་ Il a conservé, comme je l'ai déja dit, l'intention primitive de l'auteur allemand, qui avoit été de faire une satire de toutes les folies et de tous les vices des hommes: ils y sont dépeints dans une grande quantité d'emblèmes, la plupart assez justes, et presque tous sont plaisans et fort singuliers. Dans son plan, chaque emblème est accompagné de 2, 4, 6 ou 8 vers qui l'expliquent ces vers sont eux-mêmes suivis d'une interprétation. Ensuite il ya douze ou quatorze vers, tantôt hexamètres, tantôt hexamètres mêlés de pentamètres, qui concourent également à l'explication de la figure, et servent d'exhortation à fuir le vice qu'elle dépeint; enfin, une longue glose les suit, et c'est le même ordre jusqu'à la fin. Pour donner un exemple, je vais rapporter ce qui se trouve au folio 27 verso, et au folio 28 recto. Titulus 26, folium XXVIII. De stultis mortalium votis et precibus. La figure représente Midas qui demande aux Dieux que tout ce qu'il touchera se change en or.` Da, magne divum, si pios audis, pater Ut fiat aurum quid quid attingam mihi: Midas id amens a deo non dextero Est assecutus ; at perivit mox fame. La glose qui suit apprend quelle est la structure de ces vers, et en donne l'explication. Ensuite il y en a douze tirés de la dixième satire de Juvénal, à l'exception des deux premiers, qui prouvent que les dieux savent mieux que nous ce qui nous convient : une interprétation très'détaillée les suit. Les vers qui se trouvent au bas des figures paroissent en grande partie de Josse Badius ; mais ceux qui sont vis-à-vis, sont ordinairement une espèce de centon, composé de divers passages de Virgile, Horace, Juvénal, Perse Ovide, etc., auxquels le compilateur a joint quelques-uns des siens pour servir de liaison : quelquefois ils lui appartiennent entièrement; mais alors ils ne sont pas bons, quoique supérieurs à ceux de Jacques Locher, le premier traducteur. La seconde glose qui suit ces vers, est ordinairement très-prolixe, et explique même ce qui n'a aucun besoin de l'être. Badius a employé dans les vers qui accompagnent les figures, toutes les différentes mesures de ceux d'Horace et de Boèce; et comme il n'en a pas eu assez pour le nombre des figures, qui est de 113, il s'est servi ensuite le plus souvent de vers hexametres. Je me suis étendu sur son édition, parce qu'elle me semble préférable aux autres, quant à la partie littéraire : je reviendrai pourtant sur l'editio primaria, qui contient le travail de Locher. Les figures sont grossièrement gravées en bois, et sentent bien l'enfance de l'art ; mais, quelle que fût la perfection du burin, il ne parviendroit pas à rendre mieux l'expression des visages. L'affection qui anime tous les personnages y paroît avec énergie; tout le reste est, à la vérité, fort mal exprimé : presque tous portent des bonnets ornés d'oreilles d'âne, quelques-uns un long bâton terminé par une marotte; leurs habits sont assez souvent ornés de grelots; en un mot, on y reconnoît les idées-mères de celles de Holbein. Elles peuvent aussi prouver l'antiquité du trictrac: il s'en trouve un à la page 57 recto, de l'édition 1497. On distingue parmi les autres éditions, celle de Basle, 1572, in-8., chez Henri Pierre, et dans le nombre des traductions anciennes 1.° celle de Paris, Denys Janot, in-4. goth avec figures, sous ce titre : La Nef des fous du monde, de Sébastien Brant, translatée du latin de Jacques Locher, en prose françoise, sans nom d'auteur; 2.° celle d'Antoine Vérard, infol., également de Paris, sous ce titre Les Regnards traversant les périlleuses voies des fiances de ce monde, composés par Sébastien Brant ; 3.° celle de Lyon, Guillaume Balsarin, 1498, in-fol. avec figures, portant en téte: La Nef des fous du monde, de Sébastien Brant, translatée du latin de Jacques Locher, en prose française ; par Jean Drouyn; 4.° celle de Paris, Michel Lenoir, 1504, in-fol., dont le titre est: Les Regnards, etc. comme à l'édition de Vérard, et autres plusieurs choses composées par d'autres auteurs; 5.° enfin, une traduction angloise sous ce titre The Schyppe of fools, ou la Nef des fous du monde, de Sébastien Brant, traduite en anglois sur la version française. Londres, 1509, in-4. avec figures. Ce grand nombre d'éditions prouve assez l'estimé que l'on a toujours eue pour l'ouvrage du poète allemand. Il en est digne par son originalité piquante, et par le travail et là prodigieuse éru dition qu'il a fallu à son auteur pour le composer. Je ne dissimulerai pas que l'édition de Joseph Badius Ascensius me semble préférable à toutes les autres, sous le rapport littéraire ; quant au mérite typographique, elles sont presque toutes bien exécutées; mais je ne balancerai pas à donner la préférence aux deux éditions de Basle 1497 et 1498, si leut trop grande rareté ne forcoit à recourir aux autres. Je terminerai par citer quelques passages de ce livre original. Le dessein de l'auteur est clairement exposé dans ces mots qui finissent son prologue: Intucatur ergo hunc (librum) perlegat que quisquis veluti in speculo conditionem vitamque suam perperisse norisseque laborat. Les vers suivans précèdent le chapitre : De improvidis fatuis. Qui non prius seit parare Risum movens, erit stultus. Le goût de l'auteur ne brille pas, lorsqu'à un vers connu tel qué celui-ci : Felix quem faciunt aliena pericula cautum, il en accole un leonin de sa façon ainsi conçu : Casus dementis correctio sit sapientis. mais tel étoit le goût du siécle: il duroit depuis longtemps; témoin le fameux recueil de précepte's connu sous le nom de Schola Salernitana. Au chap. De impatientia correctionis ; non patitur stultus sua verba aut facta reprendi. le temps: Ceci me paroît hardi pour Omnibus in terris tenet insipientia sceptra, Voici une preuve que l'auteur étoit au dessus des sottises de l'astrologie: Libera fata homini tribuit divina potestas. Bien des astronomes pourroient s'appliquer ce distique : Stultior ille quidem qui mensuram undique terræ 1 Metitur, nec se, nec sua scire valet. La figure pag. 87 recto, de l'édition de 1497, représente le fameux tableau de Claessens, où l'on voit le juge prévaricateur écorché par ordre de Cambyse: elle en prouve l'antiquité. On ne peut mieux tracer les devoirs d'un courrier que dans ce vers: Nuncie, sis verax, tacitus, celer atque fidelis. Je borne ici cet article: il seroit bien plus long si je rapportois tout ce qu'il y a de singulier dans cet ouvrage peu connu et digne de l'ètre. LEMAZURIER. |