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la liberté,

l'oreille et à entendre, à avoir la santé, le repos, ce n'est rien dire : les solides biens, les grands biens, les seuls biens ne sont pas comptés, ne se font pas sentir. Jouez-vous? masquez-vous? il faut répondre.

Est-ce un bien pour l'homme que la liberté, si elle peut être trop grande et trop étendue, telle enfin qu'elle ne serve qu'à lui faire désirer quelque chose, qui est d'avoir moins de liberté ?

La liberté n'est pas oisiveté : c'est un usage libre du temps, c'est le choix du travail et de l'exercice; être libre, en un mot, n'est pas ne rien faire, c'est être seul arbitre de ce qu'on fait ou de ce qu'on ne fait point : quel bien en ce sens que la liberté !

CÉSAR n'était point trop vieux pour penser à la conquête de l'univers': il n'avait point d'autre béatitude à se faire que le cours d'une belle vie, et un grand nom après sa mort: né fier, ambitieux, et se portant bien comme il faisait, il ne pouvait mieux employer son temps qu'à conquérir le monde. ALEXANDRE était bien jeune pour un dessein si sérieux : il est étonnant que dans ce premier âge les femmes ou le vin n'aient plus tôt rompu son entreprise.

Un jeune prince2, d'une race auguste, l'amour et l'espérance des peuples, donné du ciel pour prolonger la félicité de la terre, plus grand que ses aïeux, fils d'un héros qui est son modèle, a déjà montré à l'univers, par ses divines qualités, et par une vertu anticipée, que les enfants des héros sont plus proches de l'être que les autres hommes 3.

Voyez les Pensées de M. Pascal, chap. 31, où il dit le contraire. ( La Bruyère.)

2 Le Dauphin, fils de Louis XIV.

3 Contre la maxime latine et triviale. (La Bruyère.) Cette maxime on adage est, Heroum filii noxæ; ce qui veut dire que les fils des héros dégénèrent ordinairement de leurs pères.

Si le monde dure seulement cent millions d'années, il est encore dans toute sa fraîcheur, et ne fait presque que commencer : nous-mêmes nous touchons aux premiers hommes et aux patriarches; et qui pourra ne nous pas confondre avec eux dans des siècles si reculés? Mais si l'on juge par le passé de l'avenir, quelles choses nouvelles nous sont inconnues dans les arts, dans les sciences, dans la nature, et j'ose dire dans l'histoire! quelles découvertes ne fera-t-on point! quelles différentes révolutions ne doivent point arriver sur toute la face de la terre, dans les États et dans les empires! quelle ignorance est la nôtre ! et quelle légère expérience que celle de six ou sept mille ans !

Il n'y a point de chemin trop long à qui marche lentement et sans se presser: il n'y a point d'avantages trop éloignés à qui s'y prépare par la patience.

Ne faire sa cour à personne, ni attendre de quelqu'un qu'il vous fasse la sienne; douce situation, âge d'or, état de l'homme le plus naturel !

Le monde est pour ceux qui suivent les cours ou qui peuplent les villes : la nature n'est que pour ceux qui ha→ bitent la campagne; eux seuls vivent, eux seuls du moins connaissent qu'ils vivent.

Pourquoi me faire froid, et vous plaindre de ce qui m'est échappé sur quelques jeunes gens qui peuplent les cours? êtes-vous vicieux, ô Thrasille? je ne le savais pas, et vous me l'apprenez ce que je sais est que vous n'êtes plus jeune.

Et vous qui voulez être offensé personnellement de ce que j'ai dit de quelques grands, ne criez-vous point de la blessure d'un autre? êtes-vous dédaigneux, malfaisant, mauvais plaisant, flatteur, hypocrite? Je l'ignorais, et nø pensais pas à vous : j'ai parlé des grands.

L'esprit de modération, et une certaine sagesse dans la conduite, laissent les hommes dans l'obscurité : il leur faut de grandes vertus pour être connus et admirés, ou peut-être de grands vices.

Les hommes, sur la conduite des grands et des petits indifféremment, sont prévenus, charmés, enlevés par la réussite : il s'en faut peu que le crime heureux ne soit loué comme la vertu même, et que le bonheur ne tienne lieu de toutes les vertus. C'est un noir attentat, c'est une sale et odieuse entreprise que celle que le succès ne saurait justifier.

Les hommes, séduits par de belles apparences et de spécieux prétextes, goûtent aisément un projet d'ambition que quelques grands ont médité ; ils en parlent avec intérêt, il leur plaît même par la hardiesse ou par la nouveauté que l'on lui impute, ils y sont déjà accoutumés, et n'en attendent que le succès, lorsque, venant au contraire à avorter, ils décident avec confiance, et sans nulle crainte de se tromper, qu'il était téméraire et ne pouvait réussir.

