sans merci. Fairfax manda qu'il s'était dirigé vers les comtés de l'est, et deux officiers d'un dévouement sûr, les colonels Russel et Warton, y furent envoyés aussitôt avec ordre de le chercher partout et à tout prix '. Parlementaires et royalistes, tous plongés dans la même incertitude, supportaient, avec une égale impatience, ceux-ci leurs espérances, ceux-là leurs terreurs. Le 6 mai au soir, arriva enfin la nouvelle que le roi était au camp des Écossais. Dès le lendemain les communes votèrent qu'aux deux chambres seules il appartenait de disposer de sa personne, et qu'il serait conduit sans retard au château de Warwick. Les lords refusèrent d'adhérer à ce vote; mais ils approuvèrent que Poyntz, cantonné près de Newark, eût ordre de surveiller tous les mouvements de l'armée écossaise, et Fairfax lui-même fut averti de se tenir prêt à marcher au besoin 2. Les Écossais, de leur côté, pressés de s'éloigner, obtinrent du roi, le jour même de son arrivée, qu'il ordonnât à lord Bellasis, gouverneur de Newark, de leur ouvrir ses portes, livrèrent la ville aux troupes de Pointz; et quelques heures après, plaçant le roi à leur avant-garde, se mirent en marche vers Newcastle, frontière de leur pays 3 Rushworth, part. 4, t. 1, p. 267; Whitelocke, p. 209. 2 Parl. Hist., t. 3, col. 465-466. 3 Ibid., col. 467; May, Hist, du Long-Parl., t. 2, p. 329, dans ma Collection; Rushworth, part. 4, t. 1, p. 269-271. Le parti indépendant était en proie à une anxiété pleine de colère. Depuis un an tout lui prospérait; maître de l'armée, il avait partout vaincu, et fortement frappé, par ses victoires, l'imagination du peuple; sous sa bannière accouraient tous les esprits hardis, les ambitions énergiques, les espérances exaltées, quiconque avait sa fortune à faire, ou formait des vœux sans mesure, ou méditait quelque grand dessein. Le génie même ne trouvait de place et de liberté que dans ses rangs: Milton', jeune encore, mais déjà remarqué pour l'élégance et l'étendue de son savoir, venait de réclamer, avec une noblesse de langage jusque-là inconnue, la liberté de conscience, la liberté de la presse, la faculté du divorce2; et le clergé presbytérien, indigné de son audace, l'avait sans succès dénoncé aux chambres, plaçant au nombre de leurs péchés la tolérance de pareils écrits. Un autre, déjà connu par sa résistance passionnée à la tyranie, John Lilburne, commençait contre les lords, les juges, les jurisconsultes, son infatigable guerre, et déjà la plus bruyante popularité 'Né à Londres, le 9 décembre 1608. * Dans cinq pamphlets contre le gouvernement épiscopal et sur la réforme de l'Eglise, publiés en 1641 et 1642; dans un pamphlet intitulé : The doctrine and discipline of divorce, publié en 1644; et dans un pamphlet intitulé: Speech for the liberty of unlicensed printing, publié aussi en 1644 (Milion's Prose works, t. 1, p. xx, xx, xx, xxv, p. 1-213; édit. in fol., 2 vol. Londres, 1738). * Milton's Prose works, t. 1, p. xxx. s'attachait à son nom'. Le nombre et la confiance des congrégations dissidentes, toutes ralliées aux indépendants, croissaient de jour en jour : vainement les presbytériens avaient enfin obtenu des chambres l'établissement exclusif et officiel de leur Église 3; aidés des jurisconsultes et des libertins, les indépendants avaient réussi à maintenir la suprématie du parlement en matière religieuse, et la mesure ainsi énervée ne s'exécutait qu'avec lenteurs. En même temps la fortune personnelle des chefs du parti, de Cromwell surtout, grandissait à vue d'œil : venaient-ils de l'armée à Westminster? les chambres les accueillaient avec des hommages solennels; repartaient 'Old Parl. Hist., t. 15, p. 19-28. * Le nombre des congrégations anabaptistes, par exemple, était déjà de cinquante-quatre en 1644. Thomas Edwards, ministre presbytérien, publia en 1645, sous le titre de Gangræna, un catalogue de ces sectes, pour appeler sur elles les rigueurs du parlement: il en comptait seize principales, et en avait omis plusieurs (Neal, Hist. of the Puritans, t. 3, р. 310-313). 