D'UNE CLASSIFICATION SYSTÉMATIQUE DES DOCTRINES PHILOSOPHIQUES PAR CH. RENOUVIER TOME SECOND PARIS AU BUREAU DE LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 54, RUE DE SEINE, 54 - En classant sous quelques principaux chefs d'opposition mutuelle les grands systèmes qui se sont disputé l'empire des idées générales, d'époque en époque, pendant tout le cours de l'histoire de la philosophie, et en décrivant leurs traits les plus caractéristiques, je n'ai pas cru devoir, pour la satisfaction d'un certain goût esthétique, observer à leur égard une impartialité apparente, et adopter la forme d'une exposition sceptique, afin de mettre dans le meilleur jour l'inaptitude des penseurs à réaliser d'un commun accord l'unité de la haute pensée spéculative et morale. J'ai marqué franchement, sur chaque question, mes préférences, et donné les raisons qui me semblent bonnes contre chacune des thèses que personnellement je rejette, Il m'a semblé qu'à la condition de faire mes plus sincères efforts pour qu'aucune ne perdît rien de sa véritable physionomie et de son énergie propre, je ne pourrais qu'ajouter à la clarté de toutes les thèses d'une même série: la chose, l'infini, l'évolution, la nécessité, le bonheur, en les contrôlant du point de vue des thèses de la série opposée: l'idée, le fini, la création, la liberté, le devoir, sans m'obliger à balancer cette critique par une critique inverse, et feindre une indifférence que je n'éprouve pas. La position que j'ai prise n'en demeure pas moins logiquement supérieure à celle que prennent vis-à-vis les unes des autres les doctrines contraires, et elle est impartiale en cela; car ces doctrines ont constamment réclamé, chacune en sa faveur, l'évidence, la démonstration, ou prétendu de manière ou d'autre s'imposer à l'esprit, si seulement leurs principes et leurs arguments pouvaient toujours s'y présenter objectivement avec la valeur qu'ils tiennent de la nature des choses, et qui ne dépend nullement des facteurs personnels de l'individu qui les formule, ou à qui ils sont soumis par un autre. Mais, loin de là, j'estime, en théorie, tout comme en pratique, ce que nul en pratique et selon l'expérience ne nie, quand il s'agit des doctrines des autres : à savoir qu'il n'y en a aucune dans la production ou acceptation de laquelle les facteurs personnels n'interviennent. Ces facteurs qu'on n'a pas trop de peine à observer, au moins tout autant qu'il ne s'agit pas de s'en faire l'application à soi-même, tout le monde les a nommés: ce sont le tempérament, le caractère, les passions et les préventions du philosophe, ses habitudes d'esprit, l'action qu'il a subie de la tradition, de l'éducation et des circonstances de la vie, enfin l'ambition de savoir et d'enseigner, et les rivalités; ils sont de nature à motiver, indépendamment des apparences générales de vrai ou de faux dans l'objet proposé à l'affirmation, le choix de l'individu entre des opinions contraires que ces mêmes apparences ne doivent ni tout à fait imposer, ni interdire absolument, là où nous voyons des jugements contradictoires se produire en fait et trouver toujours des tenants. Mais ils ne sont pas les plus importants qu'il y ait à considérer pour une distinction rigoureuse de l'évidence et de la croyance, ou pour fixer une limite extrême de ce qui donne à une affirmation en philosophie le caractère de croyance. Il y a des facteurs essentiels de doctrines, qui tiennent à la personne encore, mais cette fois d'une façon générale ce sont des jugements inséparables de la constitution mentale de l'homme, c'est ce qu'ils semblent être au premier abord, mais qui, premièrement, n'ont pas leur véracité garantie par quelque chose d'extérieur, par une expérience immédiatement saisissable ou de la même étendue qu'eux, et, en second lieu, peuvent être infirmés par certaines analyses que le sujet mental fait porter sur sa propre constitution, en tant que relative à une représentation de choses hors de l'esprit, ou telles qu'elles sont hors de l'esprit. Mais les négations ou les doutes provenus de ces analyses sont, eux aussi, des produits de notre |