(11 se retourne, et voit la statue se mouvoir et descendre elle-même les gradins par lesquels il a monté sur le piédestal. Il se jette à genoux, et lève les mains et les yeux au ciel.) Dieux immortels! Vénus! Galatée! ô prestige d'un amour forcené ! GALATÉE se louche, et dit : Moi. PYGMALION, transporté. Moi. GALATÉE, se touchant encore. C'est moi. PYGMALION. Ravissante illusion qui passes jusqu'à mes oreilles, ah! n'abandonne jamais mes sens. GALATÉB fait quelques pas, et touche un marbre. Ce n'est plus moi. (Pygmalion, dans une agitation, dans des transports qu'il a peine à contenir, suit tous ses mouvements, l'écoute, l'observe avec une avide attention qui lui permet à peine de respirer. Galatée s'avance vers lui et le regarde ; il se lève précipitamment, lui tend les bras, et la regarde avec extase. Elle pose une main sur lui; il tressaille, prend cette main, la porte à son cœur, et la couvre d'ardents baisers.) GALATÉE, avec un soupir. Ah! encore moi. PYGMALION. Oui, cher et charmant objet, oui, digne chefd'œuvre de mes mains, de mon cœur et des dieux; c'est toi, c'est toi seule je t'ai donné tout mon être; je ne vivrai plus que par toi. L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE, COMÉDIE EN TROIS ACTES (*). AVERTISSEMENT. Rien n'est plus plat que cette pièce. Cependant j'ai gardé quelque attachement pour elle, à cause de la gaieté du troisième acte, et de la fa· cilité avec laquelle elle fut faite en trois jours, grace à la tranquillité et au contentement d'esprit où je vivois alors, sans connoître l'art d'écrire, et sans aucune prétention. Si je fais moi-même l'édition générale, j'espère avoir assez de raison pour en retrancher ce barbouillage, sinon je laisse à ceux que j'aurai chargés de cette entreprise le soin de juger de ce qui convient, soit à ma mémoire, soit au goût présent du public. ISABELLE. L'hymen va donc enfin serrer des nœuds si doux; Valère, à son retour, doit être votre époux : 爨 (*) Composée en 1747. Cette comédie fut représentée en 1748 sur le théâtre de la Chevrette, chez M. de Bellegarde. Rousseau nous apprend (Confessions, tom. I) qu'il y joua lui-même un rôle, et qu'après l'avoir étudié six mois, il fallut le lui souffler d'un bout à l'autre. Vous allez être heureuse. Ah! ma chère Éliante! ÉLIANTE. VOUS soupirez? Eh bien! si l'exemple vous tente, Dorante vous adore, et vous le voyez bien. Pourquoi gêner ainsi votre cœur et le sien? Car vous l'aimez un peu : du moins je le soupçonne. ÉLIANTE. Il est donc pardonnable. SCÈNE II. DORANTE. Elle m'évite encor! Que veut dire ceci? Je veux... Carlin! SCÈNE III. CARLIN, DORANTE. CARLIN. Monsieur? DORANTE. Vois-tu bien ce château? CARLIN. Oui, depuis fort long-temps. DORANTE. Qu'en dis-tu ? CARLIN. Qu'il est beau. DORANTE, Mais encor? CARLIN. Beau, très beau, plus beau qu'on ne peut être. Que diable! DORANTE. Et si bientôt j'en devenois le maître, CARLIN. Selon s'il nous restoit garni ; DORANTE. Tu n'es pas dégoûté. Hé bien ! réjouis-toi, car il est....... CARLIN. Acheté ? DORANTE. Non, mais gagné bientôt. CARLIN. Bon! par quelle aventure? Isabelle n'est pas d'âge ni de figure A perdre ses châteaux en quatre coups de dé. DORANTE. Il est à nous, te dis-je, et tout est décidé Déja dans mon esprit... CARLIN. Peste! la belle emplette! Le château désormais ne sauroit nous manquer. DORANTE. Sais-tu, mon tendre ami, qu'avec ta gentillesse Attirer sur ton dos quelque réalité? CARLIN. Ah! de moraliser je n'ai plus nulle envie. Comme on te traite, hélas ! pauvre philosophie! CARLIN. Rien ne m'est plus facile. DORANTE. J'aime Isabelle. CARLIN. Oh! quel secret! Ma foi, Je le savois sans vous. DORANTE. Qui te l'a dit? CARLIN. Vous. DORANTE. Moi? CARLIN. Oui, vous vous conduisez avec tant de mystère CARLIN. Vous croyez être aimé d'Isabelle? Quelle preuve avez-vous du bonheur de vos feux? DORANTE. Parbleu ! messer Carlin, vous êtes curieux. CARLIN. Oh! ce ton-là, ma foi, sent la bonne fortune; Mais trop de confiance en fait manquer plus d'une, Vous le savez fort bien. DORANTE. Je suis sûr de mon fait; Isabelle en tout lieu me fuit. CARLIN. Mais, en effet, C'est de sa tendre ardeur une preuve constante! DORANTE. Écoute jusqu'au bout. Cette veuve charmante A la fin de son deuil déclara sans retour Que son cœur pour jamais renonçoit à l'amour. Presque dès ce moment mon ame en fut touchée; Je la vis, je l'aimai; mais, toujours attachée Au vœu qu'elle avoit fait, je sentis qu'il faudroit Ménager son esprit par un détour adroit : Je feignis pour l'hymen beaucoup d'antipathie, Et, réglant mes discours sur sa philosophie, Sous le tranquille nom d'une douce amitié, Dans ses amusements je fus mis de moitié. CARLIN. Peste! ceci va bien. En amusant les belles, On vient au sérieux. Il faut rire auprès d'elles; Ce qu'on fait en riant est autant d'avancé. DORANTE. Dans ces ménagements plus d'un an s'est passé. Tu peux bien te douter qu'après toute une année On est plus familier qu'après une journée; Et mille aimables jeux se passent entre amis, Qu'avec un étranger on n'auroit pas permis. Or depuis quelque temps j'aperçois qu'Isabelle |