fuyait devant eux, leur aile droite, bien que commandée par Robert lui-même, avait subi le même sort; après une lutte acharnée, elle avait cédé à l'invincible obstination de Cromwell et de ses escadrons; l'infanterie de Manchester avait consommmé sa défaite; et content d'avoir dispersé les cavaliers du prince, Cromwell, habile à rallier les siens, s'était reporté aussitôt sur le champ de bataille pour se bien assurer la victoire avant de songer à en jouir. Après un moment d'hésitation, les deux corps victorieux rengagèrent le combat, et à dix heures il ne restait plus un royaliste dans la plaine, si ce n'est trois mille morts et seize cents prisonniers'. Robert et Newcastle rentrèrent dans York au milieu de la nuit, sans se parler, sans se voir; et à peine de retour, ils s'adressèrent réciproquement un message: << J'ai résolu, manda le prince au comte, de partir ce << matin avec ma cavalerie et tout ce qui me reste d'in<<< fanterie. - Je pars à l'instant même, lui fit dire New<<< castle, et vais passer la mer pour me retirer sur le << continent. » L'un et l'autre tint parole: Newcastle s'em 1 Rushworth, part. 3, t. 2, p. 631-640; Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 7, p. 153-166; Mémoires de Ludlow, t. 1, p. 139-142, dans ma Collection; Mémoires de Hollis, p. 20-24, ibid.; Mémoires de Fairfax, p. 391395, ibid.; Mémoires de mistriss Hutchinson, t. 1, p. 437, ibid.-Whitelocke, p. 89; Carte's Letters, t. 1, p. 56 et suiv.; Baillie, Letters, t. 2, p. 36, 40. barqua à Scarborough; Robert se mit en marche vers Chester avec les débris de son armée, et York capitula au bout de quinze jours'. Le parti indépendant tressaillit de joie et d'espérance: c'était à ses chefs, à ses soldats qu'était dû un si brillant succès; l'habileté de Cromwell avait décidé la victoire; pour la première fois des escadrons parlementaires avaient enfoncé des escadrons royalistes, et c'étaient les saints de l'armée, les cavaliers de Cromwell. Avec leur général, ils avaient reçu sur le champ de bataille le surnom de Côtes de Fer. L'étendard du prince Robert lui-même, publiquement exposé à Westminster, attestait leur triomphe, et ils auraient pu envoyer au parlement plus de cent drapeaux ennemis si, dans leur enthousiasme, ils ne les avaient mis en pièces pour en orner leurs bonnets et leurs bras3. Essex avait vaincu deux fois, mais comme par contrainte, pour sauver le parlement près de périr, et sans autre effet : les saints cherchaient le combat, et n'avaient pas peur de la * Le 16 juillet 1644; Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 7, p. 156. • Au milieu de cet étendard on voyait un lion couchant; derrière lui un matin qui semblait le mordre, et de la gueule duquel sortait une banderole où on lisait le nom de Kimbolton; à ses pieds de petits chiens, devant la gueule desquels était écrit: Pym, Pym, Pym; et de la gueule du lion sortaient ces mots : Quousque tandem abuteris patientia nostra? (Rushworth, part. 3, t. 2, p. 635). * Rushworth, part. 3, t. 2, p. 635. victoire. Les Écossais, qui s'étaient montrés si faibles dans ce grand jour, prétendraient-ils désormais les soumettre à leur tyrannie presbytérienne? Parlerait – on encore de la paix comme d'une nécessité? La victoire et la liberté seules étaient nécessaires; il fallait les conquérir à tout prix, et pousser jusqu'au bout cette bienheureuse réforme tant de fois compromise par des hommes intéressés ou timides, tant de fois sauvée par le bras du Seigneur. Partout retentissait ce langage; partout les indépendants, libertins ou fanatiques, bourgeois, prédicateurs ou soldats, faisaient éclater leurs passions et leurs vœux; et partout se mêlait le nom de Cromwell, plus emporté que nul autre dans ses discours, en même temps qu'il passait déjà pour le plus habile à tramer de profonds desseins. «Milord, dit-il un jour à << Manchester, auquel le parti se fiait encore, mettez« vous décidément avec nous; ne dites plus qu'il faut se << tenir en mesure pour la paix, ménager la chambre << des lords, craindre les refus du parlement; qu'avons<<< nous à faire de la paix et de la noblesse? rien n'ira << bien tant que vous ne vous appellerez pas tout sim<< plement M. Montague: si vous vous attachez aux <<< honnêtes gens, vous serez bientôt à la tête d'une armée << qui fera la loi au roi et au parlement'. >>> Mémoires de Hollis, p. 25, dans ma Collection; Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 7, p. 253. Malgré l'audace de ses espérances, Cromwell luimême ne savait pas combien la victoire de son parti était prochaine, ni quel triste sort était près d'atteindre l'adversaire qu'il redoutait le plus. Essex s'était engagé de plus en plus dans l'ouest, ignorant quels périls s'amassaient derrière lui, et attiré par de faciles succès En trois semaines il avait fait lever le siége de Lyme, occupé Weymouth, Barnstaple, Tiverton, Tauton, et dissipé presque sans combat les corps royalistes qui tentaient de l'arrêter. Comme il approchait d'Exeter, la reine lui fit demander un sauf-conduit pour aller à Bath se remettre de ses couches. «Si votre << Majesté, lui répondit-il, veut se rendre à Londres, << non-seulement je lui donnerai un sauf-conduit, mais << je l'y accompagnerai moi-même; c'est là qu'elle rece<<< vra les meilleurs avis et les soins les plus efficaces << pour le rétablissement de sa santé: pour tout autre << lieu, je ne puis accéder à ses désirs sans en référer au <<< parlement '. >>> Saisie d'effroi, la reine s'enfuit à Falmouth, où elle s'embarqua pour la France 2, et Essex continua sa marche. Il était encore en vue d'Exeter lorsqu'il apprit que le roi, vainqueur de Waller, s'avançait rapidement contre lui, rassemblant sur sa route toutes Rushworth, part. 3, t. 2, p. 684; Whitelocke, p. 88. 2 Le 14 juillet 1644. les forces dont il pouvait disposer. Un conseil de guerre aussitôt convoqué, on se demanda s'il fallait poursuivre et s'enfoncer dans le pays de Cornouailles, ou rebrousser chemin, se porter au-devant du roi et lui offrir le combat. Essex penchait pour ce dernier avis; mais plusieurs officiers, lord Roberts entre autres, ami de sir Henri Vane; possédaient dans le pays de Cornouailles de grands biens dont les revenus leur manquaient depuis longtemps; ils avaient compté sur cette expédition pour se faire payer de leurs fermiers: ils repoussèrent toute idée de retraite, soutenant que le peuple de Cornouailles, opprimé par les royalistes, se soulèverait à l'approche de l'armée, et qu'Essex aurait ainsi l'honneur d'enlever au roi ce comté, jusque-là son plus ferme appui'. Essex se laissa persuader, et s'engagea dans les défilés de Cornouailles, en faisant demander à Londres des renforts. Le peuple ne se leva point en sa faveur, les vivres étaient rares, déjà le roi le serrait de près. Il écrivit de nouveau à Londres que sa situation devenait périlleuse, qu'il fallait absolument que Waller ou quelque autre, par une diversion sur les derrières de l'armée du roi, mît la sienne en état de se dégager. Le comité des deux royaumes fit grand bruit de son malheur, et parut animé d'une 1 Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 7, p. 168; Rushworth, part. 3, t. 2, p. 690. |