« Momoro, répond-il, s'écria: - Nous nous défendrons, nous parlerons!...-Vous êtes des enfants, répondit Ronsin... Vous vous défendrez, vous parlerez !... Mais c'est précisément pour avoir parlé au lieu d'agir que nous sommes ici !... Est-ce que vous ne voyez pas que ceci est un jugement politique? Vous ne les avez pas tués, ils yous tuent ! >>> A. Clootz montre en mourant un inconcevable courage, et n'a peut-être d'autre reproche à se faire que celui d'avoir voulu se mêler des affaires d'un Peuple étranger sans consulter ses chefs et malgré eux, et d'avoir imprudemment commencé une révolution religieuse qui pouvait jeter la perturbation dans le pays. α Ainsi périssent les Hébertistes, sacrifiés, dit M. Thiers, à l'indispensable nécessité d'établir un Gouvernement ferme et vigoureux. Toute l'Europe menaçait la France; tous les brouillons voulaient s'emparer de l'autorité et compromettaient le salut commun par leurs luttes. Il était indispensable que quelques hommes plus énergiques s'emparassent de cette autorité disputée pour résister à l'Europe. » Ainsi M. Thiers approuve Robespierre et le Comité d'avoir sacrifié les Hébertistes pour éviter l'anarchie et sauver la France contre la Coalition : maisilreconnaît aussi que, pour conserver la confiance afin de diriger et défendre le pays, c'est une nécessité pour eux de sacrifier aussi les Modérés. Néanmoins cette exécution des ultrà-révolutionnaires est un grand malheur, comme celle des Girondins; car ils ont de nombreux partisans dans le Peuple, égaré par eux; et cette exécution, qui enchante les Royalistes, les Girondins, les Dantonistes, et tous les fonctionnaires appartenant à ces trois classes, ouvre une carrière de persécution contre les patriotes les plus ardents dans tous les départements... Mais à qui la faute? Si quelques-uns des chefs Hébertistes sont vendus àl'Étranger pour tromper et perdre le Peuple, ce sont d'infâmes scélérats; et même en admettant leur bonne foi, à quoi se réduit la question? Robespierre, Saint-Just, le Comité, la Convention, prétendent que leur système est le seul convenable au salut du Peuple; et Hébert, Vincent, Ronsin, etc., prétendent le contraire : il faut donc choisir entre Т. Ш. 36 Robespierre, etc., et Hébert, etc.; il faut savoir quel est le plus capable et le plus dévoué. Or, depuis cinq ans qu'il est sur la brèche, Robespierre a fait ses preuves et possède la confiance universelle; et Hébert?... Nous savons que C. Desmoulins l'appelle publiquement un ancien vendeur de contre-marques, un voleur de mouchoirs, un écrivain de charniers (p. 553). L'Histoire parlementaire dit de lui : Malgré le fracas de ses mots contre les Aristocrates, on voit Hébert suivre avec beaucoup de souplesse le parti dominant. Ainsi, en 1791, il est partisan de Lafayette et de la Garde nationale; il fait des tirades pour Louis XVI et pour son Ministre. Après la fuite à Varennes, tout en criant contre quelques aristocrates, il penche visiblement pour les Feuillants. Quoique signataire de la pétition du Champ-de-Mars, quoique arrêté quelques heures à cette occasion, il chante les louanges de Lafayette, et pousse son impudente palinodie jusqu'à parler de Dieu, lui qui la veille prêchait ouvertement l'athéisme. - - Tremblez, dit-il au Peuple du Champ-de-Mars, tremblez, infâmes! Si vous • échappez aux bourreaux armés par les lois pour frapper les coupa« bles, un Dieu vengeur, un Dieu vous attend! Mais y croyez-vous, « tigres sauvages, plus carnassiers que ceux des bois? - Ailleurs il s'écrie : « J'entends encore des enragés dire du Général (Lafayette) « qu'on a manqué d'un coup de fusil et qui s'expose à tout: Mais « qu'allait-il faire là? Mais, b..... d'imbécile, qu'y allais-tu faire • toi-même? On serait un Dieu, qu'on entendrait encore autour de « soi ce cri infernal: A la