3 Par plusieurs ordonnances ou votes des 23 août, 20 octobre et 8 novembre 1645, et des 20 février et 14 mars 1646 (Rushworth, part. 4, t. 1, p. 205, 210, 224). • Neal, Hist. of the Parl., t. 3, p. 231-270; Journals of the flouse of Commons, 25 septembre, 10 octobre 1645, 5 et 23 mars, 22 avril 1646; Baillie, Letters, t. 2, p. 194, 196, 198; Parl. Hist., t. 3, col. 459. L'Eglise presbytérienne ne fut jamais complétement établie qu'à Iondres et dans le comté de Lancaster (Malcolm Laing, Hist. of Scot'., t. 3 p. 347,. * Parl. Hist., t. 3, col. 463, 529. ils pour l'armée ? les dons d'argent et de terres, les gratifications et les emplois prodigués à leurs créatures attestaient et accroissaient leur crédit '. Partout enfin, à Londres comme dans les comtés, et, soit qu'il s'agit de politique ou de religion, des intérêts ou des idées, c'était en faveur du parti que se prononçait de plus en plus le mouvement social. Et au milieu de tant de prospérités, quand il touchait à la puissance, il se voyait menacé de tout perdre ; car il perdait tout en effet si le roi et les presbytériens s'alliaient contre lui. Il mit tout en œuvre pour parer ce coup: libre de suivre sa passion, il eût peut-être fait marcher sur-lechamp l'armée contre les Écossais et repris le roi de vive force; mais, malgré ses succès dans les nouvelles élections, il était contraint à plus de réserve; en minorité dans la chambre haute, il ne possédait dans les communes mêmes qu'un ascendant précaire, dû plutôt à l'inexpérience des membres naguère élus qu'à leurs véritables sentiments. Il eut recours à des voies détournées ; il essaya par toutes sortes de moyens, audacieux ou artificieux, Les chambres donnèrent : 1o à Cromwell (7 février 1646) 2,500 liv. st. de rente en terres prises sur les biens du marquis de Worcester (Parl. Hist., t. 3, col. 439; 2o à Fairfax, quelques mois plus tard, 5,000 liv. st. de rente (Whitelocke, p. 228, 239); 3o à sir William Brereton (en octobre 1646) une gratification de 5,000 liv. st.; 4o à sir Peter Killigrew (en décembre 1646) une gratification de 2,000 liv. st. (ibid., p. 128, 235), etc. secrets ou apparents, d'offenser les Écossais ou d'irriter contre eux le peuple, dans l'espoir d'amener une rupture; tantôt leurs courriers étaient arrêtés et leurs dépêches interceptées aux portes même de Londres, par des subalternes dont ils demandaient vainement justice'; tantôt les pétitions affluaient contre eux des comtés du nord, racontant leurs exactions, leurs désordres et tout ce que le pays avait à souffrir de leur séjour. L'alderman Foot en présenta une au nom de la Cité, qui leur était favorable, et demandait au contraire la répression des sectaires nouveaux, fauteurs de troubles dans l'Eglise et dans l'État ; les lords en remercièrent le conseil commun, mais à peine obtint-elle des communes une courte et sèche réponse. Quelques régiments restaient encore, derniers débris de l'armée d'Essex, où les sentiments presbytériens prévalaient, entre autres une brigade cantonnée dans le Wiltshire, sous les ordres du major général Massey, le vaillant défenseur de Glocester: on fit arriver contre elle des plaintes de tout genre', et l'on réussit à en obtenir le licenciement. Dans les chambres, dans les journaux, dans tous les lieux publics, à l'armée surtout, les indépen |