Ils exploitent et excitent la jalousie des Départements contre Paris, la poltronnerie de tous les peureux en parlant continuellement de projets de massacre, la bonhomie des gens faibles en parlant sans cesse de leur humanité, et la timidité du Centre de la Convention en lui montrant sans cesse des poignards suspendus sur sa tête. Appelés Hommes d'État par dérision, ils prouvent chaque jour que personne ne mérite moins ce titre, puisque personne n'a commis tant de fautes et n'a comme eux perdu la Majorité. Leur partialité se montre sans égale dans leurs ménagements pour Danton, le principal acteur de Septembre, tandis qu'ils poursuivent avec fureur l'acteur secondaire. Leur peu de générosité se révèle par leur soin à s'emparer exclusivement de tous les pouvoirs, de tous les Comités, de toutes les fonctions dans l'Assemblée, sans laisser aucun organe à leurs adversaires. Leur peu de loyauté et même leur mauvaise foi se manifestent fréquemment, soit quand Roland publie, contre son engagement, sa lettre à Louis XVI, soit quand il substitue, dans les bureaux de la poste, des écrits Girondins à des écrits Jacobins, soit quand Guadet reproche aux Montagnards de vouloir un Roi plébéien, soit quand ils imputent au Peuple entier les opinions qu'ils savent bien n'être que les opinions individuelles de Marat. Ils se déshonorent comme les plus odieux calomniateurs, quand ils accusent les Jacobins d'être des factieux, des anarchistes qui ne veulent ni lois ni ordre public, et quand ils s'obstinent à présenter Septembre comme une œuvre de brigandage et de scélératesse, et le parti populaire comme ne voulant que des pillages et des massacres. Et cependant ils ne peuvent pas dire qu'ils ne sont pas sanguinaires eux-mêmes! Car leur Déesse excitait C. Desmoulins et le Peuple à lanterner les Aristocrates; ils ont approuvé le 2 Septembre; ils se glorifient d'approuver encore le 10 août ; ils demandent continuellement des lois à peine de mort et des tribunaux révolutionnaires: ils demandent les têtes de Robespierre et de Marat, des Septembriseurs, de tous ceux qu'ils appellent conspirateurs, c'est-à-dire de tous leursennemis; ils provoquent les émeutes et les assassinats; il demandent la guerre civile, qui ferait couler des torrents de sang ; et si, après la guerre civile ou pendant la guerre civile, ils avaient besoin de tuer 100,000 Jacobins, qui peut douter qu'ils sont résolus à en massacrer 100,000, comme sous la réaction Thermidorienne? Ils ne sont pas même Amis de l'ordre puisqu'ils sèment partout la division et qu'ils veulent la guerre civile ! Ils ne sont pas même vraiment patriotes, puisqu'ils calomnient leur Patrie et la déshonorent par leurs calomnies. Et que ne devrait-on pas dire d'eux, s'il était vrai que les chefs se fussent vendus soit à Louis XVI, soit à l'Étranger, et qu'ils eussent abusé de leurs fonctions pour s'enrichir! Aussi, que de mal ne font-ils pas ! §33. Mal que font les Girondins. Si les Girondins et les Jacobins étaient unis, les Royalistes écrasés et terrifiés par le 10 août, le 2 septembre, la proclamation de la République, le jugement de Louis XVI et les triomphes des armées, se résigneraient peut-être ou du moins n'auraient pas tant d'ardeur et d'unité. Mais les Girondins font presque alliance avec les Royalistes; leurs intrigues du moins, leurs hostilités contre le parti populaire, les divisions qu'ils sèment et qui affaiblissent la Révolution, encouragent tous les ennemis au dedans et au dehors, et favorisent les conspirations et les insurrections, les coalitions et les invasions, comme Arthur Dillon le prédisait au roi de Prusse (p. 211 ). Si, d'accord avecles Jacobins, ils avaient fait un Manifeste pour expliquer aux Peuples le vrai caractère du 2 Septembre, en le présentant comme un acte d'insurrection et de guerre, de défense et de fatale nécessité, ils auraient peut-être imposé silence aux ennemis dela France: mais leurs accusations et leurs calomnies seront l'éternel refrain des Contre-révolutionnaires, des Aristocrates, de tous les futurs partisans des futurs Despotismes, et de tous les cabinets étrangers: Pitt et Burke ne pourront rien faire de mieux, pour entraîner l'Angleterre et tous les Peuples contre la France, que de répéter les diatribes des Girondins contre Paris et les Jacobins. Ce sont eux qui ont fait déclarer la guerre et ce sont eux qui ont empêché la République d'utiliser la condamnationde Louis XVI, en lui conservant la vie pour obtenir la paix. Et d'un autre côté, ces résistances, ces attaques, ces outrages, ces calomnies, ces menaces des Girondins, ces provocations à la guerre civile, ces dangers qui vont en naître, vont produire des divisions, une irritation, une