il se plaint sans cesse... Il faut qu'il commence par ordonner l'éloignement des troupes étrangères; il doit ensuite choisir un Ministère patriote, congédier Lafayette.... offrir les fusils et les chevaux de sa garde... solliciter une loi qui assujettisse LA LISTE CIVILE à une comptabilité publique.... et déclarer qu'il n'acceptera d'autre augmentation de pouvoir que celle qui viendra du consentement libre de la Nation. » Cette transaction, à l'insu des Jacobins, après avoir voulu la guerre, après avoir les premiers parlé de République, après avoir tout excité en parlant de déchéance à la tribune, n'est-elle pas une espèce de trahison ? - Trahison, non, nous ne croyons pas, puisqu'ils veulent avant tout l'éloignement de l'Étranger : mais c'est une grande irrégularité, une témérité extrême, une immense responsabilité, une grande imprudence si la lettre est découverte un jour. Mais Louis XVI attendant incessamment les Prussiens, ne veut rien écouter quand Thierry lui communique cette lettre. Il paraît certain néanmoins que Vergniaud communique directement avec le Roi et lui promet l'appuides Girondins, mais sans pouvoir rien conclure avec lui. L'ex-Ministre Bertrand de Molleville, qui paie pour Louis XVI, assure même que le Girondin Brissot propose alors secrètement d'empêcher la déchéance si l'on veut lui donner une TRÈS-FORTE SOMME; il affirme que cette somme lui est remise.... Quoi! s'écriera-t-on peut-être ; Brissot, l'ami, le panégyriste de Lafayette, celui qui le premier a poussé à la République, à la guerre ou à la déchéance, qui a proposé le bonnet rouge et les piques, qui se prétendait plus patriote et plus vertueux que Robespierre ! " Ah! si les Jacobins viennent à le savoir! Mais Bertrand de Molleville n'en donne aucune preuve, dit M. Thiers; et la pauvreté connue de Brissot, sa conviction exaltée, doivent RÉPONDRE POUR LUI. Il ne serait pas impossible sans doute que la Cour eût donné de l'argent à l'adresse de Brissot; mais cela ne prouverait pas que l'argent eût été ou demandé ou reçu par lui. » On peut l'accorder, quoiqu'il soit difficile de ne pas suspecter un ancien espion, un homme qui se laisse accuser publiquement d'escroquerie, dont le nom devient synonyme d'escroquer, et dont la vie n'est qu'un tissu d'intrigues! Mais quand on admet si facilement la conviction exaltée de Brissot, pourquoi ne pas admettre la conviction de Robespierre et vouloir ne lui supposer jamais d'autre mobile que l'orgueil, l'envie et l'acreté d'humeur. Quoi qu'il en soit, les Clubs, les pétitions, les tribunes, demandent tous les jours la déchéance; et tous les jours' la Commission de salut public, composée de Girondins, ajourne cette discussion, tout en exposant les dangers de la Patrie et en cherchant les moyens d'y remédier. • Remontez à la cause! leur crie-t-on sans cesse. - Nous avons les yeux ouverts sur la cause, répondent Vergniaud et Brissot; et quand il sera temps, nous la dévoilerons. » Mais le danger croît toujours; la déchéance n'arrive pas; les soupçons, les dénonciations, les accusations, la haine même, s'accumulent rapidement contre les Girondins; et l'on prend la résolution de se sauver sans eux et malgré eux. $9. - Premier projet d'Insurrection. Enfin, le Comité insurrectionnel décide l'insurrection pour le 26 juillet. -On sonnera le tocsin dès le grand matin; on se portera sur trois colonnes contre le Château avec le drapeau rouge et cette inscription: ceux qui tireront sur le Peuple seront mis à mort sur-le-champ; on s'emparera du Roi et on l'enfermera à Vincennes. Dès le matin du 26, tout se met en effet en mouvement dans les faubourgs; le bruit répandu que le Château renferme un amas considérable d'armes qu'il faut aller chercher y enflamme l'ardeur populaire. Mais le Château, averti par une trahison (de Danton ou d'un au⚫ tre), est déjà rempli de monde; la Garde nationale de Versailles, sur laquelle on compte, n'arrive pas parce qu'on s'est mal entendu; les Marseillais ne sont pas arrivés, comme on l'espérait; et Pétion court arrêter un mouvement qui pourrait être funeste à la Révolution. Cependant les petites hostilités commencent ou continuent contre la Cour; le jardin des Tuileries est publiquement appelé territoire étranger; on y plante un écriteau qui invite le Peuple à ne point aller s'y promener; et le Château se trouve, pour ainsi dire, dans un état de blocus. §10. -Manifeste du Duc de Brunswick, On se rappelle que Louis XVI, qui sent bien tous les dangers de sa position, a envoyé Mallet-Dupan aux Souverains pour les engager à faire un Manifeste prudent, rassurant, séduisant.- Mais les Émigrés, qui ne respirent que la vengeance, qui ne courent aucun risque, et qui ne doutent de rien, dictent un Manifeste foudroyant. Le 17 juillet, le Duc de Brunswick, Général des armées Prusienne et Autrichienne combinées, publie ce Manifeste à Coblentz, et commence l'invasion en le répandant partout. • Il s'y plaint que le bon ordre et le Gouvernement légitime ont été renversés en France;...-Il veut faire cesser l'anarchie et arrêter les attaques faites au trône et à l'autel... - Il est convaincu que la partie saine de la Nation abhorre les excès de la faction qui l'opprime, et que la majorité des Français l'attend avec impatience...-Il déclare : 1o que la Coalition ne veut que le bonheur de la France;... 