jours comme si nous étions des êtres supérieurs. L'histoire universelle, les poëtes, les romanciers, dans leurs plus superbes peintures, dans les palais impériaux, dans les temples, ne nous ferment jamais l'ouïe, ne nous font nulle part sentir que nous pénétrons indiscrètement dans leurs sanctuaires réservés pour de meilleurs que nous. Mais, au contraire, il est vrai de dire que c'est dans leurs plus éclatants paysages que nous nous sentons les plus familiers. Tout ce que Shakspeare dit des rois, cet enfant qui lit là-bas dans un coin sait que les paroles du poëte lui sont personnelles. Nous sympathisons avec les grands moments de l'histoire, avec les grandes découvertes, les grandes résistances, les grandes prospérités des hommes, parce que la loi fut rendue, que la mer fut fouillée, que la terre fut découverte ou que le coup fut frappé pour nous, comme nous-mêmes nous aurions agi à la même époque. Il en est de même à l'égard de la condition et du caractère. Nous honorons les riches, parce que nous sentons qu'ils ont extérieurement la liberté, la puissance et la grâce que nous sentons propres à l'homme, propres à nous-mêmes. Ainsi tout ce qui est dit de l'homme sage par les faiseurs d'essais philosophiques, qu'ils soient stoïciens ou modernes, décrit à chaque homme sa propre idée, luì décrit le moi qu'il n'a pas atteint, mais qu'il peut atteindre. Toute littérature raconte le caractère de l'homme sage. Tous les livres, les monuments, les peintures, les conversations sont des portraits dans lesquels l'homme sage trouve les traits qu'il dessine en lui-même. Les silencieux et les parleurs l'accostent, le louent, et partout où il va, il est comme stimulé par des allusions personnelles. Une âme sage et bonne n'a pas besoin, par conséquent, de chercher dans les discours d'autrui des allusions personnelles et louangeuses. Elle entend la louange non d'elle-même, mais, ce qui est bien plus doux, du caractère qu'elle poursuit dans chaque mot des conversations roulant sur ce sujet du caractère, dans chaque fait qui s'offre à ses yeux, dans le ruisseau qui court et dans la moisson qui murmure sous le vent. La louange, l'hommage et l'amour sortent et coulent à son approche de la muette nature, des montagnes et des lumières du firmament. Ces avis obscurs, qui semblent comme venus de la nuit et du sommeil, utilisons-les en plein midi. Le disciple doit lire l'histoire activement et non passivement, estimer que sa propre vie est le texte dont l'histoire n'est que le commentaire. Ainsi pressée, la muse de l'histoire rendra des oracles comme elle n'en rendra jamais pour ceux qui ne se respectent pas eux-mêmes. Je n'attends pas que celui-là qui pense que les actions accomplies dans les âges reculés par des hommes dont le nom a retenti au loin ont un sens plus profond que ses actions d'aujourd'hui, puisse lire avec rectitude d'esprit. Le monde existe pour l'éducation de chaque homme. Il n'y a pas d'âge ou d'état de société, de mode d'action dans l'histoire, qui ne corresponde à quelque chose dans la vie individuelle. Chaque fait tend d'une manière merveilleuse à s'abréger et à céder à chaque homme la vertu qui est en lui. L'homme doit voir qu'il peut vivre de la vie entière de l'histoire. Il doit rester tranquillement à sa demeure avec force et virilité, ne pas souffrir d'être ennuyé par les rois et par les empires, savoir qu'il est plus grand que toute la géographie et tout les gouvernements du monde; il doit changer le point de vue duquel on lit ordinairement l'histoire, et transporter l'histoire de Rome, d'Athènes et de Londres à lui-même, ne pas se nier à lui-même qu'il est le suprême tribunal devant lequel les nations comparaissent; et ainsi si l'Angleterre et l'Égypte ont à lui exposer quelque chose, il examinera le procès, sinon qu'elles demeurent silencieuses pour jamais. Il doit atteindre et doit se maintenir à cette elevation où les faits révèlent leur sens secret, où la poesie et les faits historiques se confondent. L'instinct de l'esprit, le dessein de la nature, se trahit dans l'usage que nous faisons des plus célèbres récits de l'histoire. Le temps dissipe et fond par son éternelle lumière la solide precision des faits. Il n'y a ni ancres, ni câbles, ni remparts, qui puissent faire qu'un fait garde sa qualité de fait. Babylone, Troie et Tyr, et même la Rome primitive, sont déjà passées dans le domaine de la fiction. Le jardin d'Eden, le soleil arrêté sur la vallée de Gibeon, sont désormais de la poésie pour toutes les nations. Qui s'inquiète de savoir ce que fut le fait, lorsque nous en avons fait ainsi une constellation et que nous l'avons suspendu au ciel comme un signe immortel? Londres, Paris et New-York auront la même destinée. Qu'est-ce que l'histoire? disait Napoléon, sinon une fable sur laquelle tout le monde est d'accord. Notre vie est entourée par l'Egypte, la