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Les Feuillants recourent encore à Lafayette, et Lafayette consent encore à venir en personne menacer l'Assemblée. Ils vont faire, commele Peuple, une visite inconstitutionnelle et insurrectionnelle !

D'abord les Feuillants, de concert avec les États-majors de plusieurs des régiments de Lafayette, lui font envoyer des Adresses au nom de ces régiments, et Lafayette reçoit ces adresses et fait un ordre du jour à toute son armée, dont il se croit adoré... Ainsi, ce Lafayette, qui parle sans cesse de son respect pour la loi, le voilà qui fait ou laisse délibérer l'Armée, au mépris de tous les principes !

Puis il s'entend avec le vieux et faible Lukner, et lui fait écrire une lettre au Roi!...

Puis, le 28 juin, il arrive à Paris, et se présente à la barre de l'Assemblée comme l'organe de son Armée. Il lui demande: 1o de poursuivre les instigateurs du 20; - 2o de DÉTRUIRE les Jacobins; - 3o de faire respecter les Autorités et la Constitution.

Mais c'est lui qui la viole! Et c'est ce qu'on va lui dire.... La Droite l'applaudit, c'est convenu: mais le Girondin Guadet monte à la tribune,

« Je n'examinerai pas, dit-il, si M. de Lafayette, qui ne voit dans le Peuple Français que des factieux entourant et menaçant les Autorités, n'est pas lui-même entouré d'un Etat-major qui le circonvient; mais je ferai observer à M. de Lafayette qu'il manque à la Constitution en se faisant l'organe d'une Armée légalement incapable de délibérer, et que probablement il a manqué à la hiérarchie des pouvoirs militaires en venant à Paris sans l'autorisation du Ministre. >>>

Guadet demande que la Commission extraordinaire fasse un rapport sur la question de savoir si un Général pourra entretenir l'Assemblée d'objets purement politiques.

La Droite répond que le fils aîné de la Liberté peut bien présenter une pétition, quand on a reçu tant de pétitionnaires armés. - Mais l'Assemblée vient de décréter qu'on n'en recevra plus, et Lafayette connaît ce décret.

Cependant, après un long tumulte et un double appel, l'Assemblée approuve implicitement, à la majorité de quelques voix, la démarche de Lafayette, en décidant qu'elle examinera sa pétition.

Il sort comme en triomphe, escorté par la Droite et par beaucoup de Gardes nationaux envoyés par les Feuillants. Maisle Parti populaire n'en est que plus furieux contre lui et contre la Cour, qui cependant va repousser le Général. D'accord avec les Feuillants, Lafayette court de suite au Château offrir son dévouement et ses services; et si le Roi le lui permet, il va probablement tenter un coup d'État et massacrer les Jacobins; mais les Courtisans l'insultent; le Roiet la Reinele reçoivent avec froideuret font même savoir à quelques Chefs dela Garde nationale qu'il ne faut pas l'appuyer, tandis que d'autres Chefs font pousser des cris de vive Lafayette! et font planter un mai devant sa porte, dans l'espérance d'échauffer le Peuple en sa faveur. - On voit quelchaos! Et quoique rebuté par la Cour, Lafayette n'en veut pas moins sauver le Roi malgré lui, en attaquant les Jacobins, contre l'opinion de ses propres amis.

§4. - Lafayette veut attaquer les Jacobins.

Ce sont les Jacobins qu'il veut absolument détruire, à tout prix, par tous les moyens, par la force brutale. - Vainement une partie des Feuillants blâment-ils cette violation manifeste de la Constitution et des lois; rien ne l'arrête... Et cependant il invoque sans cesse la Constitution et les lois !.. Que ne dirait-on pas si c'était Robespierre!

Il donne donc rendez-vous à ses amis de la Garde nationale, pour aller en armes expulser les Jacobins, saisir leurs papiers, raser leur salle ou murer leur porte...

Quoi! dira-t-on... Mais c'est une émeute, une insurrection contre les Jacobins, un guet-apens, une voie de fait, un attentat, un crime punissable de mort!... Et si les Jacobins repoussent la force parla forceet répondent par des coups de fusil!... Si le Peuple vient écraser et exterminer Lafayette

et ses Gardes nationaux!... Et si au contraire Lafayette surprend les Jacobins désarmés, ou s'il est le plus fort dans le combat, il égorgera donc et massacrera les Jacobins, deux mille, ou dix mille, ou vingt mille hommes, le Duc d'Orléans, le Duc de Chartres!... Et l'on vantera de nouveau son admirable générosité et son humanité ! Il parlera plus que jamais de son inviolable respect pour ses serments, pour la Constitution, la loi, l'ordre public, les personnes et les propriétés.

Mais c'esten vain qu'il fait un appel au courage de tous ses partisans; cent seulement se trouvent au rendez-vous des Champs-Elysées. C'est en vain qu'on s'ajourne au lendemain soir, avec la résolution d'attaquer si l'on est au nombre de trois cents; moins de trente se présentent le second jour; et Lafayette, obligé de partir sans avoir rien pu faire, se dédommage en écrivant à l'Assemblée une nouvelle lettre, dans laquelle il se dit l'organe des bons citoyens et des honnêtes gens contre les Jacobins et les factieux, comme si la Cour ne l'avait pas traité lui-même de factieux quand il a signé le serment du Jeu-de-Paume et participé à la résistance!

« Je m'étonne, s'écrie Isnard, que l'Assemblée n'ait pas envoyé, de sa barre à la Haute-cour d'Orléans, ce soldat factieux! »

Et que de temps Lafayette fait ainsi perdre quand l'ennemi s'avance! Et comment ne pas croire que les Jacobins sont le salut de la France, quand on voit que ceux qui veulent la perdre ou la sacrifier à Louis XVI ne trouvent rien de mieux à faire que de chercher à les anéantir! Les Jacobins fermés, Louis XVI est sauvé, la Coalition et l'Émigration arrivent, et la France est noyée dans son sang.

