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Cependant le dénouement approche, la fuite et l'insurrection se préparent en même temps.

§14. Jour de l'insurrection fixé.

Le Comité insurrectionnel fixe enfin l'insurrection après la discussion du 9 août sur la déchéance, c'est-à-dire dans la nuit du 9 au 10 ou dans la matinée du 10. Le Maire, Pétion, favorisera l'insurrection : mais on le fera prisonnier chez lui pourne pas le compromettre. - Les Marseillais quittent leur caserne, trop éloignée, et viennent se loger aux Cordeliers (actuellement place de l'École de Médecine), au centre de Paris, pas loin du Château. Des cartouches leur sont distribuées. Le jour où le Comité insurrectionnel décide l'insurrection, le Conseil secret du Roi, délibérant dans le jardin de M. de Montmorin, décide la suite à Gaillon (p. 36), et Louis XVI y consent: mais la Reine préfère périr plutôt que de se fier à Lafayette et aux Constitutionnels; le Roi croit que les Prussiens vont arriver; et la résolution de fuir est abandonnée.

« On annonce, alors dit Lally-Tollendal, que la déchéance doit être prononcée le jeudi 9 août. Je ne connais plus d'autres ressources que l'armée de Lafayette. Je fais partir, le 8, un projet de lettre que je lui conseille d'écrire au Duc de Brunswick aussitôt qu'il aurait la première nouvelle de la déchéance. >>>

Ainsi, voilà Lafayette amené à écrire au Général Prussien! Mais nous allons le voir jugé par l'Assemblée.

§ 15. - Lafayette sera-t-il mis en accusation?

Dès le 22 juillet, 33 Sections ont envoyé une Adresse à l'Armée, dans laquelle elles disaient :

C'est alors que Lafayette est venu proposer à Lukner de livrer les frontières et de faire marcher les armées sur Paris; Lukner a dénoncé lui-même cette odieuse proposition... Lafayette quitta son poste pour venir déclarer la guerre aux Parisiens. Est-il possible? Eux à qui l'on n'a d'autres reproches à faire que d'avoir donné à ce Général perfide des récompenses prématurées!... Il fallait une telel démarche pour le faire bien connaître... Il est démasqué... Lafayette n'est plus à nos yeux qu'un vil intrigant, un soldat rebelle, un Général inhabile, un fonctionnaire infidèle. Lafayette est déshonoré. >>>

Depuis l'ajournement du 20 juillet (p. 30), on a reçu une multitude d'Adresses et de députations qui l'attaquent toujours plus vivement, et l'on a recueilli les déclarations du Général, de son Aide-de-camp et du Maréchal, au sujet de la proposition de marcher sur Paris, ainsi que les ordres du jour à l'Armée et les Adresses de celle-ci. Lafayette a répondu fièrement: Cela n'est pas vrai. Bureau de Puzy a nié la proposition, en avouant avoir fait un voyage auprès du Maréchal et lui avoir remis une lettre du 22 juin, dans laquelle le Général lui disait :

« Le plus pressant intérêt de la Nation est d'arrêter promptement les excès de l'Anarchie... Je ne puis me soumettre en silence à la tyrannie que les factieux exercent sur l'Assemblée Nationale et sur le Roi, en faisant sortir l'une de la Constitution, en mettant l'autre en danger de sa destruction. Voilà ma profession de foi: elle estcelle des 19 vingtièmes du Royaume. >>>

Quant au vieux Lukner (Allemand d'origine qui ne peut pas écrire une lettre en français), il a nié ses aveux aux six Députés: mais Lassource a soutenu que ces aveux étaient aussi indestructibles qu'indubitables; et personne ne doute de leur réalité.

Jean Debry fait entin son rapport, le 8, au nom de la Commission extraordinaire, et propose l'accusation.

