de plaisir. Et la maladie de la belle se complique ici encore, comme dans la pièce de Molière: Lisetta (I, 6) (qui feint de ne pas voir le Dottore): Hélas, moi pauvre femme, malheureux docteur! où pourrai-je le trouver? Docteur: Qu'a-t-elle donc ? Lisetta: Que va-t-il dire, monsieur le docteur, lorsqu'il apprendra cette nouvelle ? Docteur: Qu'est-ce que c'est que ça ? Lisetta: Ma pauvre petite maîtresse, que j'aime de tout mon cœur! Le Docteur se désespère lui aussi et pleure avec la servante: Mais parle donc. Qu'est-ce qu'elle a fait ? a-t-elle rompu une glace ?..... Lisetta: Écoutez donc. Votre fille, après avoir entendu vos mauvaises paroles... à peine entrée dans sa chambre, s'est jetée sur son lit, et après a ouvert la fenêtre qui donne sur le puits et... Docteur: Hélas! Lisetta: Et levant les yeux au Ciel, elle s'est écriée: Non, ce n'est pas possible que je vive méprisée par mon père, et puisqu'il ne me veut plus pour fille, je le délivrerai de ma présence et... Docteur: Elle s'est jetée par la fenêtre ? Lisetta: Non, Monsieur, elle l'a fermée tout doucement et s'est allée mettre de nouveau sur son lit, en pleurant, et elle est devenue bien pâle, ses yeux se sont tournés, et elle est morte entre mes bras... Docteur: Elle est morte! oh! uh! Lisetta: Non, elle n'est pas morte, mais elle le paraissait (1). Riccardo accourt. Pour guérir Lucrezia, il n'y a, à son sens, de (1) Amour médecin (I, 6). Lisette (courant sur le théâtre, et feignant de ne pas voir Sganarelle). Ah! malheur! ah! disgrâce! Ah! pauvre Seigneur Sganarelle, où pourrai-je te ren contrer ? Sganarelle. Que dit-elle là? Lisette (courant toujours). Ah! miserable père, que feras-tu quand tu sauras cette nouvelle ? Sganarelle. Que sera-ce? Lisette. Ma pauvre maîtresse ! Sganarelle. Je suis perdu ! Lisette. Ah! Sganarelle (courant après Lisette). Lisette. Lisette. Quelle infortune! Sganarelle. Lisette! remède plus sûr que de feindre de la marier, et en répétant l'intrigue de L'Amour médecin, c'est lui-même qui se prête, de bonne grâce, à cette farce. Les scènes s'ensuivent, toujours d'après l'original français: Lucrezia se rétablit sur l'instant, le docteur Cigolon rit du tour joué à sa fille, mais il finit par rester bien penaud lorsqu'il s'aperçoit que celle-ci est mariée tout de bon, et ce qui pis est, avec la dot. 66 Il n'y a que le dénouement qui se distingue de la source. Riccardo demande la main de la jeune fille; cependant l'auteur bolonais, dans une variante publiée l'année suivante, nous offre aussi un altro modo di terminare quest'ultima scena,,, où il copie mot à mot son modèle. Le docteur Cigalon, afin que le mariage de sa fille paraisse plus vraisemblable, donne une fête et paie les violons, mais Lucrezia s'enfuit avec Riccardo, et tandis que le père s'empresse de les poursuivre, des danseurs l'entourent et l'obligent de danser avec eux. On se rappelle la dernière scène de L'Amour médecin. Sganarelle: Voilà une plaisante façon de guérir! Où est donc ma fille? et le médecin ? Lisette: Ils sont allés achever le reste du mariage. Sganarelle: Comment le mariage... (Il veut aller après Clitandre et Lucinde, mais les danseurs le retiennent) Laissez-moi aller, laissez-moi aller, Lisette. Quel accident! Sganarelle. Lisette. Lisette. Quelle fatalité!, Enfin elle se décide à parler: "Lisette. Votre fille toute saisie des paroles que vous lui avez dites, et de la