Grèce, la Gaule, l'Angleterre, la guerre, la colonisation, l'Église, la cour et le commerce, comme par autant de fleurs et d'ornements graves ou gais. Je ne puis pas les estimer d'une valeur supérieure. Je crois à l'éternité. Je puis trouver dans mon propre esprit la Grèce, la Palestine, l'Italie, l'Espagne, le principe créateur et le génie de tous les siècles. Dans notre expérience privée, nous arrivons toujours à rencontrer les faits qui nous ont émus en lisant l'histoire et à les vérifier ainsi. Toute histoire devient subjective; en d'autres termes il n'y a pas d'histoire, à pro prement parler, il n'y a que la biographie. Chaque âme doit avoir appris toute la leçon de l'histoire, doit avoir parcouru toute la terre. Ce que l'homme n'a pas vu, ce qu'il n'a pas vécu, pour ainsi dire, il ne le sait pas. Les choses que les premiers âges ont abrégé et réduit à une formule ou a une règle pour sa commodité et pour abréger le temps, lui feront perdre, grâce à cette règle, la science qu'il aurait acquise en les vérifiant par lui-même. Aujourd'hui ou demain, dans ce lieu ou dans cet autre, cette perte de science trouvera sa compensation en le forçant à accomplir par lui-même le travail de ses devanciers. Ferguson découvrit beaucoup de choses en astronomie qui étaient connues depuis longtemps. Dans ce fait tout l'avantage était pour lui. L'histoire doit être cela ou elle n'est rien. Chaque loi que rend l'État indique un fait dans la nature humaine; voilà tout. Nous devons voir dans notre propre nature la raison nécessaire de chaque fait, voir comment il doit et peut être. Telle est l'attitude que nous devons prendre devant tout public, toute œuvre particulière, devant un discours de Burke, devant une victoire de Napoléon, devant le martyre de Thomas Morus et de Sidney, devant le règne de la terreur en France, devant une pendaison de sorcières, devant un fanatique revival', ou devant les expériences du magnétisme animal à Paris ou à Providence. Nous acquérons la certitude que sous une pareille influence nous aurions été également affectés, que nous aurions accompli les mêmes choses; nous arrivons à monter intellectuellement les mêmes échelons et nous atteignons la même hauteur ou la même dégradation qu'ont atteinte nos compagnons et nos mandataires. Toute recherche sur l'antiquité, toute curiosité tou 1 Les revivals ou ravivements de la foi sont des cérémonies religieuses, si le nom de cérémonie peut s'appliquer à des actes et à des faits aussi étranges. On se rassemble au nombre de mille ou de deux mille ou même davantage; on s'établit en pleine campagne dans quelqu'une des savanes immenses de l'Amérique et là, pour fouetter leur foi, les puritains et les sectaires fanatiques se livrent à mille contorsions qui rappellent les scènes des Albigeois et des convulsionnaires ; parfois même l'obscène s'en mêle. 1 Providence, ville des États-Unis dans l'État de Rhodes-Island. chant les pyramides, les cités enfouies, Stonehenge', Mexico, Memphis, sont le désir d'effacer ces sauvages et insensées expressions, là bas et alors, pour leur substituer les mots ici et maintenant. Elles expriment le désir de bannir le non moi et de le remplacer par le moi, pour abolir la différence et rétablir l'unité. Belzoni creuse et mesure les tombeaux des momies et les pyramides de Thèbes, jusqu'à ce qu'il ait pu trouver la fin de la différence qui existe entre ces œuvres monstrueuses et lui-même. Lorsqu'il s'est convaincu par l'examen de l'ensemble et du détail que ces œuvres furent faites par une personne semblable à lui, armée des mêmes armes, avec des motifs pareils aux siens et pour une fin à laquelle lui-même aurait travaillé, les circonstances étant données, le problème est résolu; sa propre pensée vit dans cette longue succession de temples, de sphinx et de catacombes, passe à travers eux tous comme une âme créatrice, avec satisfaction, et toutes ces choses revivent encore pour l'esprit et existent actuellement. Une cathédrale gothique nous affirme qu'elle fut et qu'elle ne fut pas faite par nous. Assurément elle fut bâtie par l'homme, mais nous n'en trouvons pas le type dans notre humanité à nous. Cependant nous nous appliquons à rechercher l'histoire de sa création, nous nous transportons dans le pays et nous nous mettons à la place des constructeurs; nous nous rappelons les hạbitants des forêts, les premiers temples, l'approbation universelle donnée au premier type, son embellissement à mesure que la richesse de la nation s'est accrue; la valeur qui est ajoutée au bois par la sculpture conduit à l'idée de sculpter toute une montagne de pierre sous la forme d'une cathédrale. Lorsque nous avons traversé 'Stonehenge, vaste amas de pierres et de rochers qui se trouve en Angleterre dans la plaine de Salisbury. C'est une tradition établię qu'elles ont été apportées d'Irlande par Merlin lui-même. |