pense bien, dans leur prison du Temple : mais Danton et le Comité de Surveillance, qui dirigent tout, veulent les réserver comme otages ou pour un jugement solennel; et un simple ruban tendu autour du Temple suffit pour les protéger. Quelque soit le nombre des condamnés, il est sans doute toujours trop considérable pour que l'humanité n'en gémisse pas; mais les écrivains ( Barrière et Berville en 1823) qui l'ont porté à 12,852, et M. Thiers qui le porte de 6,000 à 12,000, ont commis une grave erreur ; car le royaliste Peltier ne le porte qu'à 1,005 le royaliste Maton de la Varenne a 1,089, et l'Histoire parlementaire présente ce dernier chiffre comme le plus conforme à la vérité. Et tous ces Juges, tous ces exécuteurs se croiraient déshonorés s'ils s'appropriaient l'argent, ou les bijoux, ou les effets quelconques trouvés sur les condamnés; tout est scrupuleusement déposé entre les mains de l'Autorité publique; et le Peuple va jusqu'à mettre à mort un malheureux qui veut emporter un mouchoir. Mais ceux d'entre eux qui n'ont que leur travail pour vivre demandent un salaire comme pour le service public; la commune fait payer 1,463 livres pour tous ces salaires. Du reste, le Comité de Surveillance ne se cache nullememt; car il écrit à toutes les Communes des Départements la lettre qui suit, revêtue de toutes ses signatures: Frères et amis, la Commune de Paris se hâte d'informer ses frères de tous les Départements qu'une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le Peuple, actes de justice qui lui ont paru indispensables pour retenir par la terreur ces légions de traîtres cachés dans ses murs au moment où il allait marcher à l'ennemi; et sans doute la Nation entière, après la longue suite de trahisons qui l'ont conduite sur les bords de l'abîme, s'empressera d'adopter ce moyen si nécessaire de salut public; et tous les Français s'écrieront comme les Parisiens: nous marchons à l'ennemi; mais nous ne laisserons pas derrière nous des brigands pour égorger nos enfants et nos femmes! » Et nous allons voir l'opinion des contemporains sur cet affreux événement. $ 21. Le Ministre Danton, organisateur du Massacre, toléré. Tout le monde sait que c'est Danton, Ministre de la Justice, l'un des Chefs du Gouvernement, élu à la presque unanimité par l'Assemblée Nationale, qui organise, ordonne le massacre avec Marat, chef du Comité de Surveillance; et l'on verra tout-à-l'heure que c'est encore Danton qui commandera, le 9, le massacre des prisonniers d'Orléans.-Eh bien, ses collègues, les autres Ministres, Roland, Servan, Clavières, Monge, Lebrun, tous Girondins, s'éloignent-ils de Danton avec horreur? Donnent-ils leur démission pour ne plus se trouver avec lui? - Non!... L'Assemblée, les Girondins qui la dirigent, Vergniaud, Brissot, prononcent-ils son accusation ou sa destitution ? Quelqu'un fait-il entendre à la tribune un seul mot contre lui?-Non !... C'est clair, tout le monde approuve avec effroi, parce que tout le monde sent le péril de l'attaque et l'impérieuse nécessité de la défense. § 22. Toutes les Autorités approuvent lc Massacre. Nous l'avons vu, le Ministre Danton et le Comité de Surveillance dirigent tout, ordonnent tout, et sont seuls obéis. -La Commune feint de vouloir arrêter, mais approuve, et n'arrête rien. —Le Maire Pėtion, qui préside la séance de la Commune le 1er septembre, qui ne doit rien ignorer, n'empêche rien, soit qu'il ne le veuille pas ou qu'il ne le puisse pas, ce qui prouverait qu'il n'a point d'influence réelle sur le Peuple. Tous les Ministres, excepté Danton, sont réunis à l'hôtel de la Marine; et quoique tous, surtout Rolland, Ministre de l'Intérieur, ne puissent ignorer le massacre, ils ne font rien non