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Il disposera son armée de manière que les meilleurs escadrons de grenadiers et l'artillerie à cheval soient sous les ordres d'un royaliste sûr... En deux jours, il emmènera à Compiègne 15 escadrons et 8 pièces de canon, et échelonnera le reste de l'armée à une marche de distance... Il emmènera aussi 5 escadrons de l'armée de Lukner et son artillerie à cheval, dont il dispose personnellement.

« Il faut absolument, dit-il, que le Roi quitte Paris... Nous perdrons la première bataille, il est impossible d'en douter : le contre-coup s'en fera ressentir dans la capitale. Je dis plus; il suffira d'une supposition d'une correspondance de la Reine avec les ennemis pour occasionner les plus grands excès. Du moins voudra-t-on emmener le Roi dans le midi; et cette idée qui révolte aujourd'hui, paraîtra simple lorsque les Rois ligués approcheront; je vois donc, immédiatement après le 14, commencer une suite de dangers. >>>

Comme il justifie bien les violences futures! Les gens mêmes que l'idée d'emmener le Roi révolte aujourd'hui trouveront cette violence simple, naturelle et juste, quand l'ennemi s'avancera, parce que l'arrivée de l'ennemi et la trahison du Roi paraîtront tout justifier.

• Il faut que le Roi mande Lukner et moi. Nous arriverons le 12 au soir. Le 13 et le 14 peuvent fournir des chances offensives... Qui sait ce que peut faire ma présence sur la Garde nationale? >>>

Ainsi, il attaquera, s'il est possible...!

« Le 14, Lukner et moi nous accompagnerons le Roi à l'autel de la Patrie. Les deux Généraux, représentant deux armées qu'on sait leur être très-attachées, empêcheront les atteintes qu'on voudrait porter à la dignité du Roi. Quant à moi, quelques moyens personnels de tirer parti d'une crise (comme au Champ-de-Mars!) peuvent me rendre utile... » Ma demande est d'autant plus désintéressée que ma situation sera désagréable par comparaison avec la Fédération de 1790. » Certainement! on pourra crier au renégat !

Voilà pour les dangers du 14: voici pour la fuite du 15.

« Le serment du Roi, le nôtre, auront tranquillisé les gens qui ne sont que faibles; et par conséquent les coquins seront pendant queljours privés de cet appui. >>>

Ainsi, tous ceux qui demandent le serment du Roi et sa fidélité pour être tranquillisés sont des gens faibles; tous ceux qui ne croient pas à ses serments et qui lui sont hostiles parce qu'ils le croient parjure et traître sont des coquins... Et c'est pour enlever aux incrédules l'appui des crédules en trompant ceux-ci que Lafayette va prêter un nouveau ser-ment avec l'intention de se parjurer!

« Je voudrais que le Roi écrivit à Lukner et à moi une lettre comnune qui nous trouverait en route et dans laquelle il nous dirait : « qu'après avoir prêté notre serment, il faudrait s'occuper de prou ◄ ver aux étrangers sa sincérité, et que le meilleur moyen serait qu'il << passât quelques jours à Compiègne;.. que nous l'y accompagnerions, « et que nous le laisserions là pour aller rejoindre chacun notre ar• mée, après lui avoir donné pour sa garde les escadrons dont les • chefs seraient connus par leur attachement à la Constitution. »

Ainsi, c'est quand il va se parjurer, fuir dans le camp de Lafayette, trahir, et détruire la Constitution, que Louis XVI parlerait de serment, de sincérité, de simple voyage à Compiègne, d'attachement à la Constitution...! Et c'est Lafayette qui propose cette lettre prétendue confidentielle pour la montrer et en faire grand bruit! c'est lui qui propose ces mensonges, ces parjures, ces roueries, pour consommer une trahison! Bon Dieu, où sommes-nous arrivés? faut-il que les révolutions dénaturent et pervertissent à ce point les hommes qui se montrent d'abord les plus généreux !

Si c'était 'Robespierre, où trouverait-on assez de boue...? Et parce qu'on s'appelle Lafayette, il faudra tolérer, excu-, ser, admirer peut-être...!