• Il regarde comme constants l'aveu de Lukner et la proposition de marcher avec les deux armées sur Paris. Il soutient que la lettre du 22 juin suffit pour prouver cette proposition, et que Lafayette y tient absolument le même langage que l'Émigration et la Coalition. - Il soutient encore que, par ses ordres du jour et par les manœuvres de son État-major (dans lequel figure le maître en fait d'intrigue, A. Lameth), il a provoqué son armée contre le Corps législatif et contre le Peuple en faveur du Roi. - Il l'accuse enfin d'avoir violé la Constitution; d avoir voulu opposer une Minorité orgueilleuse, qu'il appelle la classe des honnétes gens, à la Majorité de la Nation; et d'avoir préparé la guerre civile. »

Vaublanc ne trouve rien d'illégal dans toute la conduite de l'accuse, et ne blâme que le langage des Adresses de son armée (dictées peut-être par A. Lameth), qui font du Général un Dictateur, et qui menacent la Représentation nationale et les Jacobins.

Mais Brissot prononce un discours foudroyant.

« C'est un des plus grands malheurs des révolutions, dit-il, que les hommes qui s'y dévouent aient souvent à condamner leurs propres amis... J'ai été lié avec Lafayette; je l'ai vu un des plus ardents amis de la liberté: mais une coalition infernale (A. Lameth, Barnave, etc.) l'a arraché à ses principes et à sa gloire; il n'est plus rien pour moi. »

Il soutient que, si Lafayette était de concert avec l'Autriche, il ne pourrait rien faire autre chose que ce qu'il a fait. - Il l'accuse de vouloir être Modérateur ou Dictateur.

« C'est par là que s'expliquent, dit-il, et l'histoire des 5 et 6 octobre, et ses précautions contre la faction Orléanique à laquelle il a seul donné de l'existence, et sa démission d'avril, et sa coalition avec les Lameth, etc., qu'il détestait, et son Jeu DOUBLE dans la fuite du Roi, et son apparition aux Jacobins qu'il dénonce parce qu'il n'en a pu faire les instruments de ses intrigues..."

Il l'accuse de cinq délits, et notamment d'avoir obtenu les Adresses de son armée par les moyens les plus vils, de l'avoir égarée, de l'avoir provoquée à l'insurrection contre l'Assemblée... « Ces attentats exigent une vengeance éclatante, dit-il en terminant: ou le décret d'accusation, ou votre propre ignominie !... »

Néanmoins Lafayette est défendu par 406 contre 225 qui l'attaquent et le déclarent coupable.

Mais l'indignation populaire éclate aussitôt de tous côtés contre l'Assemblée autant que contre Lafayette; et l'on crie partout qu'on ne peut plus rien attendre de Députés qui protégent le traître Lafayette, le scélérat Lafayette, et qu'il faut s'insurger sans attendre la discussion du 9 sur la déchéance et sans perdre un instant.

Voilà donc où la conduite de Lafayette pousse le Peuple ! c'est lui, c'est son impunité, c'est sa trahison notorie, c'est la défiance et la haine qu'il inspire, qui vont déterminer l'insurrection et la perte de Louis XVI!

L'irritation est telle que les Députés favorables à Lafayette sont regardés comme des traîtres, insultés, menacés et quelques-uns frappés, quand ils sortent de l'Assemblée.

Et le même soir, les Jacobins décident qu'on enverra partout la liste des 406 défenseurs de Lafayette. - Merlin et Chabot déclarent que les 406 perdront la Patrie, qu'il n'y a plus de salut que dans l'insurrection, qu'ils voudront peutêtre partir cette nuit ou demain pour transférer l'Assemblée à Rouen ou à Amiens, et qu'il faut les arrêteravec des baïonnettes. Aux barrières! aux barrières! s'écrient aussitôt les Tribunes. Mais Robespierre pense que l'Assemblée n'osera pas décréter sa translation, et qu'il faut aborder courageusement la grande question de la déchéance.

§ 16. - Orageuse séance du 9 août.

Le 9 août, les Députés insultés sont furieux, écrivent 14 lettres pour se plaindre, et demandent vengeance... - Mais c'est bien prendre son temps, au milieu d'une pareille conflagration, quand l'insurrection gronde !

Ils crient que l'Assemblée n'est pas libre, et demandent sa translation dans une autre ville... Mais (comme l'a prédit Robespierre), les 306 n'ont pas le courage de l'ordonner, parce qu'ils savent que ce serait le signal de l'insurrection.

