tilhomme de la cour de Louis XIV n'osant plus minauder dans l'antichambre du Roi. Sous ce rapport aussi la réforme du théâtre italien marchait donc clopin-clopant. Fagiuoli a cependant quelques mérites positifs. Il ne suit pas les imitateurs du théâtre espagnol, et il ne tombe pas non plus dans la "commedia ridicolosa,, s'amusant à une peinture de convention et à un ridicule superficiel. Il crée quelques types, il ébauche des caractères, tâche de se soustraire aussi à l'influence classique et de comprendre l'art étranger, mais il a le tort de ne pas assez fréquenter les halles et les salons et de rester surtout trop académicien. Voyez-le lorsqu'il tâche de rendre ses personnages vifs et enjoués. Il les force à faire des grimaces, et leurs saillies, leurs jeux de mots auront peut-être déridé l'ennui de ses savants confrères les apatisti, mais ils ne sont pas faits, sans doute, pour amuser le public. Il fallait peindre des hommes, on copiait des modèles, et la réforme consistait, au bout du compte, à préférer un patron moderne au patron classique. Il y a des critiques qui ont admiré des passages comme le suivant, du Cicisbeo sconsolato: Isabella: Sylve, mon bien, n'arrive pas encore. Lisette: On n'entend pas mon cher Meo. Isab.: Que le favorable Cupidon lui prête ses ailes. Lis. Que l'amour gracieux le pousse. Isab. Afin qu'il puisse me parler. : Lis.: Afin que je puisse bavarder avec lui. Isab. Je crains pour mon père. Lis. Je redoute ce vieillard (1). (1) Cicisbeo sconsolato (III, 11): Isab. Silvio il mio bene non giunge. Lis. Perch' io gli possa un po' cicalare. Lis. Spirito di quel vecchio. Ce sont là deux braves filles qui font des exercices linguistiques et, par un hasard singulier, répètent chacune la pensée de l'autre comme des boutsrimés. TOLDO, L'Œuvre de Molière, etc. 19 Ce sont des échantillons dont on peut multiplier les exemples et qui prouvent les défauts d'une école et de tout un système (1). (1) Toujours dans la même pièce, voyez ces morceaux aussi ridicules qu'absurdes: (I, 10) Isabella. Dunque si porgan voti... Leonora. Pertanto si rendan grazie... Leonora. Un buon cammino ella prende. (II, 7) Meo (le valet). Ma questo conto... Vanesio (qui pense à sa belle). È d'Isabella... Meo. Ve l'ha mandato. (II,18) Anselmo contrastant avec Meo: Anselmo. Ora non te la vo' dare (le congé de partir). Meo. Che asinaggine è la vostra? Meo. Alì, dov'è la discrezione? Ce morceau chargé aurait dû persuader M. Bencini que le théâtre de Fagiuoli n'est pas, pour les valets du moins, cette école de respect qu'il imagine. Voyez encore d'autres bouts-rimés de ce genre: (III, 5) Vanesio. Isabella... Meo. Spillo... Vanesio. Co' suoi disprezzi... Meo. Colle sue funi... Vanesio. Mi vuol condurre alla tomba... Meo. Vi vuol menare alle stinche. On dirait que ces duos et ces trios ont été suggérés à Fagiuoli par les auteurs des mélodrames! On a blâmé la prolixité excessive de notre toscan et son analyse trop minutieuse des détails: mais l'on n'a pas remarqué aussi combien ses caractères sont outrés et parfois absurdes, combien là même où le modèle moliéresque se présente à ses yeux, la société humaine, qu'il voudrait représenter d'après le grand maître, se transforme en caricature. Voyez, dans les Tromperies louables (1), ce Tarpano, personnage important auquel tout le monde tire de grandes révérences et qui, sans avoir même l'excuse d'être entre deux vins, raconte à un pédant, Don Fidenzio - homme dont la profession n'est pas celle de garder le silence comment il a édifié sa fortune sur un meurtre. Don Fidenzio, devenu le possesseur d'un tel secret, se borne à faire làdessus des réflexions morales et se laisse ensuite maltraiter par ce même Tarpano, sans jamais se servir de l'arme qu'il a entre ses mains et sans devenir, pour cela, un modèle de générosité et de délicatesse. Cette confession, d'ailleurs parfaitement inutile à l'action, n'est qu'une blague ne servant même pas à mettre en relief le personnage principal. Il y a dans cette pièce des traces évidentes de Molière. Tout d'abord, la donnée de la jeune fille se feignant malade pour ne pas épouser celui que son père voudrait lui imposer, aventure compliquée, comme dans l'Amour médecin et dans le Médecin malgré lui, par deux déguisements qui tournent en ridicule les membres de la Faculté, savoir ceux d'Isabelle, la belle-sœur de la jeune fille, et de la servante Lisette. L'imitation du poète français est prouvée aussi par l'incident de la nourrice avec le médecin (c'est l'aventure de Sganarelle avec Jacqueline) et par les plaisanteries que l'on débite sur le manque de barbe du docteur, plaisanteries tirées du rôle de Toinette. Mais ce travestissement n'est guère réjouissant, et à quoi servent ces moyens comiques si ce n'est pour exciter le rire? Or le rire