• Nous enverrons à Compiègne quatre pièces d'artillerie à cheval, huit si l'on veut; mais il ne faut pas que le Roi en parle dans sa lettre, parce que l'ODIEUX du canon doit retomber sur nous."

Comme il se condamne! Il sent combien il est odieux de se préparer à mitrailler le Peuple, à en tuer 10,000, même 50,000, s'il le faut, pour assurer la fuite et la trahison! Et ces prétendus modérés crientcontre les violences populaires!

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« Le 15, à dix heures du matin, le Roi irait à l'Assemblée, accom-' pagné de Lukner et de moi; et soit que nous eussions un bataillon soit que nous eussions 50 hommes à cheval de gens dévoués au Roi ou de mes amis, nous verrions si le Roi, la famille royale, Lukner et moi, nous serions arrétés !... »

Oui, on se gênerait bien pour cela, comme on s'est bien gêné le 6 octobre, le 18 avril, le 20 juin!

• Je suppose que nous fussions arrêtés, Lukner et moi rentrerions à l'Assemblée, pour nous plaindre et la MENACER de nos armées. » Et l'accusation! et l'insurrection!

« Si l'Assemblée décrétait que les Généraux ne doivent pas venir dans la capitale, il suffirait que le Roi refusât immédiatement sa sanction. Et si, par une fatalité inconcevable, il avait déjà donné cette sanction, qu'il nous donne rendez-vous à Compiègne, dût-il être arrêté en partant: nous lui ouvrirons les moyens d'y venir libre et triomphant. »

Par la force, la guerre, le sang!... En vérité, Louis XVI a bien raison de refuser!... Mais Lafayette, quel rôle!..

Et en envoyant, le 9, cette lettre de Lafayette au Roi, Lally-Tollendal ajoute de la part de Lafayette :

<<< - Les suites de ce projet sont :-La paix avec l'Europe par la médiation du Roi; ie Roi rétabli dans tout son pouvoir légal; - une large et nécessaire extension à ses prérogatives sacrées; - une véritable Monarchie ; - une véritable Représentation nationale choisie parmi les propriétaires; - la Constitution révisée, abolie en partie;

l'ancienne Noblesse rétablie dans ses anciens priviléges civils, titres, armes, livrées. »

Voila comme Lafayette médite de traiter la Déclaration des droits de l'homme et la Constitution!... C'est presque incroyable!... Eh bien, Robespierre avait-il raison de suspecter Lafayette, de le poursuivre sans relâche comme un Monk ou un Cromwell, comme le plus dangereux ennemi du Peuple, de la Constitution et de la Révolution ?...

• Je remplis ma commission sans me permettre de conseil : j'ai l'imagination trop frappée de la rage qui va s'emparer de toutes ces tétes perdues, à la première ville qui va nous être prise. »

Et que ne serait pas cette rage, si l'on connaissait alors ces deux lettres et ces projets de Lafayette, sur lesquels on n'a que des soupçons!

« J'avais rompu avec Lafayette : mais il reconnaît ses anciennes erreurs, et veut s'immoler pour le Roi: Liberté du Roi et DESTRUCTION DES FACTIEUX, voilà son but aujourd'hui. >>>

DESTRUCTION des factieux! Tout ce qui pense comme lui est honnêtes gens; tout le reste de la France est factieux! Et il faut détruire, tuer, massacrer tous les factieux! Et quand

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Lafayette parle ainsi, que ne doit pas dire l'Emigration! Et l'on accuse le Peuple de cruauté !!

Et pendant qu'il détruirait les factieux, il abandonnerait les frontières à l'ennemi! Il déserterait son poste! Il trahirait la France! Il violerait la Constitution! Il foulerait aux pieds les principes de liberté, de légalité, de souveraineté du Peuple, de soumission de l'autorité militaire à l'autorité civile... Il imiterait Cromwell pour donner une seconde fois l'exemple d'un soldat levant le sabre sur la Représentation nationale !... Nous en avons l'âme navrée !...