Il y a de tels projets, d'un si grand éclat et d'une conséquence si vaste, qui font parler les hommes si longtemps, qui font tant espérer ou tant craindre, selon les divers intérêts des peuples, que toute la gloire et toute la fortune d'un homme y sont commises. Il ne peut pas avoir paru sur la scène avec un si bel appareil, pour se retirer sans rien dire; quelques affreux périls qu'il commence à prévoir dans la suite de son entreprise, il faut qu'il l'entame; le moindre mal pour lui est de la manquer.

Dans un méchant homme il n'y a pas de quoi faire un

Guillaume de Nassau, prince d'Orange, qui entreprit de passer en Angleterre, d'où il a chassé le roi Jacques II, son beau-père. Il était né le 13 novembre 1650.

grand homme. Louez ses vues et ses projets, admirez sa conduite, exagérez son habileté à se servir des moyens les plus propres et les plus courts pour parvenir à ses fins: si ses fins sont mauvaises, la prudence n'y a aucune part; et où manque la prudence, trouvez la grandeur, si vous le pouvez.

Un ennemi est mort', qui était à la tête d'une armée formidable, destinée à passer le Rhin; il savait la guerre, et son expérience pouvait être secondée de la fortune: quels feux de joie a-t-on vus? quelle fête publique? Il y a des hommes au contraire naturellement odieux, et dont l'aversion devient populaire : ce n'est point précisément par les progrès qu'ils font, ni par la crainte de ceux qu'ils peuvent faire, que la voix du peuple2 éclate à leur mort, et que tout tressaille, jusqu'aux enfants, dès que l'on murmure dans les places que la terre enfin en est délivrée.

O temps! ô mœurs! s'écrie Héraclite; ô malheureux siècle siècle rempli de mauvais exemples, où la vertu souffre, où le crime domine, où il triomphe! Je veux être un Lycaon, un Égisthe, l'occasion ne peut être meilleure, ni les conjonctures plus favorables, si je désire du moins de fleurir et de prospérer. Un homme dit3: Je passerai la mer, je dépouillerai mon père de son patrimoine, je le chasserai, lùi, sa femme, son héritier, de ses terres et de ses États; et, comme il l'a dit, il l'a fait. Ce qu'il devait appréhender, c'était le ressentiment de plusieurs rois qu'il outrage en la personne d'un seul roi mais ils tiennent pour lui; ils lui ont presque dit : Passez la mer, dépouillez votre

'Le duc Charles de Lorraine, beau-frère de l'empereur Léopold Ier. Le faux bruit de la mort du prince d'Orange, qu'on croyait avoir été tué au combat de la Boyne.

3 Le prince d'Orange.

père', montrez à tout l'univers qu'on peut chasser un roi de son royaume, ainsi qu'un petit seigneur de son château, ou un fermier de sa métairie : qu'il n'y ait plus de différence entre de simples particuliers et nous; nous sommes las de ces distinctions: apprenez au monde que ces peuples que Dieu a mis sous nos pieds peuvent nous abandonner, nous trahir, nous livrer, se livrer eux-mêmes à un étranger, et qu'ils ont moins à craindre de nous que nous d'eux et de leur puissance. Qui pourrait voir des choses si tristes avec des yeux secs et une âme tranquille? Il n'y a point de charges qui n'aient leurs priviléges : il n'y a aucun titulaire qui ne parle, qui ne plaide, qui ne s'agite pour les défendre : la dignité royale seule n'a plus de priviléges; les rois eux-mêmes y ont renoncé. Un seul, toujours bon2 et magnanime, ouvre ses bras à une famille malheureuse. Tous les autres se liguent comme pour se venger de lui, et de l'appui qu'il donne à une cause qui leur est commune : l'esprit de pique et de jalousie prévaut chez eux à l'intérêt de l'honneur, de la religion et de leur État; est-ce assez? à leur intérêt personnel et domestique. Il y va, je ne dis pas de leur élection, mais de leur succession, de leurs droits comme héréditaires : enfin, dans tout, l'homme l'emporte sur le souverain. Un prince délivrait l'Europe3, se délivrait lui-même d'un fatal ennemi, allait jouir de la gloire d'avoir détruit un grand empire il la néglige pour une guerre douteuse. Ceux qui sont nés 5 arbitres et médiateurs temporisent; et lorsqu'ils pourraient avoir déjà employé utilement leur

Le roi Jacques II.

2 Louis XIV, qui donna retraite à Jacques II et à toute sa famille, après qu'il eut été obligé de se retirer d'Angleterre.

3 L'empereur.

Le Turc.

6 Innocent XI.

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