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De grand matin en effet, dans une chambre de Whitehall, à côté du lit où Ireton et Harrison étaient encore couchés ensemble, Cromwell, Hacker, Huncks, Axtell et Phayre, s'étaient réunis pour dresser et expédier le dernier acte de cette redoutable procédure, l'ordre qui devait être adressé à l'exécuteur : « Colonel, dit Cromwell << à Huncks, c'est à vous de l'écrire et de le signer. >>> Huncks s'y refusa obstinément : « Quel entêté grognon ! » dit Cromwell. << En vérité, colonel Huncks, lui dit << Axtell, vous me faites honte; voilà le vaisseau qui entre <<< dans le port, et vous voulez plier les voiles avant de << mettre à l'ancre! >> Huncks persista dans son refus : Cromwell s'assit en grommelant, écrivit lui-même l'ordre et le présenta au colonel Hacker, qui le signa sans objection '.

Presque au même moment, après quatre heures d'un sommeil profond, Charles sortait de son lit : « J'ai une << grande affaire à terminer, » dit-il à Herbert, « il fau << que je me lève promptement. >> Et il se mit à sa toilette. Herbert troublé le peignait avec moins de soin : << Prenez, je vous prie, lui dit le roi, la même peine qu'à << l'ordinaire, quoique ma tête ne doive pas rester long<< temps sur mes épaules; je veux être paré aujourd'hui

State Trials, t. 5, col. 1148, 1180; Procès d'Axtell et de Hacker.

<< comme un marié. » En s'habillant, il demanda une chemise de plus : « La saison est si froide, dit-il, que je pour<< rais trembler; quelques personnes l'attribueraient << peut-être à la peur; je ne veux pas qu'une telle suppo<< sition soit possible. » Le jour à peine levé, l'évêque arriva et commença les exercices religieux; comme il lisait, dans le xxvII chapitre de l'évangile selon saint Mathieu, le récit de la passion de Jésus-Christ : << Mylord, lui demanda le roi, avez-vous choisi ce chapi<< tre comme le plus applicable à ma situation? - Je prie << votre Majesté de remarquer, répondit l'évêque, que << c'est l'évangile du jour, comme le prouve le calen<< drier. » Le roi parut profondément touché, et continua ses prières avec un redoublement de ferveur. Vers dix heures, on frappa doucement à la porte de la chambre; Herbert demeurait immobile : un second coup se fit entendre, un peu plus fort, quoique léger encore : << Allez voir qui est là, >>> dit le roi : c'était le colonel Hacker. <<< Faites-le entrer, >>> dit-il. - << Sire, dit le colonel à <<< voix basse et à demi tremblant, voici le moment d'aller << à Whitehall; votre Majesté aura encore plus d'une <<< heure pour s'y reposer. Je pars dans l'instant, << répondit Charles; laissez-moi. » Hacker sortit: le roi se recueillit encore quelques minutes, puis, prenant l'évêque par la main : « Venez, dit-il, partons: Herbert, <<< ouvrez la porte; Hacker m'avertit pour la seconde fois. >>>

Et il descendit dans le pare qu'il devait traverser pour se rendre à Whitehall '.

Plusieurs compagnies d'infanterie l'y attendaient, formant une double haie sur son passage; un détachement de hallebardiers marchait en avant, enseignes déployées; les tambours battaient; le bruit couvrait toutes les voix. A la droite du roi était l'évêque, à sa gauche, tête nue, le colonel Tomlinson, commandant de la garde, et à qui Charles, touché de ses égards, avait demandé de ne le point quitter jusqu'au dernier moment. Il s'entretint avec lui pendant la route, lui parla de son enterrement, des personnes à qui il désirait que le soin en fût confié, l'air serein, le regard brillant, le pas ferme, marchant même plus vite que la troupe, et s'étonnant de sa lenteur. Un des officiers de service, se flattant sans doute de le troubler, lui demanda s'il n'avait pas concouru, avec le feu duc de Buckingham, à la mort du roi son père : « Mon << ami, lui répondit Charles avec mépris et douceur, si << je n'avais d'autre péché que celui-là, j'en prends Dieu à << témoin, je t'assure que je n'aurais pas besoin de lui <<< demander pardon. » Arrivé à Whitehall, il monta légèrement l'escalier, traversa la grande galerie et gagna sa chambre à coucher, où on le laissa seul avec l'évêque, qui s'apprêtait à lui donner la communion. Quelques

Mémoires de Herbert, p. 133-440; de Warwick, p. 293.

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II.

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ministres indépendants, Nye et Goodwin entre autres, vinrent frapper à la porte, disant qu'ils voulaient offrir au roi leurs services : « Le roi est en prières,» leur répondit Juxon: ils insistèrent : « Eh bien! dit Charles à « l'évêque, remerciez-les en mon nom de leur offre; <<< mais dites-leur franchement qu'après avoir si souvent << prié contre moi, et sans aucun sujet, ils ne prieront « jamais avec moi pendant mon agonie. Ils peuvent, << s'ils veulent, prier pour moi, j'en serai reconnaissant. >>> Ils se retirèrent : le roi s'agenouilla, reçut la communion des mains de l'évêque, et se relevant avec vivacité : <<< Maintenant, dit-il, que ces drôles-là viennent; je leur << ai pardonné du fond du cœur; je suis prêt à tout ce << qui va m'arriver. >> On avait préparé son dîner; il n'en voulait rien prendre : « Sire, lui dit Juxon, votre << Majesté est à jeun depuis longtemps; il fait froid; << peut-être, sur l'échafaud, quelque faiblesse... - Vous <<< avez raison, >> dit le roi; et il mangea un morceau de pain et but un verre de vin. Il était une heure: Hacker frappa à la porte; Juxon et Herbert tombèrent à genoux : << Relevez-vous, mon vieil ami, » dit le roi à l'évêque en lui tendant la main. Hacker frappa de nouveau; Charles fit ouvrir la porte : « Marchez, dit-il au colonel, je vous <<< suis. » Il s'avança le long de la salle des banquets, toujours entre deux haies de troupes; une foule d'hommes et de femmes s'y étaient précipités au péril de leur vie, immobiles derrière la garde, et priant pour le roi à mesure qu'il passait : les soldats, silencieux euxmêmes, ne les rudoyaient point. A l'extrémité de la salle, une ouverture, pratiquée la veille dans le mur, conduisait de plain-pied à l'échafaud tendu de noir, deux hommes debout auprès de la hache, tous deux en habits de matelots et masqués. Le roi arriva, la tête haute, promenant de tous côtés ses regards et cherchant le peuple pour lui parler: mais les troupes couvraient seules la place; nul ne pouvait approcher : il se tourna vers Juxon et Tomlinson : « Je ne puis guère être entendu que de vous, leur << dit-il; ce sera donc à vous que j'adresserai quelques <<< paroles. >> Et il leur adressa en effet un petit discours qu'il avait préparé, grave et calme jusqu'à la froideur, uniquement appliqué à soutenir qu'il avait eu raison, que le mépris des droits du souverain était la vraie cause des malheurs du peuple, que le peuple ne devait avoir aucune part dans le gouvernement, qu'à cette seule condition le royaume retrouverait la paix et ses libertés. Pendant qu'il parlait, quelqu'un toucha à la hache; il se retourna précipitamment, disant : « Ne gâtez pas la <<< hache, elle me ferait plus de mal. » Et son discours terminé, quelqu'un s'en approchant encore : « Prenez << garde à la hache, prenez garde à la hache! » répétat-il d'un ton d'effroi. Le plus profond silence régnait : il mit sur sa tête un bonnet de soie, et s'adressant à l'exécu

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