Les Jacobins, qui ne peuvent connaître cette correspondance, devinent cependant les projets de Lafayette. Ils croient qu'il est à Paris ou qu'il y sera le 14, avec Narbonne et d'autres; qu'il a écrit à la Reine qu'il vient délivrer; qu'il excitera du trouble en payant des agents pour crier vive le Roi! et à bas le Roi! et qu'il profitera du désordre pour se faire proclamer Généralissime, pour écraser les patriotes, et pour enlever le Roi et sa famille. Robespierre, rappelant qu'il a fait pendre le boulanger François pour obtenir la loi mar tiale, et les deux vieillards au Gros-Caillou pour avoir un prétexte de massacrer au Champ-de-Mars après avoir ménagé la fuite à Varennes, affirme qu'il médite quelque crime, parce qu'il ne lui reste plus d'autre moyen de poursuivre sa carrière ambitieuse. On voit comme Robespierre devine juste !

C'est pour faciliter ce projet de Lafayette que le Directoire, d'accord avec lui, a suspendu Pétion. Il parait même qu'il voulait le faire arrêter, ainsi que 36 Députés; il paraît aussi que le Roi veut d'abord favoriser ce plan, car il va prendre une mesure bien hardie et bien dangereuse, pour aider Lafayette qui demande la suspension de Pétion jusqu'après le 15.

§21. - Pétion suspendu par le Roi, rétabli par l'Assemblée. Le 12, le Roi annonce qu'il confirme la suspension de Pétion: c'est braver l'Assemblée! Mais le 13, l'Assemblée rétablit Pétion: c'est méconnaître l'autorité royale, supposer Louis XVI déchu, et faire acte de dictature!

Т. III.

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Ce retablissement de Pétion déconcerte tous les plans de Lafayette et du Roi. Aussi, ce rétablissement de Pétion est célébré par le Peuple comme une victoire de la Révolution sur la Royauté; et le Peuple renouvellera demain son triom-phe; car c'est demain grande fête, la fête de la Fédération.

$22. Fête de la Fédération.

Rappelons-nous la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 (T. I, p. 461): tout respirait alors la joie et l'espérance, l'Égalité et la Fraternité : mais aujourd'hui, pendant le danger de la Patrie, au milieu des accusations de trahison et de parjure, tout présente l'aspect de la guerre et de la colère.

<< 83 tentes, et les Fédérés prêts à marcher au combat, représentant les 83 Départements sous les armes. Près d'elles s'élèvent 83 peupliers, symboles de liberté, au sommet desquels flottent des banderolles tri colores. Deux autres tentes reçoivent, l'une le Roi et la Représentation nationale, l'autre les Représentants de Paris. - L'ancien autel de la Patrie ne voit plus de Prêtres. - D'un côté s'élève un monument funèbre pour les patriotes déjà victimes, et pour ceux qui vont être martyrs en combattant l'Étranger. - De l'autre côté s'élève, du milieu d'un vaste bûcher, l'arbre immense de la Féodalité, qui porte sur ses branches des couronnes, des tiares, et tous les emblèmes de l'Aristocratie nobiliaire, sacerdotale et parlementaire. - Le cortége part de l'ancienne place de la Bastille, où l'on vient de placer la première pierre d'une colonne, et arrive au Champ-de-Mars où le Roi se trouve, au balcon, avec sa famille. - Devant lui défilent: - une foule du Peuple criant: vive Pétion (chef connu de l'insurrection)! Pétion ou la mort! - les Fédérés, portant la Bastille en relief, et une presse qui s'arrête de temps en temps pour imprimer des chansons patriotiques; - la Garde nationale; - la troupe de ligne; - les Autorités, - et l'Assemblée. - La foule est si épaisse, au milieu, que Louis XVI a beaucoup de peine à pénétrer jusqu'à l'autel. Il y prête serment; l'arbre de la Féodalité disparaît au milieu des flammes; et chacun rentre sans accident. Mais les visages sont sinistres; on entend l'effroyable cri Pétion ou la mort! on voit partout l'avant-coureur de l'insurrection. »

Il paraît que tout était disposé pour enlever le Roi pendant la fête.

• 3,800 hommes qui l'escortaient (dit le royaliste Maton de la Varennes), dont 500 Suisses, 3,000 Gardes nationaux et 8,300 Gendarmes

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