Images de page
PDF
ePub

que ce que nous appelons esprit n'est | jamais devenir ce que nous appelons

qu'une collection de pensées, de pas sions et d'émotions sans substance, et nié par conséquence l'existence du sujet sentant et pensant.

3. Les choses que la mémoire me rappelle distinctement sont réellement arrivées.

Explication.

‹ Aucun principe n'a de marques d'originalité plus frappantes; personne n'a prétendu le prouver, et personne cependant ne l'a jamais mis en question. Le témoignage de la mémoire est immédiat comme celui de la conscience; il n'a pas d'autre autorité que la nature'. »

4. Je suis certain de mon identité personnelle et de la continuité de mon existence depuis l'époque la plus reculée que ma mémoire puisse atteindre. Explication.

Cette certitude est immédiate et ne dérive pas du raisonnement; elle fait partie du témoignage de la mémoire. Tous les événements que celle-ci me retrace impliquent que j'existais au temps où ils se sont passés, et il n'y a pas d'absurdité plus palpable que de supposer un homme qui se ressouviendrait de ce qui s'est passé avant qu'il existât; à moins que sa mémoire ne le trompe, sa propre existence a précédé tout ce qu'elle lui rappelle 2.

5. Il se trouve en moi quelque chose que j'appelle intelligence, et quelque chose qui n'est pas cette intelligence et que j'appelle corps, et l'un a des propriétés différentes de l'autre.

[blocks in formation]

sentiment de notre volonté ou penséeę de notre intelligence; d'où il paraît évident à quiconque veut agir de bonne foi que ce qu'on entend par esprit n'est rien de ce qu'on entend par corps, et que l'un n'est pas l'autre, quelque puisse être d'ailleurs leur constitution particulière et leur nature intime, laquelle ne nous est pas connue '.

6. Nous exerçons quelque degré de pouvoir sur nos actions et sur les déterminations de notre volonté; nous sommes libres.

Explication.

Tous les hommes ont de très-bonne heure la conviction qu'ils possèdent quelque degré de pouvoir sur eux ou de liberté. Cette conviction est nécessairement impliquée dans plusieurs opérations de l'esprit qui sont familières à tout le monde, et qui, seules peuvent faire de l'homme un être responsable.

,

Chaque acte de la volonté suppose la conscience du pouvoir de faire la chose voulue; la délibération implique la même conviction. Personne ne délibère s'il fera ou ne fera pas ce qu'il n'est pas en son pouvoir de faire. La résolution suppose la même conviction. Personne ne forme sérieusement la résolution de faire la plus petite chose qui soit hors de son pouvoir.

D'autres opérations non moins communes impliquent la même persuasion à l'égard des autres.

Quand nous imputons à quelqu'un une action ou une omission comme sujet de louange ou de blâme, nous pensons assurément qu'il était en son pouvoir de faire autrement. La même croyance est empreinte dans les avis, les exhortations, dans les commandements, dans les prières. Toutes les fois que nous prenons confiance dans la fidélité de quelqu'un à remplir ses engagements ou à exécuter une commission dont nous le chargeons, cette conviction existe au fond de notre pensée 2.

Buffier, Eléments de Metaphysique, p. 302. * Reid, ibidem, p. 110.

L'homme a donc l'intime persuasion | ment intime de notre propre percepqu'il est libre. tion? Cette proposition conduit au faJamais croyance n'a été si universelle | natisme, puisqu'en l'admettant dans dans le genre humain; n'est-ce pas éga- toute son étendue, chacun de nous lement ce que les plus habiles docteurs | pourrait douter raisonnablement s'il

enseignent dans les chaires, ce que les plus simples bergers publient dans les campagnes, ce qui se répète et se suppose dans toutes les conjonctures de la vie?

n'est pas l'être unique qui existe. Serace donc cette autre proposition : je pourrais absolument éprouver tout ce que j'éprouve sans qu'il y eût des corps? Il s'en faut bien que cette proposition ne soit plus certaine et plus claire, car je n'ai ni clarté ni certitude de ce que je pourrais ou ne pourrais pas dans une disposition de choses toute contraire à celle que j'éprouve actuellement. Cette prétendue possibilité que je me figure, n'est donc point un sentiment naturel, mais la pensée de certains esprits spé

Le petit nombre de ceux qui, par affectation de singularité ou par des réflexions outrées, ont voulu dire ou imaginer le contraire, ne montrent-ils pas eux-mêmes par leur conduite la fausseté de leurs discours, puisqu'ils ne peuvent avoir pour la perfidie la même estime que pour la fidélité. Néanmoins ces qualités ne seraient au fond ni esti-culatifs qui poussent leur spéculation mables ni méprisables si elles ne par- au-delà des bornes. Si une pareille postaient pas d'une volonté libre, mais sibilité était fondée sur le sens comd'un principe nécessaire. Nous pour-mun, on pourrait juger sensément que rions aimer la vertu et la probité comme | tout ce qu'actuellement nous éprouvons nous étant commodes; jamais nous ne pourrions les juger dignes de récompense et d'estime '.

