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Le Peuple se rappelle alors que ce sont les Girondins qui ont fait déclarer la guerre, malgré les Jacobins et surtout malgré Robespierre, trop tôt, sans avoir pris les mesures nécessaires pour assurer la défense et prévenir la trahison : on se rappelle qu'ils n'ont pas même su prononcer à temps la déchéance; qu'ils ont voulu transiger avec le Roi; qu'ils ont voulu mettre en accusation Robespierre et Antoine pour écraser les Jacobins; qu'ils ont voulu ajourner le jugement des Conspirateurs ; qu'ils ont habituellement paralysé l'énergie populaire; qu'ils viennent de vouloir paralyser, casser, déshonorer la Commune... Ne conçoit-on pas que le Peuple, quand le péril est à son comble, soit irrité contre eux !... La colère va jusqu'à les menacer individuellement: on voudrait même les effrayer pour les contraindre à se retirer: mais l'Assemblée a juré, dès le 26, de ne quitter son poste que quand la Convention serait arrivée.

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Le 2, au matin, un Girondin (Gorsas) publie dans son journal un plan, reçu d'Allemagne, de mains sûres, dit-il, et dont voici quelques dispositions :

• Arrivés dans Paris, les habitants seront conduits en rase campagne où on fera le triage: les Révolutionnaires seront suppliciés, les autres... peut-être suivra-t-on le système de l'Empereur, de n'épargner que les femmes et les enfants... En cas d'inégalité de forces, brûler les magasins, faire sauter les poudres, mettre le feu aux villes; car des DÉSERTS SONT PRÉFÉRABLES A DES PEUPLES RÉVOLTÉS. Dans tous les cas, les maisons des Révolutionnaires seront à l'instant livrées au pillage, etc., etc. »

Cette pièce est certainement fabriquée par le journaliste Girondin: mais tous les journaux la répètent; et l'on devine l'effet!

Le bulletin de la guerre apprend même au Peuple que les Houlans coupent les oreilles à tous les officiers Municipaux qu'ils peuvent attraper, et qu'ils les leur clouent sur le sommet de la tête.

§ 17.

Dévouement patriotique d'une femme.

On raconte aussi qu'une femme, à la frontière, a empoisonné deux tonneaux devin, qu'elle en a bu la première pour donner l'exemple aux Autrichiens, et que quatre cents de ceux-ci sont morts empoisonnés comme elle, par elle et aveç elle... Comme cet acte de dévouement doit exciter encore le dévouement à la Patrie, la fureur et la vengeance!

§ 18. Tout le monde a prévu et prédit le massacre.

Qu'on se rappelle le passé et tous les discours qui, depuis trois ans, prévoient et prédisent l'explosion de la fureur populaire; qu'on se rappelle: Mirabeau excusant le meurtre de Foulon et Berthier (T. I, p. 237); - Le Comte d'Estaing, écrivant à la Reine qu'il voit des flots de sang près de couler si le Roi veut s'enfuir (T. I, p. 278); - Roland et les Girondins annonçant que le Peuple se fera justice et exterminera ses ennemis (T. II, p. 519); - Lafayette avouant que la première bataille perdue entraînera nécessairement de terribles vengeances (p. 22); - Lally-Tollendal redoutant la rage du Peuple à la première ville prise (p. 24);-la Reine s'étonnant que le Peuple n'ait pas massacré Lafayette le 21 juin (T. II, p. 273); - surtout le Roi écrivant confidentiellement à ses frères que l'invasion serait probablement le signal de l'extermination des Nobles et des Prêtres (T. II, p. 543).

Prévoir et prédire ainsi le massacre n'est-ce pas le déclarer une conséquence infaillible, inévitable et fatale de la situation des choses? N'est-ce pas même y exciter, y pousser, y provoquer indirectement, et le rendre plus inévitable encore en le justifiant, pour ainsi dire, d'avance ?

Et le souvenir des massacres de Nancy, de La Chapelle, du Champ-de-Mars; le plan d'une nouvelle Saint-Barthélemy publié par le Girondin Carra (T. II, p. 498 et 545); le plan d'invasion qui vient d'être publié par le Girondin Gorsas (p. 87); les menaces du 14 juillet 1789, de l'Émigration, des journaux contre-révolutionnaires, du Manifeste Brunswick; lesincalculables périls qui planent surtoutes les têtes; le fanatisme qui pousse une femme à s'empoisonner pour empoisonner quatre cents envahisseurs; tout ne se réunit-il pas pour entraîner aux plus épouvantables violences.

19.- Journée du Dimanche 2 septembre.

Dès le matin, des attroupements nombreux couvrent les places et les rues. Partout on s'entretient avec effroi des Prussiens qui peuvent arriver dans trois jours et réaliser les sanguinaires menaces du Manifeste de Brunswick.

Et pour comble d'effroi, l'on apprend que la Russie vient d'envoyer enfin 22,000 hommes par terre, et deux flottes par la Méditerranée et par la Baltique.

La Commune informel'Assemblée des mesures prises pour opérer la levée en masse. Alors Vergniaud excite les Parisiens au courage, les exhorte à repousser les terreurs paniques, et propose à l'Assemblée de choisir 12 Députés qui donneront l'exemple de piocher aux retranchements.

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Il faut, s'écrie-t-il piocher la fosse de nos ennemis, ou chaque pas qu'ils font pioche la nôtre. »

Alors Vergniaud voudrait enterrer 50,000 ennemis pour n'être pas enterré par eux; et les ennemis de l'intérieur paraissent généralement bien plus dangereux et bien plus odieux que les étrangers; et chacun est arrivé à cette horrible extrémité d'être exterminateur pour n'être pas exterminé !

