d'amour du Dépit, de L'école des femmes, de Dom Juan et de Tartuffe, sans concevoir des obsessions dangereuses? Heureusement, pour le salut de cette jeunesse corruptible, veillent le clergé en général et les directeurs des collèges ecclésiastiques en particulier, qui vont arranger Molière ainsi que les musici de la Chapelle Sixtine. Voici Battista Zerbini qui, dans son Malade imaginaire (L'ammalato per immaginazione), supprime toutes les femmes de la pièce française et modifie les tours de Béline à l'usage des innocents! Le comte Alfonso, le héros de cette farce, est entretenu, dans ses fantaisies noires, par son agent Raimondo et par le comte Aurelio Merli, auquel reviendrait un héritage considérable, dans le cas où le jeune homme ne fixerait pas sa demeure à Rome. Il faut donc le persuader que l'air de la ville éternelle lui sera nuisible, et les deux fripons sont en cela aidés par les docteurs Crisalidi et Castoreo. Heureusement, et c'est là un contraste tiré encore une fois du théâtre de Goldoni, un médecin d'esprit et de cœur, le docteur Fulgido, s'oppose à ses confrères et parvient à guérir, avec le secours de l'oncle Maurizio, l'hypocondrie de son client. Il ne suffit cependant pas de mettre au ban le beau sexe pour que la comédie puisse atteindre le but d'édifier les collégiens. Il faut aussi que la conclusion soit morale: "L'hypocondrie, dit l'auteur, n'est que la conséquence d'une vie oisive et désœuvrée; que le comte Alfonso travaille, et le travail lui redonnera la santé,, (1). Voilà pour les collégiens paresseux! Le malade imaginaire (2) a tenté encore une fois l'art d'un écrivain non moins moral que Zerbini et qui se cache modestement sous les initiales A. S. Un certain Damide, agent d'Argante, remplace Béline, Tonio joue le rôle de Toinette, et même la petite et innocente Louison doit se masculiniser en Gigetto. Un autre auteur, empruntant le pseudonyme de Zeta (quelle modestie d' initiales dans ces écrivains pieux!), chasse lui aussi les femmes de l'une des pièces de Molière où elles se trouvaient le (1) La pièce déjà citée porte la date de 1841, Raccolta di sceniche rappresentazioni inedite e di alcune altre ridotte per le case di educazione e pegli amatori della lettura istruttiva e piacevole, vol. VI, Udine, Vendrame, 1841. 2) Pièce citée dans la Collana di letture drammatiche, Rome, librairie Salésienne, 1903. mieux, c'est-à-dire du Médecin malgré lui (1). Sganarelle emprunte le nom de Scannapane, et comme Zeta ne lui permet pas de se quereller avec la compagne de ses jours, il doit accabler d'injures son frère Martino, pour des affaires de ménage qui ne sont guère amusantes. De même, les amours de Lucinde et sa maladie si comique sont remplacées par l'aventure d'un jeune homme, Lucindo, qui feint d'avoir perdu l'usage de la parole afin que son tuteur lui permette d'aller à New-York visiter sa mère ! C'est ainsi que ce brave garçon donne aux collégiens un exemple d'amour filial, et Martino finit la pièce en disant à Scannapane, qu'il sauve des paysans voulant lui faire un mauvais parti: "Tu apprendras par là que ce n'est que le vrai mérite qui triomphe! „, conclusion aussi sotte pour la pièce que fausse pour la vie (2). (1) Pièce imprimée dans le Piccolo teatro delle case di educazione (fasc. 6, 8): Il medico per forza, commedia in tre atti, ridotta dal Médecin malgré lui, di Molière, per soli uomini, da Zeta, Modène, typ. de l'Immacolata Concezione, 3 actes en prose. (2) Je n'ai rien trouvé qui se rapporte à notre