« Vous faites hérisser le château des Tuileries de canons et de baïonnettes, dit Isnard: abandonnez tous ces moyens odieux et inutiles; si vous voulez calmer le Peuple, sauvez-le des manœuvres du Roi, occupez-vous enfin sérieusement de son salut! (Nombreux applaudissements)... Ah! si le Ciel, qui connaît le secret des consciences, se chargeait de punir les coupables, c'est sur Lafayette, sur le partement de Paris, sur la Cour, que tomberaient ses premières vengeances. >>> (Applaudissements de la Gauche et des Tribunes.-Violents murmures de la Droite... Vous préchez l'insurrection!..)

C'est en effet prêcher l'insurrection : mais il ne reste plus d'autre moyen de salut.

Vaublanc demande le départ immédiat des Fédérés pour le camp de Soissons... C'est adroit: mais la Gauche

s'oppose.

<<-Le Ministre de la guerre nous a déclaré ce matin, dit Vergniaud, qu'il n'était pas encore certain qu'il fût possible d'établir un camp à Soissons, et qu'il n'y avait plus de logements. »

« -Ainsi, dit Lacroix, le Ministre nous disait, il y a quelque temps, que tout était prét pour le camp de Soissons, et aujourd'hui, quand l'ennemi s'avance, il nous avoue que rien n'est prét et qu'il ne sait pas même si le camp est possible !

- Il y a 8 jours, dit Guadet, la Gazette de Leyde annonçait que 430 Députés voteraient pour Lafayette, et 406 ont voté pour lui.... Les Despotes d'Autriche et de Prusse répètent tous les jours que l'Assemblée est sous le couteau d'une faction, et maintenant qu'ils approchent, on se plaint, on crie, depuis deux heures, pour faire croire que nos ennemis ont raison quand ils disent que l'Assemblée n'est pas libre... Non, l'Assemblée n'est pas opprimée par une faction... Mais il est une autre faction... - Nommez-la, nommez-la!... - Que je la nomme! C'est celle qui conseille et dirige secrètement Lafayette... C'est celle qui lui a conseillé sa pétition et ses démarches... C'est celle qui a fait son apologie à cette tribune... C'est celle qui appelle les Fédérés des brigands et des factieux... C'est celle qui depuis le commencement de la session souffle dans Paris le feu de la discorde... Mais toutes les factions se tairont devant la volonté Nationale. C'est nous qui sommes les véritables Représentants du Peuple! (Applaudissements de la Majorité et des Trihunes.) Que les armées liguées contre nous pénètrent dans l'intérieur du Royaume, nous aurons, malgré les factieux, à leur opposer une armée de défenseurs de la liberté, qui EXTERMINERA les tyrans. »

On appelle le Procureur-syndic de la Commune, Ræderer, pour le sommer de garantir la sûreté personnelle des Députés... quand il s'agit de la sûreté de la Patrie!...

« Sommons le Maire, s'écrie la Droite, de déclarer, par oui ou par non, s'il peut assurer la tranquillité publique! - Sommons aussi le Roi, répond le Girondin Guadet, de déclarer, par oui ou par non, s'il peut assurer l'inviolablilité du territoire! Et moi, dit Choudieu, je demande à l'Assemblée de déclarer, par oui ou par non, si elle peut sauver la Patrie. C'est sa faiblesse qui nous perd. >>>

Ræderer entre alors, et annonce qu'une Section a résolu de sonner le tocsin et de marcher sur l'Assemblée et sur les Tuileries si la déchéance n'est pas prononcée, et qu'elle a envoyé sa décision aux 47 autres Sections. - Pétion arrive aussi et annonce que l'insurrection est imminente.

Cependant, on propose de déclarer la séance permanente jusqu'à ce que la déchéance soit prononcée; et les Girondins préfèrent la déchéance à l'insurrection. Que ne se hatent-ils donc de la prononcer!... Mais ils lèvent la séance sans avoir rien décidé.

Ils veulent arrêter l'insurrection en assurant le Comité in

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