lanterne! Eh bien! démons, vivez sans frein, « sans loi, comme les Sauvages, et mangez-vous comme eux!» Et c'est le même homme, défenseur du massacre du Champde-Mars, pauvre alors et riche aujourd'hui, qui se montre plus révolutionnaire que Robespierre et qui professe l'athéisme, lorsqu'on sait d'ailleurs que l'Étranger et l'Émigration soudoient des agents pour perdre la Révolution par des excès; car nous avons déjà vu l'exemple du baron Imbert (p. 444); et en voici un autre, rapporté par l'abbé de Montgaillard : • Un Émigré, le Chevalier M...., rentré après la campagne de 1792, établit le centre de ses intrigues dans le département des Bouches-du-Rhône et dans celui du Var. Il parvient à se donner toutes les apparences d'un Jacobin exalté, pousse au dernier degré la fureur révolutionnaire, pérore dans les clubs, il fait les motions les plus incendiaires; il fait arrêter plus de 300 individus, et entraîne la con damnation à mort d'une soixantaine. Après la Restauration de 1814, ce personnage ose demander le prix de ses services; il dit : « J'ai « exécuté les ordres que l'on m'a donnés; je me suis sacrifié pour le salut de la Monarchie; j'avoue ce que j'ai fait et je m'en glorifie, << parce que tous les moyens sont légitimes quand il s'agit de servir << une cause sacrée. J'ai joué le rôle d'un forcèné Jacobin; lorsqu'on ◄ criait arrête, je criais tue. Il le fallait pour tout désorganiser. " He bien! quand il y a tant de soupçons contre une Faction étrangère et contre ceux qui poussent aux excès, comment Hébert peut-il raisonnablement espérer qu'il obtiendra plus de confiance que Robespierre? Essayer de se faire un parti dans le Peuple en allant plus loin que Robespierre, n'est-ce pas vouloir semer la division, la discorde, la guerre civile? Est-ce agir en patriote, en véritable ami du Peuple? N'est-ce pas tout sacrifier à son amour-propre, à son ambition, à sa cupidité pour l'argent? N'est-ce pas un crime envers le Peuple et l'un des plus grands crimes ? Nous en dirons autant de Vincent (jeune homme qui peut avoir de la capacité, mais qui n'est encore connu ni à Paris ni en France), autant de Ronsin, autant de Momoro. Si encore les Hébertistes se contentaient de parler et d'écrire... Mais ils veulent s'insurger, massacrer Robespierre et les Comités, pour s'emparer du Gouvernement !... C'est donc l'ambition des Hébertistes qui est la première cause du mal: en voulant écraser Robespierre et les autres, ils les ont mis dans la nécessité de les écraser eux-mêmes. Et quelque funestes que soient les conséquences de leur condamnation, sur eux seuls doit en peser la responsabilité. Ce n'est cependant pas Robespierre qui a demandé la condamnation d'Hébert et de ses complices: il aurait voulu qu'on se bornât à les emprisonner; ce sont Billaud-Varennes, Vadier et le Comité de Sûreté générale, qui ont exigé leur supplice, comme ils vont exiger celui de Danton et de ses amis. $20.- Condamnation des Dantonistes. Tout le monde le reconnait, après avoir frappé les ultràrévolutionnaires, le Comité se trouve dans l'indispensable nécessité de frapper les citrà-révolutionnaires, qui d'ailleurs veulent le renverser. Cependant, ce n'est pas Danton que Robespierre veut poursuivre, mais la Faction Fabre d'Églantine, qu'il compose des Députés Fabre, Lacroix, Philippeaux, Bourdon de l'Oise, Dubois-Crancė Merlin de Thionville. C'est contre ces Députés qu'il fait un rapport dans le sein du Comité de Salut public en signalant Merlin comme plus que soupçonné d'avoir vendu Mayence. Mais le Comité repousse son rapport, et décide qu'on poursuivra Danton et C. Desmoulins. Ce sont * Billaud, Collot, Saint-Just et Barrère, qui exigent ce sacrifice. Ils voudraient même immoler aussi tous les amis de Danton; mais Robespierre et Couthon obtiennent qu'on ne poursuivra que