7. Il existe quelque chose hors de moi, et ce qui existe hors de moi est autre que moi.

Explication.

Chacun de nous juge nécessairement qu'il existe quelque chose hors de soi. Ce sentiment est aussi fortement imprimé dans l'esprit de tous les hommes que celui de sa propre existence. Le doute est aussi impossible à l'égard de l'un que de l'autre; la démonstration est aussi impossible relativement au second que pour le premier ".

8. Il existe des corps, un soleil, un monde matériel.

Explication.

Quelle proposition peut-on imaginer pour attaquer cette proposition: il y a

ne suppose point des corps, et par conséquent douter sensément s'il en existe, et agir sensément en conformant à ce doute la conduite de notre vie; or, je demande si c'est un titre de sens commun que de pouvoir être arrêté dans la conduite de la vie par l'incertitude s'il y a des corps? Cette incertitude étant une folie manifeste, la certitude contraire est donc une sagesse jointe à la vérité. Voilà où il faut s'en tenir pour ne pas confondre les idées les plus fixes de l'esprit humain, et pour ne pas substituer de vains raffinements à la vraie philosophie.

Mais dans le sommeil et dans le délire n'éprouve-t-on pas à peu près les mêmes impressions que nous éprouvons ordinairement au moyen des corps? Peutêtre sont-elles à peu près les mêmes; mais très-certainement elles ne sont pas les mêmes; et si quelqu'un, pendant la veille, ne se trouvait pas tout autrement affecté que quand il rève, il ne mérite

des corps, qui soit plus certaine et plus rait pas plus que l'on s'amusat à raison

claire? Sera-ce celle-ci: nous ne sommes évidemment certains que du senti

Buffier, Trailė des premières Vérités, tre part., ch. VIII, p. 27.

2 Buffier, Eléments de Métaphysique, se entretien, p. 291. -- Idem, Traité des premières Verités, ire part,, ch. VII.

ner avec lui que s'il était actuellement dans le délire ou dans le sommeil. En outre, si, dans ces deux états, on ressent des impressions approchantes de celles que font sur nous ordinairement les corps, c'est parce qu'on a reçu auparavant des corps mêmes des impresBuffier, Traité des premières Vérités, part. I,

Explication.

sions qui se renouvellent alors par l'a- | 9. Nos semblables sont des créatures gitation des esprits. Ces deux états sup- vivantes et intelligentes comme nous. posent donc nécessairement des corps, et ils en montrent l'existence, loin de montrer que je pourrais éprouver tout ce que j'éprouve sans qu'il y ait des corps; car, s'il n'y avait pas de corps, qu'éprouverais-je et que pourrais-je éprouver? Je n'en sais rien et n'en puis rien savoir, n'en ayant pas l'expérience. Or, ne pouvant, indépendamment d'elle, pénétrer dans la nature des esprits, ceux qui croiraient pénétrer plus, avant ne pénétreraient que dans des chimères. Aucune proposition contraire n'est donc plus certaine ni plus claire que celle-ci: il y a des corps. Elle est donc une vérité première, dictée à notre esprit par la nature et par le sens commun, puisque, pour la prouver ou pour la détruire, on ne peut indiquer une proposition plus claire ni plus évidente.

Ajoutez que cette vérité a été si universellement reçue parmi les hommes, dans tous les temps et dans tous les pays, que ceux qui attaqueraient la certitude évidente de l'existence des corps ne se trouveraient pas un contre mille, et même contre cent mille; car tous les hommes étant philosophes à l'égard des premières vérités de sentiment, sur cent mille philosophes, il ne s'en trouvera assurément pas un qui juge sérieusement qu'il n'est pas évidemment certain s'il y a des corps en ce monde, et si tous les objets qu'il a devant les yeux ne sont pas des spectres ou de purs fantômes de l'imagina

tion.