plus, absolument rien, pendant toute la journée et toute la nuit du 2, pour y mettre obstacle. L'Assemblée.. Remarquez bien ce que va faire l'Assemblée ! Des Commissaires de la Commune viennent annoncer que le Peuple veut forcer les prisons et prient l'Assemblée de délibérer sur cet obiet, en la prévenant que le Peuple attend sa décision. Au même moment Fauchet annonce que les 200 Prêtres renfermés aux Carmes viennent d'être massacrés. Que va faire la Représentation nationale, qu'on a vue si souvent s'indigner, s'irriter, s'enflammer au récit dumeurtre ou du péril d'un seul individu, qu'on a vue envoyer des Députations de vingt-quatre, cinquante, cent membres, et même s'élancer tout entière pour délivrer un Ministre ou un Seigneur en danger, ou pour une fête, ou pour complimenter le Roi, la Reine et leurs enfants? - Pas un cri, pas un mouvement! L'Assemblée ne mande pas à sa barre Danton, les Ministres, la Commune, le Maire, le Commandant de la Garde nationale!... Elle ne se transporte pas en masse aux prisons!... Elle se borne à envoyer cinq Commissaires !..... Et qui choisit-on pour arrêter le Peuple? Sont-ce les hommes les plus populaires? Non! Brissot, qui préside, choisit Dussaulx,un vieillard, le plus impuissant de tous ses membres, pour calmer une si effroyable tempête, en lui adjoignant Bazire, Isnard, et deux autres! Puis on s'occupe d'autres objets de peu d'importance. N'est-ce pas sentir et reconnaître la terrible nécessité d'approuver ou de tolérer! Bientôt on annonce l'impuissance des cinq Commissaires et la continuation du massacre. On dit qu'il faut prendre une autre mesure pour l'arrêter. Mais rien ! On reçoit la lettre de l'abbé Sicard, qui annonce que Monnot vient de lui sauver la vie... Et l'on décrète que Monnot a bien mérité de la Patrie. - Mais rien autre chose! Les 5 Commissaires reviennent et déclarent qu'ils n'ont pu ni se faire entendre, ni approcher, ni voir ce qui se passait à l'Abbaye. Et l'Assemblee ne se précipite pas elle-même avec 2 ou 3 bataillons, 50 tambours et 10 pièces de canon!... Lassource lit un projet d'Adresse aux Français pour les engager à sauver la Patrie... Il propose de prendre les armes et les habits de ceux qui ne partent pas... On écoute trois Anglais qui demandent des passe-ports pour retourner en Angleterre... On écoute la lecture d'une longue série d'articles pour des pensionnaires et des rectifications de noms. On suspend la séance à 11 heures... Mais toujours rien 302337 pour arrêter le massacre! Toujours aucun obstacle de la part du Maire Pétion, aucun effort ni de la part de Rolland et des autres Ministres, ni de la part de l'Assemblée!... A 1 heure, le bruit se répand dans la salle que le massacre continue... Mais toujours rien pour l'arrêter!... Les 5 Commissaires écrivent à la Commune pour avoir des renseignements précis. Mais rien qu'une lettre!... A deux heures et demie, trois Commissaires de la Commune viennent annoncer que les prisons sont vides... La Commune, dit Tallien en son nom, a envoyé des Commissaires aux prisons; mais on ne les a pas écoutés. Ils n'ont pu arrêter, à la Force, la juste vengeance du Peuple; car, nous devons le dire, ses coups sont tombés sur les fabricateurs de faux assignats. Ce qui a excité sa vengeance, c'est qu'il n'y avait là que des scélérats reconnus. A Bicêtre, dit un autre Commissaire, on est allé avec sept pièces de canon... Le Peuple, en exerçant sa vengeance, rendait aussi sa justice! Plusieurs prisonniers ont été élargis. » - Mais l'Assemblée ne dit rien, ne fait rien, absolument rien! ce n'est que le lendemain que, sur la proposition de Gensonné et de la Commission extraordinaire, l'Assemblée : « Considérant que l'un des plus grands dangers