colère effroyable où elle vous a vu contre elle, est montée vite dans sa chambre, et pleine de désespoir, a ouvert la fenêtre qui regarde sur la rivière. Sganarelle. Hé bien? Lisette. Alors, levant les yeux au ciel: Non, a-t-elle dit, il m'est impossible de vivre avec le courroux de mon père; et puisqu'il me renonce pour sa fille, je veux mourir. Sganarelle. Elle s'est jetée ? Lisette. Non, monsieur. Elle a fermé tout doucement la fenêtre, et s'est allée mettre sur son lit. Là, elle s'est prise à pleurer amèrement: et tout d'un coup son visage a pâli, ses yeux se sont tournés, le cœur lui a manqué, et elle m'est demeurée entre les bras. Sganarelle. Ah! ma fille! Elle est morte? Lisette. Non, monsieur., Et elle est si peu morte qu'elle se marie au troisième acte, ainsi que Lucrezia. vous dis-je... (Les danseurs le retiennent toujours) Encore! (Ils veulent faire danser Sganarelle de force). La comédie bolonaise est gaie, intéressante même; malheureusement les amoureux parlent un langage ampoulé et Riccardo veut se donner la mort, avec son épée, dans une scène si enflée, si rhétorique, qu'elle fait rire bien plus que celles où l'auteur s'était proposé un but plaisant. Nous l'avons vu. Bologne a toujours fait bon accueil à l'art de Molière. C'est dans cette ville que l'on joua, en 1708, Le mari confus (1), tiré de George Dandin. Le mari s'appelle Pandolfo, la femme Dirce et l'amoureux Leandro. Le mari s'étant aperçu de la mauvaise conduite de madame, lui ferme la porte au nez. Celle-ci veut rentrer; Pandolfo, à la fenêtre, se moque d'elle; Dirce prie, menace, elle va se tuer, elle se tue... et jette une grosse pierre dans le puits. Alors Pandolfo sort... Mais pourquoi ajouter d'autres détails? Tout le monde voit qu'il s'agit d'une reproduction de La jalousie du Barbouillé ou mieux encore de L'école des femmes, avec l'intervention des parents, qui ne sont cependant pas de la noble souche de ceux d'Isabelle. C'est toujours à Bologne qu'en 1717 un anonyme fit jouer un troisième Hypocondriaque (2), mais que l'on ne se trompe pas — ainsi que les critiques, qui n'ont pas même constaté, comme à l'ordinaire, l'inspiration française --, ce n'est qu'une reprise du mélodrame de Villifranchi. Dans la patrie du "dottor Balanzone, ce genre de maladie et sa cure "grassa,, ont toujours joui de la faveur générale. Venise, qui avait associé depuis longtemps le culte d'Euterpe à celui de Thalie et qui dans ce culte jouait peut-être le premier rôle dans la Péninsule, voyait ses poètes s'inspirer largement, eux aussi, à l'art de Molière. Dès le début du XVIIIe siècle, en 1704, nous y retrouvons une pièce de Francesco Silvani, Le masque levé au vice (3), où il est question d'un philosophe, Alete, qui, (1) Il Marito confuso, scherzo drammatico da rappresentarsi a Bologna, dopo la recita dell'opera de' Signori Accademici Costanti, Bologne, 1708. (2) L'Ipocondriaco, trattenimento per musica da rappresentarsi nel teatro Formagliari, il carnoval dell'anno 1718, Bologne, Rossi, 1717. Ms. 3794 de la Bibl. Univ. de Bologne; voyez l'ouvr. cité de CORRADO RICCI, I teatri di Bologna nei secoli XVII e XVIII°, Bologne, 1888, p. 399. (3) La Maschera levata al vitio, poesia di Francesco Silvani, Venise, 1704. devenu gouverneur de la reine de Sicile, Ériphile, l'élève dans le mépris de l'amour; mais c'est un loup revêtu de la peau d'un agneau, et la Princesse et son fiancé, se