Il s'en trouvera encore moins qui, dans la pratique, n'agissent pas comme évidemment certains de la chose qu'on supposerait pouvoir révoquer en doute. Ainsi quand un contemplatif prétendra qu'à force de réflexions il a découvert que nous n'avons aucune certitude évidente des corps, il prouvera seulement qu'à force de réflexions il a perdu le sens commun, méconnaissant une première vérité dictée par le sentiment de la nature '.

ch. VII, p. 23.

Dès que l'enfant est capable d'interroger et de répondre, dès qu'il donne quelque signe d'amour, d'aversion, ou de quelque autre affection, il faut, de toute nécessité, qu'il soit convaincu que les êtres auxquels il s'adresse, et qui sont l'objet de ces sentiments, soient doués d'intelligence. Il est de fait que cette espèce de société devance de beaucoup le développement de l'intelligence; il y a un véritable commerce entre l'enfant et la nourrice quelques mois après la naissance. Bien avant l'âge d'un an, on dit beaucoup de choses à l'enfant, et il les comprend en grande partie; il demande et il refuse; il menace et il supplie; il cherche un asile contre ses frayeurs dans les bras de sa nourrice; il entre en partage de sa joie et de sa douleur; il jouit de ses caresses et s'attriste de sa sévérité. Tout cela suppose dans l'enfant la persuasion que sa nourrice est un être intelligent.

Mais comment l'enfant acquiert-il cette persuasion avant l'âge d'un an? Ce n'est pas par le raisonnement : les enfants ne raisonnent pas à cet age; ce n'est pas par les sens : la vie et l'intelligence ne sont pas des choses qui tombent sous les sens.

Il n'est pas aisé de trouver la route par laquelle la nature transmet à l'enfant une instruction si importante. A cette époque de la vie, nous ne réfléchissons pas sur ce qui se passe en nous, et quand nous commençons à réfléchir, il nous est impossible de nous rappeler comment, en quelle occasion, sur quel fondement nous avons commencé à croire que nous étions entourés d'êtres intelligents; toutes les traces de l'origine de cette grande découverte sont effacées. Nous observons la même croyance, nous l'observons aussi prompte, aussi fermée dans l'aveuglené, dans le sourd-né. La nature ne l'a donc liée ni aux objets de la vue, ni à ceux de l'ouïe. Plus tard, lorsque nous avons atteint l'âge de raison et de réflexion, cette croyance persiste. Personne ne songe à se demander pourquoi

il se persuade que son voisin est une créature vivante; une question aussi absurde ne surprendrait pas médiocrement celui à qui elle serait adressée ; et peut-être que la seule réponse qu'il saurait y faire serait tout aussi propre à prouver qu'une montre et une maison sont des créatures vivantes; mais on aurait beau lui faire voir la faiblesse de ses raisons, on n'ébranlerait pas sa croyance; elle repose sur une autre base que le raisonnement, et de là vient que, soit que nous trouvions ou ne trouvions pas de bonnes raisons en sa faveur, il n'est pas en notre pouvoir de nous en dépouiller.

En mettant à part la conviction naturelle, je crois que la seule preuve que nous puissions donner de la réalité de la vie et de l'intelligence de nos semblables, c'est que leurs paroles et leurs actions sont les signes des mêmes facultés intelligentes que la conscience découvre en nous. Le même raisonnement appliqué aux œuvres de la nature démontre l'intelligence de leur auteur, et comme ce raisonnement n'est pas moins concluant dans le second cas que dans le premier, comme il ne se présente pas moins naturellement, on peut présumer très-légitimement que les hommes, par le seul exercice de leur faculté de raisonnement, découvriraient l'existence de Dieu d'aussi bonne heure et avec non moins de certitude que l'intelligence de leurs semblables', si c'était par le raisonnement que ce dernier fait leur est révélé.

Mais cette dernière découverte ne pouvait être ajournée à une époque si reculée; elle était indispensable pour nous disposer à recevoir les leçons de l'instruction et de l'exemple, sans lesquels il y a tout lieu de croire que la faculté du raisonnement ne se développerait point en nous. Elle devait donc précéder le raisonnement et être un fait primitif.

Si leur attention était tournée vers cette grande vérité; mais au lieu d'être portée vers cet objet, elle est détournée par les sens et mille autres dis

tractions.

* Reid, Essai, v, ch. v, t. V, p. 113.