«

Je demande, dit Cambon, que des courriers extraordinaires portent dans tout l'Empire le tocsin général qui doit s'y sonner. >>> - Je demande, dit Reboul, que les Ministres exercent une espèce de Dictature en tout ce qui concerne les mesures militaires. »

Roland vient alors annoncer une nouvelle conspiration des Nobles et des Prêtres dans le Morbihan. Et la colère augmente encore contre les Nobles et les Prêtres.

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La Patrie va être sauvée, s'écrie Danton! Tout s'émeut, tout brûle de combattre... Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme; c'est la charge sur les ennemis de la Patrie. (Applaudissements.) Pour les vaincre, pour les attérer, que faut-il? de l'au

T. II.

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dace, ENCORE DE L'AUDACE, TOUJOURS DE L'AUDACE!.... (Applaudissements.)

Tout le monde comprend, et tout le monde approuve par ses applaudissements ou par son silence... Oui, tout le monde approuve! Et quelque horrible qu'il soit, c'est un fait que l'histoire transmettra d'âge en âge comme l'incendie de Moscou par l'ordre de son propre Gouverneur Ratchotpin. Encouragé par ces applaudissements, Danton s'échappe pour courir au Comité de Surveillance de la Commune... Et bientôt, à deux heures, Paris épouvanté entend à la fois la générale, le tocsin, le canon; on lit cette effrayante proclamation de la Commune:

<<< Aux armes, citoyens, aux armes! L'ennemi est à nos portes!" La Commune, toutes les Sections, les Jacobins, toutes les Autorités, sonten séance commel'Assemblée; toutela Garde nationale est sous les armes; tout le Peuple est sur pied. Quelle situation terrible et solennelle !

• Au bruit du canon, du tocsin, de la générale, la terreur s'empare de tous les esprits, dira plus tard Méhée fils (dans une brochure intitulée la vérité tout entière): on court aux armes; un cri général se fait entendre. Volons à l'ennemi! Mais nos ennemis les plus cruels ne sont pas à Verdun: ils sont à Paris, dans les prisons! Plusieurs voix répandent ce bruit, d'autres le répètent, l'accréditent. Nos femmes, nos enfants, laissés à la merci de ces SCÉLÉRATS, vont donc étre immolés? disent quelques hommes. Eh bien, ajoutent d'autres, frappons avant de partir!... Courons aux prisons!... Ce cri terrible, j'en atteste tous les hommes impartiaux, retentit à l'instant d'une manière spontanée, unanime, universelle, dans les rues, dans les places publiques, dans les rassemblements, enfin dans l'ASSEMBLÉE NATIONALE même... Et ce cri paraît SORTIR NATURELLEMENT DES

CIRCONSTANCES. »

Et ce sont ces circonstances qu'il ne faut jamais perdre de vue; car ce serait dénaturer l'histoire, créer un 2 septembre imaginaire et romantique, que deremplacer ce temps de tourmente, de péril et d'alarme, par un temps de calmeetde paix.. Transportons-nous au contraire, parla pensée, dans le véritable 2 septembre, pendant que la Patrie est déclarée en danger, pendant que l'insurrection du 10 août grondeencore et commande, pendant que l'Assemblée Nationale est en permanence depuis 22 jours... - Voyez toute la population en mouvement partout... Voyez tous ces hommes courir (car on ne marche plus, on court); ceux-ci courir s'enrôler, chercher des armes et des habits, exciter leurs amis à partir, ou recueillir des dons patriotiques; ceux-là courir à la Section, à la Commune, à la Société populaire, à l'Assemblée; ces autres haranguer la foule ou discourir avec chaleur, rassemblés autour de mille affiches de toutes couleurs, de toutes formes, qui couvrent tous les murs, qui excitent à l'énergie et à la vengeance, ou au calme, à la confiance, à la modération..... Voyez ces bandes courir travailler aux retranchements de Montmartre; ces bataillons moitié armés, moitié habillés, aller défiler devant l'Assemblée avant de courir à l'ennemi; ces compagnies de Garde nationale conduire des Aristocrates en prison, amener des chevaux, des voitures, des armes... Voyez partout desateliers de guerre, d'énormes drapeaux et des pièces braquées devant toutes les Sections.. Entendez le tambour, la musique, les cris, les chants guerriers, la Marseillaise, la Carmagnole, Ah! ça ira, la genérale, le canon d'alarme, le tocsin.... Écoutez mille nouvelles effrayantes!... Voyez toutes les physionomies renversées; ici la consternation, là la colère; partout la misère; partout l'effroi sur les subsistances et surle plus noir avenir; partout les pleurs des femmes, des mères, des sœurs, des enfants.... Entendez partout des imprécations contre les auteurs de tant de périls et de tant d'angoisses... Et toute la population se familiarise avec toutes les idées de vengeance et d'extermination, comme dans une ville bombardee on voit, le premierjour, tout le monde se cacher dans les caves; le deuxième jour, le plus grand nombre monter au rez-de-chaussée: le troisième jour, beaucoup de gens sortir et regarder les bombes; et le quatrième jour, quelques-uns courir à ces mêmes bombes pour arracher les mèches, au risque d'êtremisen morceaux..

Les 48 Sections, auxquelles la Commune vient d'envoyer des Commissaires, délibèrent au milieu du tumulte, de la colère et de l'effroi.

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