être aussi l'éducation émanée d'une femme, quelque puissante et forte qu'on la suppose, conserve-t-elle encore une empreinte de faiblesse et d'infirmité; c'est pour cela qu'autrefois, à l'âge de sept ans, on faisait sortir les enfans de France des mains des femmes pour les confier à quelques nobles et fiers gentilshommes. Enfin l'absence de toute distraction forte dans les caractères humains, la vie de solitude et d'isolement, le trop grand amour du foyer domestique, favorise cette faiblesse de nature. Il faut le monde aux âmes qui veulent exercer un empire sur le monde, et un peu de passion est nécessaire pour mieux comprendre et dominer l'état social. Une âme trop pure prépare souvent la ruine et la décadence du pouvoir. Ainsi le jeune dauphin, comme sa mère, tout retiré de la cour, n'y paraissait qu'aux solennités mémorables, sous prétexte du deuil profond et de la douleur naturelle. Jaloux de son autorité, Louis XV. avait tenu son petit-fils à l'écart de toutes les affaires du gouvernement: on aurait dit qu'il avait crainte de son successeur; perspective lamentable pour la vieillesse qui voit la mort Le besoin de se créer des distractions en dehors du gouvernement avait porté le dauphin, duc de Berry, vers l'étude; nul ne dessinait mieux une carte géographique et ne reproduisait plus exactement une modèle; son goût pour les voyages, les ports de mer et la marine, était poussé bien loin; sa prodigieuse mémoire lui fournissait tous les noms des colonies et des comptoirs français: souvent il avait dit, avec un noble orgueil de patriotisme, que la France, avec sa belle étendue de côtes, devait être la première puissance maritime. Quant aux arts manuels, ce goût était héréditaire dans sa famille: Louis XV tournait admirablement de petits bijoux en ivoire, de petites tabatières qu'ils distribuait à ses courtisans ou qu'il offrait en loterie. Le roi eut les mêmes fantaisies pour ces charmans riens, marquetés d'ivoire, de nacre ou. d'ébène, délices de la toilette; et comme tout se changeait dans l'esprit du dauphin en des choses sérieuses, il s'était jeté dans la serrurerie; indépendamment de l'attrait qu'il trouvait à l'art de polir le fer et l'acier, peut-être se proposait-il un but éminemment utile. Dans les vieilles traditions de la famille il avait lu qu'un grand nombre de secrets d'État avaient été livrés par des ministres et des agents infidèles. Il voulait donc s'assurer, par des serrures et des clefs particulières, certaines pièces secrètes que lui seul connaîtrait, et pour cela il se faisait initier dans les métiers de la menuiserie et de la serrurerie. Devenu roi, Louis XVI aimait à placer sous son scel particulier les correspondances, les notes intimes qu'il réservait pour la solitude de ses méditations. Il étiquetait par ordre toutes les affaires de son gouvernement, descendant aux plus petits détails par ses habitudes d'économie. Cet esprit un peu minutieux se révèle dans le jeune prince tout enfant. A peine son père le grand dauphin est-il mort, qu'il commence un tout petit journal pour se rendre compte de sa vie: dans cette œuvre il n'y a pas de pensée, c'est un carnet où sont recueillies, jour par jour, ses impressions de chasse, de jeux, de plaisirs, et l'on peut dire que cette vie-là est monotone, comme l'étiquette l'imposait aux princes de la maison de Bourbon. Ce journal précieux, parce qu'il est entièrement écrit de la main du roi (depuis l'âge de douze ans jusqu'à la fatale journée du 10 août, et sans que l'écriture ait beaucoup varié au milieu de tant de vicissitudes), indique la vie la plus sereine et la plus uniforme pendant vingt ans. L'enfant royal assiste à un service pour la mémoire de son père, aux Récollets, et il en consigne la mémoire; il reçoit les cendres, puis il fait une promenade en voiture dans la forêt, une prière à NotreDame, une visite à Trianon. Le jeune prince vient d'assister à l'audience de l'envoyé de Pologne ou du prince héréditaire de Brunswick, et il va présider l'ordre de Saint-Lazare, ou une revue des gardes françaises et suisses. Il a reçu l'ambassadeur d'Espagne, ensuite il a joué aux barres; il a chassé aux