de la Patrie est dans le désordre et la confusion; que le Peuple Français ne peut se préparer des revers qu'en se livrant aux excès du désespoir et aux fureurs de la plus déplorable anarchie; que l'instant où la sûreté des personnes et des propriétés serait méconnue (elle ne l'est donc pas encore!) serait aussi celui où les haines particulières, l'esprit de faction et la fureur des proscriptions, allumeraient la guerre civile dans tout l'Empire, et nous livreraient sans défense aux attaques des satellites des tyrans; que l'exécration de la France entière et de la Postérité poursuivrait tous ceux qui oseraient résister à l'Assemblée; – que les plus dangereux ennemis du Peuple sont ceux qui cherchent à l'égarer, à le livrer à l'excès du désespoir, et à le distraire des mesures ordonnées pour sa défense et qui suffiront à sa sûreté. » « Considérant... combien il est urgent de rappeler le Peuple de la Capitale à sa dignité, à son caractère et à ses devoirs : « DÉCRÈTE : que la Municipalité, etc., sont chargés de donner tous les ordres nécessaires pour que la sûreté des personnes et des propriétés soit respectée; qu'ils prêteront et feront prêter serment de le faire; que tous les bons citoyens sont invités à se rallier plus que jamais à l'Assemblée; et que quarante-huit Commissaires porteront ce décret dans les quarante-huit Sections. >> Puis l'Assemblée fait la proclamation suivante : Citoyens, on veut vous diviser... Restez unis! Entendez la voix des Représentants de la Nation, qui les premiers ont juré l'Egalité ! » Mais, nous le demandons, l'Assemblée n'a-t-elle pas, par toute sa conduite avant ce décret, souffert, permis, autorisé? § 23. Le Ministre Roland excuse le Massacre. Le 3, le Ministre de l'intérieur écrit à l'Assemblée: Il est dans la nature des choses et dans celle du cœur humain que la victoire entraîne quelques excès: la mer, agitée par un violent orage, mugit encore longtemps après la tempête : mais tout a ses bornes ou doit enfin les voir déterminées... Hier fut un jour sur les événements duquel IL FAUT peut-être laisser UN VOILE. Je sais que le Peuple, terrible dans sa vengeance, y porte encore une sorte de justice; il ne prend pas pour victime tout ce qui se présente à sa fureur; il la dirige sur ceux qu'il croit avoir trop longtemps épargnés par le glaive de la loi, et que le péril des circonstances lui persuade devoir être immolés sans délai. Mais je sais qu'il est facile à des scélérats, à des traîtres, d'abuser de cette effervescence, et qu'il faut l'arrêter; je sais que nous devions à la France entière la déclaration que le Pouvoir exécutif n'a pu prévoir ni empêcher ces EXCÈS. — J'ai désiré le 10 août, dira encore Roland (le 13, dans une Adresse aux Parisiens); j'ai frémi sur les suites du 2 septembre ; j'ai bien jugé ce que la patience longue et trompée du Peuple et ce que sa justice AVAIENT DU PRODUIRE ; je n'ai point inconsidérément blámé un terrible et premier mouvement ; j'ai cru qu'il fallait éviter sa continuité, et que ceux qui travaillaient à la préparer étaient trompés par leur imagination ou par des hommes cruels et mal intentionnés. » § 24. Les Journaux approuvent le Massacre. Si la Justice du Peuple a été terrible, dit le Moniteur, il est certain qu'il faisait éclater la plus grande joie quand il n'avait point à punir: l'innocent était porté en triomphe, aux cris de vive la Nation!» Prudhomme approuve les massacres; il loue la justice du Peuple et sa sévérité. -Ce sont, dit-il, les criminelles lenteurs des Juges ordinaires qui portèrent le Peuple à ces extrémités. - Le 2 septembre, dira-t-il plus tard, le Peuple fit retomber sur la tête des Juges le sang de tous les criminels trop longtemps impunis, |