2o et 3o qu'elle ne veut pas s'immiscer dans son Gouvernement intérieur, et qu'elle veut seulement délivrer le Roi pour qu'il puisse faire le bonheur de ses sujets. » e: Tout cela est bien mielleux ! C'est la dictée de Louis XVI; mais voici celle de l'Émigration : • Il déclare: -4° que les Gardes nationaux qui seront pris les armes à la main seront traités en ennemis et punis comme rebelles à leur Roi;... 5o que la troupe de ligne est sommée de se soumettre surle-champ au Roi;... -6° que tous les Administrateurs sont responsables sur leurs tétes et leurs biens;... -7° que les habitants des villes ou villages qui oseraient se défendre seront punis sur-le-champ, et leurs maisons démolies ou brûlées;... -8° que tous les membres de l'Assemblée Nationale, du Département, du District, de la Municipalité, de la Garde nationale, les Juges de paix, sont personnellement responsables sur leur téte, pour être jugés militairement sans espoir de pardon; que si le moindre outrage est fait au Roi, etc., les Puissances en tireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant Paris à une exécution militaire et à une subversion totale... Si les Parisiens obéissent, leurs Majestés promettent leurs bons offices auprès du Roi pour obtenir le PARDON de leurs torts et deleurs erreurs." Voilà ce fameux Manifeste.-Et le 28 il est à Paris: le 31, tousles journaux royalistes lepublient comme en triomphe. Et l'on s'étonnerait si le Peuple courait aux Tuileries!... Mais c'est Louis XVI, au contraire, qui envoie un message à l'Assemblée pour désavouer le Manifeste et protester encore de son amour pour le Peuple... Et l'on ne crie pas à la perfidie!.. Les Girondins ne prononcent pas la déchéance!.. On se contente de demander l'impression du message pour prouver à toute la France la duplicité de Louis XVI ! §11. - Arrivée des Marseillais. Les Fédérés marseillais vont arriver le 30, et le Comité insurrectionnel décide que Barbaroux ira se mettre à leur tête à Charenton; que Santerre ira au-devant d'eux avec les faubourgs; qu'ils entreront en chantant la Marseillaise; qu'ils serendront en bonordreau Carrousel; et qu'ils y camperont sans tumulte jusqu'à la déchéance ou l'abdication. Mais Santerre ne peut réunir qu'un trop petit nombre d'hommes; les Marseillais, accompagnés par lui, arrivent aux Champs-Élysées sans qu'on puisse rien entreprendre ; et Santerre se borne à leur faire offrir un repas à l'instant. Le hasard veut que, près de là, un autre repas ait lieu entre des royalistes dévoués, tous écrivains et Gardes nationaux du bataillon des Filles-Saint-Thomas : une rixe s'élève bientôt; les Marseillais accourent; le combat s'engage, plusieurs royalistes sont tués, les autres fuient, et beaucoup se réfugient au Château blessés et sanglants. Unepétition signée par la partie royaliste de la Garde nationale demande l'éloignement des Marseillais : mais les pétitionnaires n'obtiennent autre chose que les huées des Tribunes. §12.-- Invasion Piémontaise. - Fédérés empoisonnés. L'alarme croit toujours: on annonce l'invasion d'une armée Piémontaise, dans le midi, de 50,000 hommes suivant les uns, de 12,000 seulement suivant le Ministre. Au même moment, on répand le bruit que les Fédérés réunis à Soissons viennent d'être empoisonnés avec du verre pilé mêlé dans leur pain, que déjà cent soixante ont péri, et que huit cents sont en danger. - Le seul fait véritable ici c'est que quelques morceaux de verre se sont trouvés par hasard dans le pain : mais on conçoit la crédulité populaire dans de pareilles circonstances, et l'irritation des Fédérés, irritation que tant de dangers doivent augmenter sans cesse. $13. Les quarante-huit Sections demandent la déchéance. Mais les quarante-huit Sections de Paris, déclarées en permanence par un décret du 25, établissent un Bureau central de correspondance entre elles, discutent tous les jours la question de la déchéance, sont bientôt unanimes pour charger le Maire de la demander en leur nom, et rédigent une Adresse à la Nation. Le 3 août, le Girondin Pétion se présente donc à la barre de l'Assemblée, accuse Louis XVI et Lafayette, expose les dangers toujours plus imminents, et demande la déchéance au nom des quarante-huit Sections, c'est-à-dire au nom de Paris. - Mais l'Assemblée, ou plutôt les Girondins, ajournent la discussion au jeudi 9 août. Et, pendant ce temps, les pétitions pleuvent de toutes parts, toutes plus énergiques et plus violentes, pour demander cette déchéance. - La Section de Mauconseil va jusqu'à prononcer elle-même la déchéance, en déclarant qu'elle ne reconnaît plus Louis XVI; elle va jusqu'à déclarer qu'elle ira bientôt demander à l'Assemblée si elle veut enfin sauver la France; elle invite toutes les Sections de l'Empire à l'imiter. Vergniaud attaque cet acte comme une usurpation de la Souveraineté du Peuple et comme une insulte à l'Assemblée. Mais quelle inconséquence! Quoi! c'est lui, Vergniaud, qui le premier a parlé de déchéance à la tribune et qui a fait déclarer la Patrie en danger; et quand l'enthousiasme insurrectionnel est si nécessaire et si difficile à produire, c'est lui qui veut tout attiédir et tout paralyser en ajournant la déchéance et en blåmant l'insurrection! Brissot et lui auraient-ils donc transigé avec la Cour?... T. III. 4 |