cachant derrière une courtine, peuvent entendre les folies malicieuses qu'il débite à Hermione (jeune fille qui lui a donné un rendez-vous justement pour le démasquer) et sa théorie sur l'amour charnel visant" à la vertu „. Ériphile, qui a toujours défendu son précepteur, doit se rendre enfin à l'évidence, et sortant de sa cachette, elle le chasse pour toujours de sa présence et maudit ceux qui couvrent leurs vices du manteau de la morale. Ajoutons que le philosophe était arrivé à la cour de Sicile dans le dénuement le plus absolu. Un personnage de la pièce a soin d'ajouter que c'est son air hypocrite qui lui a procuré l'estime de tout le monde. Alete fait sans doute songer à Tartuffe, mais on pourrait douter de ses origines. 66 Un mélodrame bolonais qui nous paraît s'inspirer de celui-ci, dont il répète le titre, ne nous laisse plus dans cette incertitude (1). Zenone, le philosophe hypocrite, dit la veuve Rosilda, s'est introduit chez nous, se cachant sous le manteau de la vertu et de la piété, et c'est ainsi qu'il a surpris la bonne foi de mon père, en flattant ses penchants et en s'emparant de sa volonté „ (2). En effet, "monsù Costanzo, ne sait plus se passer de Zenone. Personne, si on veut le croire, ne l'égale en mérite, en modestie; il il n'a qu'une haine, celle du vice, qu'un seul défaut, celui de la franchise. Tout le monde, s'écrie Costanzo, en veut à mon hôte: "tout le monde murmure contre Zenone, que le Ciel chérit,. Zenone, avant de paraître sur la scène, se fait attendre à peu près comme Tartuffe; puis il entre, les yeux baissés et affectant un langage doucereux: "Que le Ciel vous rende heureux et qu'il vous donne plus encore que ce que je vous souhaite et que ce que vous mé (1) La Maschera levata al vizio, divertimento comico per musica da rappresentarsi in Bologna nel teatro Marsiglio Rossi, nel carnevale del 1736, Pisarri, Bologne. (2) S'introdusse Zenone in casa nostra 4 ritez, (1). Si Monsù Costanzo se plaint des tracasseries qu'on fait à son conseiller, celui-ci regarde le Ciel, soupire et répond d'un ton soumis: "Je mérite pis encore,, (2). Il ajoutera ensuite qu'il est bien disposé à quitter cette maison, parce qu'il s'aperçoit que sa présence ne cause que de l'ennui (3). Costanzo se fâche pour tout de bon et finit par tomber à genoux devant l'intrigant, le suppliant de ne pas le quitter (4). Mais Zenone s'écrie que c'est lui qui doit s'agenouiller devant son bienfaiteur, et il tombe lui aussi à genoux. C'est là un trait comique que nous connaissons depuis longtemps. Alors Costanzo prend la même décision que son devancier français et le rend maître de tous ses biens, lui confiant en surplus la direction de la famille. Tartuffe était gras et fleuri, le pauvre homme ! Zenone est gras et fleuri lui aussi, bien qu'il refuse de manger du bœuf, parce qu'il pense que le pauvre animal se donne tant de peine à labourer la terre! (5). Ce sont les animaux inutiles et paresseux, qui sont faits pour sa bouche, tels que les chapons, les veaux et les pigeons (6), vilaines bêtes désœuvrées. Zenone renouvelle avec Rosilda les scènes de Tartuffe avec Elmire. La jeune veuve a accepté de se remarier avec Adraste; Zenone en est jaloux, il voudrait dominer sur son cœur aussi bien que sur la maison de Costanzo, et dans ce but, il la prie de lui accorder une entrevue. "En vous regardant, dit-il à Rosilda, je comprends toute la bonté |