cerfs dans les bois de Compiègne ou passé la revue du régiment de Navarre; il a baptisé les cloches des Carmélites ou assisté aux états du Languedoc: "Aujourd'hui, dit-il dans ce journal, Mme "du Barry a été présentée." Les fanfares annoncent une chasse aux daims à Verrières, et dans chacune de ces chasses le dauphin n'oublie pas la quantité des pièces jetées sur le carreau; noble mémoire d'un chasseur. Voici un bien beau jour pour un enfant pieux: "Mercredi 24 décembre j'ai fait ma " première communion, j'ai été confirmé, et pour la " première fois, le 31, j'ai soupé dans le cabinet du "roi; j'ai été reçu dans l'ordre du Saint-Esprit." Ensuite vient toujours la chasse: à Compiègne c'est le sanglier; à Fontainebleau, le loup et le daim; à Marly le perdreau, le faisan et le faucon; déjà se développe dans le jeune prince ce goût vif pour la chasse, et qui peut lui en faire un reproche? y a-t-il quelque chose de plus attachant que ces courses et ces cris quand le cor retentit et que la meute jappe au loin dans la forêt? CAPEFIGUE. Marie-Antoinette. RIEN de plus gracieux que Marie-Antoinette de quatorze à dix-sept ans. Il existe à Schænbrunn comme à Versailles des portraits de la jeune princesse au front haut de Lorraine, au nez aquilin et à la bouche autrichienne de Marie-Thérèse, aux yeux bleus d'Allemagne, avec ce teint si blanc et si beau qu'il efface le satin de ses vêtemens d'archiduchesse. Quel enthousiasme n'excita pas Marie-Antoinette, quand elle vint s'unir à notre jeune dauphin? Le peuple aime le contraste, et à côté de la cour dissolue de Louis XV et de Mme du Barry, on aimait à contempler cette physionomie d'innocence et de candeur qui fit dire au chevaleresque duc de Brissac : "Autour de vous, Madame, il y a cent mille amou 66 reux de votre personne." Par la même raison que l'éducation du dauphin avait considérablement influé sur la vie et la destinée du jeune prince qui fut Louis XVI, les conseils et la direction de MarieThérèse avaient également exercé une grande influence sur l'esprit, et les manières de l'archiduchesse Marie-Antoinette. La vie agitée, héroïque de l'impératrice l'avait entraînée à placer le courage comme la première des vertus, et Marie-Antoinette en hérita de sa mère. Dès qu'elle fut destinée à épouser M. le dauphin, elle reçut une éducation toute française, sous l'abbé de Vermond, un des hommes les plus distingués, les plus spirituels de ce temps; sa mère voulut faire de la jeune archiduchesse un lien permanent pour assurer l'alliance entre la France et l'empereur, et ce fut sans doute ce qui fit accuser Marie-Antoinette de demeurer Autrichienne au fond de l'âme; accusation tant répétée, qui ne tenait aucun compte du changement opéré dans la situation diplomatique! A la fin du XVIIIe siècle le système du cardinal de Richelieu, pour la grandeur de la maison de Bourbon, avait dû se modifier par la marche des circonstances; les intérêts étaient changés, la France n'avait plus à craindre l'Autriche. Une autre rivalité s'était élevée bien plus puissante, celle de l'Angleterre, depuis l'avénement de la maison de Hanovre, et le meilleur moyen de tourner toutes les forces de la monarchie contre la Grande Bretagne, n'était-ce pas d'assurer la paix continentale par une alliance permanente avec l'Autriche? Que Marie-Thérèse ait voulu consacrer ce principe en donnant une archiduchesse à la France, cela est exacte, mais que Marie-Antoinette, jeune et gracieuse femme, folle comme on est à quinze ans, spirituelle enfant aux blonds cheveux, ait été chargée d'un rôle politique ou de trahison fatale pour Louis XVI et la France, comme on l'a supposé, et que l'Autriche se soit servie d'une main si frêle pour remuer de hautes questions, c'est absurde à supposer. Il faut laisser ces récits puérils ou scandaleux à cette chronique misérable qui prépara cette épithète d'Autrichienne, avec laquelle on fit monter sur l'échafaud la fille des Césars. De nobles choses se montrent dans le caractère de Marie-Antoinette: l'amitié tendre et affectueuse, une gaieté d'enfant, un besoin de plaisirs naïfs, l'absence de formes, d'étiquette, et ces habitudes alle |