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entre Montrose et lui, pendant leur séjour auprès de la reine, pour transporter en Écosse un corps nombreux de catholiques irlandais, soulever les montagnards du nord, et faire ainsi, en faveur du roi, une puissante diversion. Évidemment l'entreprise était sur le point de commencer, car Montrose avait rejoint le roi pendant le siége de Glocester, et Antrim arrivait d'Oxford. Comme à son dernier voyage en Écosse, le roi méditait donc, contre ses sujets, les plus sinistres desseins, au moment même où on leur faisait de sa part les plus magnifiques propositions. Le parlement d'Édimbourg conclut en toute hâte son traité avec celui de Westminster, et l'informa de tous ces détails '.

Il avait fait et lui transmit en même temps une bien plus grave découverte : les papiers d'Antrim laissaient entrevoir que le roi entretenait avec les Irlandais insurgés de fréquentes relations; qu'il avait reçu plusieurs fois leurs demandes, leurs offres, qu'il était même près de conclure avec eux une suspension d'armes, et s'en promettait, pour la prochaine campagne, les meilleurs résultats 2. Ces indications n'étaient point trompeuses : depuis longtemps déjà, Charles, sans cesser de la maudire quand il parlait à l'Angleterre, était avec l'Irlande rebelle

'Malcolm Laing, Hist. of Scotland, t. 3, p. 256. 2 Ibid.

en ménagement et négociation'. La guerre allumée par l'insurrection avait continué dans ce malheureux pays sans relâche, mais sans effet. Dix ou douze mille soldats, mal payés, rarement recrutés, étaient trop faibles pour le soumettre, quoique suffisants pour l'empêcher de s'affranchir. Au mois de février 1642, avant l'explosion de la guerre civile, les chambres avaient voulu tenter un grand effort : un emprunt avait été ouvert pour suffire aux frais d'une expédition décisive; et les terres des insurgés, que les confiscations futures ne pouvaient manquer de faire échoir à la couronne, avaient été affectées d'avance, d'après un tarif déterminé, au remboursement des souscripteurs2. De fortes sommes furent ainsi recueillies, et quelques secours envoyés à Dublin : mais la guerre civile éclata; pressé par ses propres affaires, le parlement ne s'occupa plus de l'Irlande que de loin en loin, sans vigueur, sans suite, pour assoupir, quand elles devenaient trop vives, les plaintes des protestants de ce royaume, surtout pour rendre, aux yeux de l'Angleterre, le roi responsable de leurs malheurs. Charles ne faisait à leurs intérêts ni plus d'attention ni plus de sacrifices,

1 Sa correspondance avec lord Ormond ne permet pas d'en douter (Carte, Ormond's life, t. 3, passim). M. Brodie en a bien résumé les preuves (Hist. of the British empire, t. 3, p. 459, dans la note).

2

May, Hist, du Long-Parl., t. 1, p. 296, dans ma Collection, et tous les Mémoires du temps.

et pendant qu'il reprochait au parlement de s'être approprié une partie des sommes levées pour leur cause, luimême interceptait les convois destinés à les approvision ner, ou leur enlevait, jusque dans les arsenaux de Dublin, les fusils et la poudre dont ils avaient le plus pressant besoin '. Mais les principaux protestants d'Irlande, aristocrates par situation, étaient attachés à l'épiscopat et à la couronne; l'armée comptait parmi ses officiers un grand nombre de ceux que le parlement s'était empressé d'éloigner comme cavaliers; ils avaient pour général le comte d'Ormond, riche, brave, généreux, populaire, qui gagna deux batailles contre les rebelles', et fit honneur au roi de ses succès. Le parti parlementaire déclina rapidement en Irlande; les magistrats qui lui étaient dévoués furent remplacés par des royalistes : le parlement envoya deux commissaires, membres des communes, pour ressaisir quelque empire'; mais Ormond leur interdit l'entrée du conseil, et au bout de quatre mois se sentit assez fort pour les contraindre à se rembarquer 4. Tout le pouvoir civil et militaire fut dès lors entre les mains du

roi, qui, débarrassé d'une surveillance importune quoi

1

Carte, Ormond's life, t. 2, appendix, p. 3 et 5.

2 Les batailles de Kilrush et de Ross, les 15 avril 1642 et 19 mars 1643.

* Goodwin et Reynolds, dans l'automne de 1642.

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que impuissante, n'hésita plus à suivre le dessein auquel le poussaient ses embarras et son penchant. La reine n'avait jamais cessé d'entretenir avec les catholiques irlandais une correspondance que sans doute son mari n'ignorait pas; l'insurrection n'était plus, comme aux premiers jours, le hideux déchaînement d'une populace sauvage; un conseil souverain de vingt-quatre membres, résidant à Kilkenny', la gouvernait avec prudence et régularité; plus d'une fois déjà il avait adressé au roi d'affectueux messages, le suppliant de ne plus persécuter, pour complaire à ses ennemis, de fidèles sujets qui n'aspiraient qu'à le servir. Charles ne se jugeait encore ni en assez grand péril ni assez affranchi de tout ménagement envers l'opinion de son peuple, pour accepter ouvertement une telle alliance; mais il pouvait du moins, pensa-t-il, montrer aux Irlandais quelque douceur, et rappeler en Angleterre, pour l'employer contre des rebelles plus odieux et plus redoutables, l'armée qui les combattait en son nom. Ormond reçut ordre d'ouvrir en ce sens des négociations avec le conseil de Kilkenny2; et en attendant leur issue, pour accréditer la raison ou se ménager l'excuse de la nécessité, on fit grand bruit de la détresse, en effet très-réelle,

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* La commission d'Ormondest datée du 11 janvier 1643; les négocia

tions commencèrent dans le cours du mois de mars suivant.

à laquelle étaient réduits en Irlande la cause protestante et ses défenseurs. Dans une longue et pathétique remontrance adressée au conseil de Dublin, l'armée exposa toutes ses misères et sa résolution d'abandonner un service dont elle ne pouvait plus s'acquitter. Des mémoires envoyés à Oxford et à Londres portèrent au roi et aux chambres la même déclaration avec les mêmes plaintes '. Cependant les négociations avançaient; au moment de l'arrestation d'Antrim elles touchaient en effet à leur terme; et vers le milieu de septembre, quelques jours avant celui où les chambres acceptèrent solennellement à Westminster le covenant conclu avec l'Écosse, l'Angleterre apprit que le roi venait de signer avec les rebelles irlandais une trêve d'un an2, que les troupes anglaises qui combattaient l'insurrection étaient rappelées, et que dix régiments débarqueraient bientôt, cinq à Chester, cinq à Bristol 3.

De toutes parts s'éleva une clameur violente; les Irlandais étaient pour l'Angleterre un objet de mépris, d'aversion et d'effroi. Parmi les royalistes mêmes, et jusque dans les murs d'Oxford, le mécontentement n'hésita point à se manifester. Plusieurs officiers quittèrent l'ar

'Rushworth, t. 6, p. 537 et suiv.

2 La trêve fut signée le 5 septembre 1643, à Sigginstown, dans le comté de Kildare.

3

Godwin, Hist. of the Commonwealth, t. 1, p. 279.

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