colère, qui donneront à la Révolution un caractère terrible et nouveau, et qui pousseront le parti révolutionnaire à s'exterminer luimême, en sorte que, dans la réalité, ce sont les Girondins qui seront cause de la Terreur et de ses conséquences. Vraiment, ces Girondins, dont beaucoup de gens parlent avec tant d'éloges, sont bien coupables envers le pays, tandis que ces Jacobins tant décriés l'ont déjà sauvé et le sauveront encore par leur clairvoyance, leur dévouement, leur énergie. Mais, quelque déplorables que soient les fautes, les torts, le crime même si l'on veut, des Girondins, c'est un fait auquel il faut bien se résigner; c'est un malheur qu'a voulu la Fortune : les Girondins auraient pu être pires et faire plus de mal encore; au lieu de nous en irriter ou de nous en étonner ou d'en gémir inutilement, remarquons toujours que c'est l'inévitable conséquence des vices de l'organisation sociale, et que c'est dans une organisation plus parfaite qu'il faut chercher le remède à tant de calamités. Reprenons le récit des faits. CHAPITRE III. 321 VICTOIRE DES JACOBINS. - PROCÉDURES CONTRE LE DEUX SEPTEMBRE ABANDONNÉES.-ROLAND ACCUSÉ DE CONCUSSIONS.-ATTITUDE DE LA CONVENTION APRÈS LE VINGT-UN JANVIER. -- L'ANGLETERRE ORGANISE LA COALITION GÉNÉRALE. FINANCIER. CLUBS RÉVOLUTIONNAIRES ANGLAIS. PEUPLES TROMPÉS ET ENTRAINÉS. - PLAN GÉNÉRAL DE DÉFENSE. - SUCCÈS EN HOLLANDE: REVERS EN BELGIQUE. - PROJET DE CONSTITUTION PAR LES GIRONDINS. MISÈRE DU PEUPLE. - VIOLENCE DES SECTIONS. - OPINION DES JACOBINS SUR LE REMÈDE ACCUSATIONS ENTRE LES JACOBINS ET LES GIRONDINS. -INTERVENTION DES FEMMES.- ARTICLE DE MARAT CONTRE LES ACCAPAREURS.PILLAGE DU VINGT-CINQ FÉVRIER. - DISCOURS DE ROBESPIERRE AUX JACOBINS. - MARAT MIS EN ACCUSATION. - MESURES CONTRE L'ÉMIGRATION ET L'ÉTRANGER. - PÉRIL DES GIRONDINS. - MARSEILLE PROPOSE D'EXCLURE LES GIRONDINS. - REVERS, EFFROI, CRIS. - ÉNERGIE PATRIOTIQUE. TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.-JOURNÉE DU DEX MARS; ESSAI D'INSURRECTION CONTRE LES GIRONDINS.-DANTON EST L'ORDONNATEUR DU MOUVEMENT. - NOUVELLE TENTATIVE DE RÉCONCILIATION. L'exécution de Louis XVI, malgré tous les efforts des Girondins pour le sauver, est une victoire décisive de la Montagne sur la Gironde, du mouvement sur la résistance. L'assassinat de Lepelletier fournit encore aux Montagnards une arme puissante pour achever deterrasser leursennemis. « Voilà, leur disent-ils, l'effet de vos longues calomnies, et aujourd'hui quel est le parti qui prépare des poignards, quel est celui où les assassins cherchent des victimes ? >> Démentis par les faits et vaincus, les Girondins devraient se résigner noblement, céder la place à leurs vainqueurs, et ne plus travailler qu'à réparer leurs fautes et le mal qu'ils ont fait. Les Jacobins auraient probablement assez de patriotisme pour oublier le passé. - Mais la Gironde veut continuer la lutte au risque de tout perdre; et nous allons voir la Montagne travailler à consolider sa victoire. A peine Louis XVI venait-il d'expirer, Barrère demande: • Que le corps de Lepelletier soit déposé au Panthéon, que la Convention entière assiste à ses funérailles, et que tous les représentants s'y jurent une union fraternelle. » << Je demande aussi les honneurs du Panthéon pour Lepelletier, dit Robespierre; car ces honneurs seront pour la République plus que pour un individu. » Et ces honneurs sont décrétés avec transport... Et c'est au votant la mort de Louis XVI qu'ils sont décernés, c'est aux Montagnards en masse, c'est à la République!!! Je fais aussi des vœux pour l'union, ajoute Robespierre; mais pour l'union des principes et non pas seulement pour celle des individus... Il est beau que des Députés s'embrassent; mais il est plus beau qu'ils se précipitent pour embrasser la statue de la Liberté. » Le corps de Lepelletier, exposé nu sur le lit où il a rendu le dernier soupir, avec les draps ensanglantés, avec le sabre dont il a été frappé, placé à côté, est présenté à la vue du Peuple, sur le piédestal de la place des Piques, orné de draperies blanches, de festons de chêne et de cyprès, et d'une inscription contenant les dernières paroles du martyr : « Je suis satisfait de verser mon sang pour ma Patrie... J'espère qu'il servira à consolider la liberté et l'égalité, et à faire connaître ses ennemis. >>> Les funérailles seront célébrées le 24, avec pompe, au Panthéon. Le frère de Michel (Félix Lepelletier) prononcera l'éloge funèbre en votant comme lui la mort des Tyrans ; et les Représentants du Peuple, se rapprochant du corps, se promettront union et jureront le salut de la Patrie. Le lendemain la fille de Michel Lepelletier est adoptée au nom de la République. |