Danton, C. Desmoulins, Philippeaux et Lacroix, avec Fabre d'Églantine. « Danton, dit M. Thiers, semble l'instigateur et le Chef de cette nouvelle Opposition qui poursuit le Gouvernement de censures et de railleries amères. Depuis quelque temps, assis vis-à-vis de la tribune où viennent figurer les membres du Comité, Danton a quelque chose de menaçant et de méprisant à la fois. Son attitude, ses propos répétés de bouche en bouche, ses liaisons, tout prouve qu'après s'être isolé du Gouvernement, il s'en est fait le Censeur, et qu'il se tient en dehors comme pour lui faire obstacle avec sa vaste renommée... En consentant à sacrifier Danton, Robespierre détruit son rival, rend au Gouvernement sa réputation d'énergie, et augmente encore son renom de vertu en frappant un homme accusé d'avoir recherché l'argent et les plaisirs. Il est en outre engagé à ce sacrifice par tous ses collègues, qui savent que Danton veut faire renouveler le Comité en n'y conservant que Robespierre. " Ainsi, M. Thiers l'avoue, ce sont tous les collègues de Robespierre qui veulent et exigent le sacrifice de Danton: Robespierre ne fait que céder à la majorité; et cependant on l'accusera, le 9 thermidor, d'être l'assassin de Danton, tandis que Billaud-Varennes l'accusera du contraire. La première fois que je dénonçai Danton au Comité, dira-t-il alors, Robespierre se leva comme un furieux, en disant qu'il voyait mes intentions, que je voulais perdre les meilleurs patriotes. » Le 31 mars, le Comité de Salut public appelle le Comité de Sûreté générale, même celui de Législation; et les trois Comités réunis décident l'arrestation de Danton, C. Desmoulins, Philippeaux et Lacroix, qui tous quatre sont arrêtés pendant la nuit. Le lendemain, à l'ouverture de la séance, Legendre demande à la Convention d'entendre Danton à sa barre; et Tallien, qui préside, encourage formellement cette demande.Mais Robespierre, résigné à soutenir la périlleuse décision du Comité, s'oppose à cette proposition, avec Barrère et Fayau. « Comment pouvez-vous, dit-il, oublier vos principes jusqu'à vouloir accorder aujourd'hui à certains individus ce que vous avez naguère refusé à Chabot, Delaunay, etc.?... Nous ne voulons point de priviléges, nous ne voulons point d'ideles... On a voulu, ajoute-t-il, m'inspirer des terreurs; on a voulu me faire croire qu'en approchant de Danton le danger pourrait arriver jusqu'à moi. Hé bien! je déclare que si les dangers de Danton devaient devenir les miens, cette considération ne m'arrêterait pas un instant. C'est ici qu'il nous faut à tous quelque courage et quelque grandeur d'âme. Les âmes vulgaires ou des hommes coupables craignent toujours de voir tomber leurs semblables, parce que, n'ayant plus devant eux une barrière de coupables, ils restent exposés au jour de la vérité; mais s'il existe des âmes vulgaires, il en est d'héroïques dans cette Assemblée, et elles sauront braver toutes les fausses terreurs. D'ailleurs le nombre des coupables n'est pas grand: le crime n'a trouvé que peu de partisans parmi nous; et, en frappant quelques têtes, la Patrie sera délivrée. » Legendre déclare alors qu'il n'entend pas défendre un individu contre la Patrie; aucun autre ami de Danton ne prend sa défense; et l'Assemblée confirme l'arrestation à l'unanimité et au milieu des applaudissements. Saint-Just monte aussitôt à la tribune, et fait un rapport sur ceux qu'on vient d'arrêter, et sur Hérault de Séchelles, membre du Comité, arrêté précédement comme coupable de trahison et de correspondance avec la Coalition. « Il accuse Danton d'être paresseux, menteur, avide et même lâche; de s'être vendu à Mirabeau, aux Lameth, à Louis XVI; d'avoir ré digé, avec Brissot, la pétition du Champ-de-Mars (T. II, p. 361) pour que le Peuple y pût être fusillé; de s'être ligué avec Dumouriez ot |