Et voyez encore l'esprit de vertige ou la fatalité qui entraîne la Cour! C'est la Reine qui, dans sa haine contre Lafayette, détourne ses amis de l'appuyer dans ses projets d'attaque contre les Jacobins! C'est elle qui fait connaître ces projets à Pétion!

Le jour même de son départ, les Cordeliers vont abattre le mai que les épauletiers de la Garde nationale ont élevé devant la porte de Lafayette; son effigie est brûlée solennellement au Palais-Royal; et l'exaspération populaire contre le Général est telle qu'on craint quelque insurrection.

T. III.

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<< - Citoyens, dit Merlin à la tribune des Jacobins, soyez calmes pour mieux frapper Lafayette ! On voudrait du trouble pour enlever le Roi et le conduire à Metz. »

• - Citoyens, dit Pétion dans une proclamation, l'orage se prépare; soyez plus calmes que jamais! Le trouble perdrait la chose publique; la tranquillité la sauvera.... On cherche à fatiguer votre patience, à exciter votre indignation: ayez le courage de résister froidement à toutes ces provocations. Le moment est arrivé où les intrigants vont paraître à découvert, où l'on distinguera les Faux ADORATEURS de la Constitution. >>>

-Hier, dit Brissot ironiquement, les belles patrouilles du brave bataillon des Filles-Saint-Thomas s'amusaient à diviser les groupes de Sans-culottes qui avaient l'audace de blâmer le grand Général. Une foule de ci-devant Gardes-du-corps, d'escrocs modérés, d'agioteurs Fayettistes, et de prostituées Feuillantines, applaudissaient les belles patrouilles du brave bataillon. »

§5. - Invasion imminente

Cependant, quatre-vingt mille Prussiens, vieux soldats, commandés par un Général célèbre, le Duc de Brunswick, arrivent subitement à Coblentz et peuvent être dans six semaines à Paris.

La Reine a leur itinéraire, et sait quel jour ils doivent être à Verdun, quel jour à Lille : mais les Ministres cachent tout à l'Assemblée, et ne font rien pour augmenter l'armée, exciter 'enthousiasme, défendre les frontières... Trahison, trahison!

Lukner est forcé d'évacuer la Belgique; et dans la retraite, un officier brûle le faubourg de Courtray: on croit que c'est encore une trahison pour irriter les Belges.

Mais l'Assemblée somme les Ministres de déclarer leurs moyens de défense, et le Peuple se prépare à l'insurrection.

:

$6. - Commencement d'insurrection générale.

Tandis que plusieurs villes, surtout Rouen, envoient des adresses contre les Jacobins, d'autres, en plus grand nombre, en envoient de terribles contre Louis XVI et la Reine.

- Le moment est venu, dit l'adresse de Clermont-Ferrand, où le tonnerre de la Nation doit écraser toutes les têtes coupables. C'est en vain que le Roi dissimule... Il est parjure à ses serments... Abu

sera-t-on plus longtemps de notre patience? Vous nous appelez'; nous marchons; nous sommes à Paris. »

Le Peuple est souverain, dit l'adresse de Grenoble: si Louis XVI ne veut pas être un avec la Nation, la Nation va se lever tout entière; et, la Constitution à la main, elle s'écriera: Louis XVI, Roi des Français, est déchu de la couronne. »

" - Ne vous fiez pas, dit l'adresse de 6,000 Lyonnais, aux parotes d'un Roi qui vous trompe; prévenez, par une grande mesure, une insurrection que votre indifférence rendrait légitime. »

«

Mettez la Reine en accusation, dit l'adresse de Laval. »

Les Sections de Paris envoient aussi de menaçantes Députations :

- L'horizon politique de la France se couvre de nuages, dit la Croix-Rouge; la foudre gronde; elle est près d'éclater; le silence du désespoir occupe les amis de la liberté; le Peuple entier, à demi levé, n'attend que le signal de ses Représentants... Cette barre a été souillée par la présence d'un Chef rebelle et factieux, d'un Général qui abandonne lâchement son armée et qui la livre à la merci de l'ennemi, pour venir faire ici le Protecteur et le Dictateur. »

• - Licenciez l'Etat-major de la Garde nationale, dit la Section Bonne-Nouvelle cette corporation aristocratique, ce Directoire militaire, cette Féodalité moderne, est l'une des sources de nos maux. » <<< - Roi des Français, dit l'adresse de Montpellier, lis et relis la lettre de Roland: elle contient tes devoirs et nos droits..... Nous défendrons la liberté que nous avons conquise..... Nous résisterons à l'oppression.... Nous punirons tous les TRAÎTRES. >>>

<<< - Frères et amis, dit la même adresse aux Parisiens: nous espérons trouver en vous les vainqueurs de la Bastille, et nous partons pour vous rejoindre. »

<<< - La Patrie est en danger, dit la Fédération Bretonne, et nous voulons la défendre: si vous l'aimez comme nous, suivez notre exemple; le rendez-vous est sous les murs de Paris. »

Quoique le décret sur le camp de vingt mille hommes ne soit pas sanctionné, beaucoup de villes, notamment Bor-deaux et Marseille, pressées par les Girondins, envoient leurs Fédérés à Paris. - Cet envoi est certainement illégal, et c'est véritablement un commencement d'insurrection. Mais les Girondins le font légaliser en faisant décréter que tous les Fédérés passeront par Paris, et qu'ils assisteront à la

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