10. Les qualités sensibles qui sont l'objet de nos perceptions ont un sujet qui s'appelle corps, et les pensées dont nous avons conscience ont un sujet que nous appelons esprit.

Explication.

[ocr errors]

Nous distinguons dans un corps l'étendue, l'impénétrabilité, la mobilité. Mais l'étendue n'est pas le corps, l'impénétrabilité n'est pas le corps, la mobilité n'est pas le corps; ces trois choses ensemble ne sont pas le corps ou la matière; la matière est quelque chose d'étendu, de mobile, d'impénétrable; ce quelque chose, voilà ce qu'on appelle le sujet des qualités sensibles, l'essence de la matière : l'étendue l'impénétrabilité, la mobilité supposent un sujet, une substance; voilà ce que nous enseigne la nature, ce que croit le genre humain. Toutes les langues déposent de l'universalité de cette croyance; toutes expriment les qualités sensibles par des adjectifs, et dans toutes l'adjectif suppose un substantif exprimé ou sous-entendu. Or, cette relation est précisément celle des qualités sensibles au sujet ou à la substance.

C'est par la pensée que se manifeste l'existence de l'esprit; mais la pensée n'est pas l'esprit. L'esprit est quelque chose qui peut penser, qui pense. La pensée suppose l'existence du sujet qui pense, d'une substance spirituelle. Voilà encore ce que nous enseigne la nature, ce que pensent tous les hommes.

Qu'opposent les sceptiques à la croyance du genre humain?

1o Qu'on nous démontre, disent-ils, que les qualités sensibles supposent une substance, que la pensée implique un sujet, et nous admettons la réalité de la matière des corps et des esprits.

Ils demandent l'impossible, et les dogmatiques ont eu le tort d'en entreprendre la démonstration, et se sont fait illusion en prétendant l'avoir donnée. Il fallait répondre ingénument : Pour moi, je l'avoue, il me semble absurde de soutenir qu'il y a de l'étendue et rien d'étendu, du mouvement et rien qui soit mu, des pensées et rien qui pense; cependant je ne saurais quelle preuve alléguer en faveur de mon opi

nion. Tout ce que je puis dire, c'est | y a des exceptions dans les effets qu'elles

qu'elle me paraît évidente par ellemême et l'inspiration immédiate de ma nature.

2o Il n'existe pas de corps, à soutenu Berkeley. Ces qualités sensibles que l'on dit exister dans les corps n'existent qu'en nous; n'est-il pas reconnu que les sensations n'existent pas dans les corps, mais en nous?

produisent, c'est qu'il y a des exceptions et des variations dans la disposi tion de nos organes.

Quelle est la nature, l'essence de ce quelque chose que l'on appelle matière, de ce quelque chose qu'on appelle esprit? Peut-on être certain de l'existence d'une chose dont on ne connaît pas la nature et l'essence? disent encore les sceptiques.

Pure équivoque. La sensation, le sen timent de chaleur, de douceur, d'amertume n'existe pas dans les corps, il existe en nous; mais les qualités qui produisent ce sentiment ou la sensation ❘ment que nous l'ignorons; tout ce que

existent dans les corps.

3o Ces qualités ne produisent-elles pas des sensations différentes dans les différents individus, et même dans la même personne, selon la disposition de ses organes; ces qualités n'ont donc rien d'absolu, elles sont purement relatives.

4o Quelle est la nature, l'essence de ce quelque chose que l'on appelle matière, esprit. Nous avouerons encore ingénu

nous en savons, c'est que la matière a les qualités que nos sens aperçoivent; que l'esprit a la faculté de penser, et qu'il pense.

Comment pouvons-nous être certains de l'existence d'une chose dont nous ne connaissons pas l'essence?

Parce que des qualités ne peuvent pas

une substance pensante '.
Comment le savons-nous?

C'est une vérité évidente par ellemême ; le contraire est absurde.

S'il est certain que les sensations pro- | exister hors d'un sujet, la pensée sans duites par les qualités des corps varient selon les individus, et même la disposition de nos organes, il est également incontestable qu'elles produisent les mêmes sensations sur le commun des hommes. Elles existent donc; elles sont en rapport avec la disposition commune habituelle des organes de l'espèce. S'il

A. D.

Reid, t. V, p. 134, Essai, vi, ch. VI. - Ibid., Estat, it, ch. xix, t. IV, p. 1 et 2. - Buffier, p. 200.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]
« PrécédentContinuer »