doit naître du contraste; un paysan, ignorantus, ignoranta, ignorantum, selon le latin de Toinette, est chargé d'une cure en apparence difficile. Comment va-t-il se tirer d'affaire? Comment le maître de la maison, ses parents, ses amis ne s'apercevront-ils pas de cette simulation? On rit tout d'abord de la caricature, puis de l'embarras du paysan, mais à l'épreuve celui-ci n'est pas si sot qu'il en a l'air: et tandis qu'on croit assister à une (1) Inganni lodevoli. simple plaisanterie, l'on voit le tableau s'élargir, et la satire qui commence. Sganarelle et Toinette, issus du médecin volant de la comédie de l'art, sont une caricature, il est vrai, mais une caricature qui peut faire méditer sur la "pure chimère, de la science. Au contraire, dans la pièce de Fagiuoli, les prétendus médecins n'ont pas beaucoup de sens, ils ne font ni rire ni penser: la jeune fille est une malade que l'on ne voit presque pas, qui ne se prête point à une consultation ridicule, et sa maladie d'emprunt aboutit à une mort non moins fausse et plus choquante encore. A quoi sert donc ce rôle d'Isabelle qui se feint médecin? Tarpano, le manant enrichi et bavard, dont nous venons de parler, a un fils presque idiot, Pasquino, qu'il veut transformer en bourgeois gentilhomme, et qu'il confie dans ce but à Fidenzio. Pasquino, à peine dégourdi, devra se marier avec la fille de l'avare Anselmo Taccagni: c'est la jeune fille soi-disant malade et morte dont nous venons de parler, et Isabelle qui la soigne, déguisée en docteur, ne vient sur la scène que pour dire des injures à Pasquino, injures que celui-ci, son père et son futur beau-père prennent pour des compliments. "Le fiancé Pasquino, dit Isabella, fera guérir sa fiancée aussitôt qu'il l'aura épousée.,, "Pourquoi donc?, s'écrient à la fois Pasquino, Tarpano et Anselmo. "C'est qu'il a un visage de casse et de vertus laxatives. Pasquino: Plaît-il, monsieur le médecin ? Isabella: Vous avez des qualités merveilleuses pour donner la diarrhée et la dysenterie. Anselmo Les médecins emploient certains mots diaboliques... Pasquino: Ni moi non plus. Mais il faut être idiot pour ne pas comprendre! (1). Un autre personnage intervient et explique le sens profond et caché de cette casse. D'après ce qu'il me semble avoir compris, s'écrie le savant interprète, le docteur veut signifier que monsieur (1) Pasquino. Ch'ho io, signor Dottor medico ? Isabella. Qualità maravigliose da muover la diarrea e la dissenteria. Pasquino a des qualités si douces et si insinuantes qu'il doit remuer les sentiments les plus tendres. Tarpano: C'est là justement ce que j'avais compris moi aussi. Je ne sais si le public florentin a ri à cette plaisanterie, mais moi, pour mon compte, je ne saurais partager d'aucune manière l'admiration de M. Bencini pour cette sorte de vis comica. Le rire peut être fou ou raisonnable. Il n'est ici ni l'un ni l'autre, et je me demande comment de trois individus dont l'un, Tarpano, a su se former une fortune en trompant tout le monde, et l'autre est malicieux comme tous les diables, aucun ne soit à même de comprendre que ce n'est nullement un compliment que de dire à un jeune homme: Vous êtes jaune comme de la casse, et auprès de votre belle vous allez jouer le rôle d'une purge. Ajoutons que la comédie abonde en saillies de ce genre. Pasquino amuse, par exemple, son auditoire en disant "cotognato, au lieu de "cognato,,, et Tarpano, pour lui faire pendant, parle d'"un occidente bisbetico au lieu d'un "accidente apoplettico des équivoques que l'auteur a, par-dessus le marché, la naïveté de faire expliquer à ses auditeurs. C'est de Molière que Tarpano a appris ses ruses de grippe-sou et d'usurier (I, 3) qu'il a le tort de vanter (I, 3). Il nous dira qu'il prête son argent à un taux énorme et qu'en outre ses débiteurs ne touchent que bien peu d'espèces: pour le reste il leur donne de la camelote qu'ils sont bien forcés ensuite de revendre, et qu'il rachète à un prix dérisoire. Tout cela est de l'Harpagon tout pur; mais Harpagon n'affiche pas de la sorte ses mauvaises qualités, et n'est point du tout un fanfaron du vice. Ce sont ses actions qui le font connaître au public; quant à lui, il se dira aussi malheureux que charitable, il ajoutera qu'il travaille en pure perte, et s'adressant à maître Simon: "La charité, déclare-t-il, nous oblige à faire plaisir aux personnes lorsque nous le pouvons „. Si Tarpano est un usurier, Anselmo Taccagni n'est qu'avare; le personnage français s'est ainsi dédoublé, mais l'avarice de Taccagni perd la vérité humaine pour devenir bouffonne, et nous assistons à des scènes devant lesquelles s'effacent les aventures du maître dérobant nuitamment l'avoine à ses chevaux et ordonnant le banquet que vous connaissez! Taccagni ferme à double tour de clef son puits: est-ce |