sujet, excepté ce Liberal per forza dont nous avons parlé ailleurs, dans le théâtre des collèges où les jésuites dominaient. Voyez: FRANCESCO COLAGROSSO, Saverio Bettinelli e il teatro gesuitico, Firenze, Sansoni, 1901, dans la Bibliot, critica della letteratura italiana diretta da Francesco Torraca. GAETANO CAPASSO, Il Collegio dei Nobili di Parma, Parme, Battei, 1901. L. FERRARI, Appunti sul teatro tragico dei gesuiti in Italia, dans la Rassegna bibliogr. della letter. ital., VII, p. 124 sqq. ATTILIO SIMIONI, Per la storia del teatro gesuitico in Italia, dans la Rassegna critica della letter. ital., XII, p. 153 sqq. G. GNERCHI, Il teatro gesuitico ne' suoi primordi a Roma, dans l'Italia moderna, septembre, 1907. BENEDETTO SOLDATI, Il collegio Mamertino e le origini del teatro gesuitico, etc., Torino, Loescher, 1908. Rien que dans les collèges de la confrérie des Salésiens et d'autres congrégations religieuses, Molière a été joué, dans ces dernières années, un nombre remarquable de fois. Voici une note qui m'a été transmise par l'un des professeurs les plus distingués de cette confrérie, M. Puppo: Furberie di Scappino. Milan. Istituto S. Ambrogio, 1903. Schio. Istituto S. Luigi. Lanusei (Sardaigne). Collegio S. Eusebio. Mogliano (Veneto). Collegio Bellaviti Astori, 1903. Même dans le théâtre des marionnettes, Molière a eu des disciples assez nombreux. En effet, l'avocat Ferrigni, dans son étude Fossano. Collegio civico; Collegio D. Bosco. Brescia. Collegio Arici (en français). Turin. Oratorio festivo S. Giuseppe. Seminario delle Missioni, Valsalice. Perosa-Argentina (Pignerol). Istituto S. Filippo. Novare. Istituto S. Lorenzo, 1905-06. S. Gregorio (Catane). Istituto del Sacro Cuore, 1904. Lombriasco (Turin). Casa S. Gioachino, 1906. Macerata. Istituto S. Giuseppe, 1904. Messine. Istituto S. Luigi, 1900. Catane. Istituto S. Francesco, 1898. Bronte (Sicile). Real Collegio Capizzi, 1900. Lorette. Casa della Madonna, 1896. Parme. Collegio S. Benedetto, 1900. Rome. Ospizio S. Cuore, 1904. Asti. Oratorio festivo, 1902. S. Benigno Canavese. Scuole professionali, 1902. Faïence. Istituto S. Francesco, 1902. Este. Collegio Manfredini, 1890. San Pier d'Arena. Ospizio S. Vincenzo, 1907. Varazze. Collegio Civico. Frascati. Collegio Villa Sora. sur les Burattini, cite Eularia muette par amour, Le grand festin de Pierre, La muette par amour ou Arlequin bûcheron (1), pièces ayant des rapports plus ou moins directs avec l'œuvre de Molière. La Muette par amour entre autres n'est qu'une adaptation du Médecin malgré lui (2). A mon tour, dans certaines recherches se rapportant au même sujet, j'ai eu l'occasion de relever des emprunts évidents que les répertoires de ces théâtres ont faits à la scène française (3). Giletto médecin malgré lui n'est qu'une copie de ce Médecin malgré lui que nous venons de citer, et Pulcinella feint médecin pour les "fantocci, découle de la même source. Tartaglia père de famille, piécette publiée par Gussoni de Milan, reproduit, en partie du moins, la donnée du Malade imaginaire. Le héros de cette farce s'appelle Tartaglia. Il s'est marié en secondes noces avec Béatrice, veuve elle aussi, et ayant elle aussi un fils. En vraie marâtre, elle persécute l'aîné de son mari, Florindo, le fait chasser de la maison et persuade le bonhomme de dicter un testament en sa faveur. Mais il y a Corallina, l'adroite servante, qui veille et qui a recours à la ruse de Toinette. On voit Tartaglia étendu sur son lit et sa femme qui s'en console: Beatrice: Un vieillard puant que je n'avais épousé que pour son argent! Lelio: Il faudra le pleurer. Rome. Istituto del S. Cuore. San Pier d'Arena. Oratorio festivo. Frascati. Villa Sora. Turin, Valsalice. Seminario delle Missioni, 1907. Foglizzo Canavese. Casa S. Michele, 1904. (1) Eularia muta per amore. Il gran convitato di pietra. La muta per amore ovvero Arlecchino taglialegna. (2) Cfr. Yorick, figlio di Yorick (avocat P. C. FERRIGNI), La storia dei burattini, Florence, 1884, p. 225 e 245. (3) Voyez ce que j'en dis dans mon étude Nella baracca dei burattini, dans le Giorn. stor. della lett. ital., vol. LI, 1908, p. 1-93, et surtout p. 10 et sqq. Il n'y a rien qui se rapporte à notre sujet dans l'article de Vittorio Malamani, paru dans la Nuova Antologia, 16 février et 1 mars 1897, Il teatro drammatico, le marionette e i burattini a Venezia nel secolo XVIII, et dans celui de M. A. SORBELLI, Angelo Cuccoli e le sue commedie, dans l'Archiginnasio (nov.-déc. 1909), où l'on fait cependant mention de Don Giovanni. Beatrice Comment, le pleurer? Un ladre, un ivrogne... Tartaglia (à part): Si je me lève debout, je veux te tordre le cou. Beatrice: Un homme vicieux, un idiot. Lelio: Mais, maman, on dirait que le cadavre bouge. Il bouge en effet, et Béatrice n'aura rien à envier à Béline. Ce qui manque à la comédie, pour la rendre tout à fait moliéresque, c'est justement la maladie imaginaire du héros. L'équivoque des deux portraits (L'equivoco dei due ritratti) que j'ai retrouvé dans le même répertoire, n'est, à son tour, qu'une reproduction de Sganarelle ou le cocu imaginaire; la Feinte malade rappelle à la fois la comédie homonyme de Goldoni et L'amour médecin de Molière. La farce Les contrats faits et défaits par la sagacité de Brighella, avec Arlequin dans l'embarras parce qu'il ne peut encaisser (Li contratti fatti e disfatti dalla sagacità di Brighella, con Arlecchino imbrogliato per non poter riscuotere) descend en ligne droite des Fourberies de Scapin. Le vol des ânes (Il volo degli asini) n'est qu'un calque du Bourgeois gentilhomme; les Quatre-vingt dix-neuf malheurs d'Arlequin et Arlequin indécis entre le bien et le mal, sont issus eux aussi de Monsieur de Pourceaugnac. Cependant ce n'est pas sur ces tréteaux qu'on retrouvera le Dom Juan du poète français. Les Don Giovanni y abondent, mais ils gardent les traits du héros de la vieille légende, se proposant le but de toucher l'âme endurcie des spectateurs et de contribuer par là au triomphe de la foi. Nous serions satisfaits si nos modestes fatigues contribuaient à détruire une erreur répandue même parmi les critiques de nos jours, que Molière a été médiocrement connu, apprécié et imité en Italie (1), et si elles démontraient en même temps le rôle joué par (1) Je n'ai que l'embarras du choix et pour m'en tenir aux dernières études, voyez ce que disent M. Vézinet sur “l'Italie... moins moliérophile que l'Allemagne, (ouvr. cité, p. 23), et M. Wolff à propos de la diffusion en Europe de l'œuvre de notre écrivain (ouvr. cité, p. 595 sqq.). Depuis Lacroix et Despois jusqu'aujourd'hui, on n'a connu que quelques traductions ou quelques imitations, celles, par exemple, de Gigli, de Goldoni, et de quelques rares librettisti et Francisque Sarcey, dans ses Études sur le théâtre, se bornera à attirer l'attention de ses lecteurs sur la seule imitation qu'il connaît (et comme il la connaît!): "Le Tartuffe, réduit en trois actes, par un obscur imitateur (Gigli) sous le titre de Il don Pilona (sic). „ |