mari est "couvert de neige elle puisse lui supposer encore assez de jeunesse pour la trahir avec M.me La Brie. Chiari fait défiler, sous nos yeux, les membres de la troupe de Port-Royal, M.me La Brie, Baron et Chapelle (Leandro), celui-ci toujours dans les vignes du seigneur, et conseillant de dompter les femmes à coups de bâton. "Il n'y a d'autre remède, cher ami, que de battre Guerrina à plate couture „. Mais Molière préfère une autre méthode non moins déraisonnable. Il écrit à sa femme une lettre anonyme, une déclaration d'amour, à laquelle elle répondra, sans doute; comme si Madame devait s'abandonner à un inconnu, à un premier venu! Ainsi Molière, le grand connaisseur des hommes, est aux anges, lorsqu'il reçoit une réponse où Guerrina prône sa vertu et sa fidélité; et il ne lui vient pas même à l'esprit, à lui qui a exposé sur les planches tant de ruses du beau-sexe, qu'il peut s'agir d'une sorte de farce, qu'elle peut avoir deviné de quoi il est question, et qu'après tout c'est comme ça que même les femmes légères répondraient à des anonymes! Les femmes de bien n'y répondent point. Puis, de bêtise en bêtise, Molière prie le trop complaisant Valerio de faire la cour à sa femme. "Pousse les choses aussi loin que possible, s'écrie le brave homme; je veux être assuré du caractère de Madame. Et Valerio ne manque pas de pousser: mais il reçoit de madame un soufflet qu'il porte en triomphe au mari, comme une marque certaine de fidélité conjugale. Molière (à Valerio): Qu'y a-t-il de nouveau ? as-tu parlé à ma femme? Est-ce qu'elle t'a donné une réponse? Valerio: Oui, et elle la fit faire tout exprès. Molière: Une réponse tendre ? Valerio: Non, un peu dure. et il veut rendre à Molière cette rose à cinq feuilles qui lui appartient en propre. Avant et après ces essais, le poète continue à méditer le grand problème:"suis-je ou ne suis-je pas George Dandin? „. On se moque de lui, on rit à ses dépens, on l'appelle "merlotto (serin): il a même peur que sa femme ne lui donne des horions... Ah! l'illustre poète, qu'il est tombé bas sous la plume de Chiari ! Enfin, Guerrina ou Armande se transforme en une sorte de Grisélidis; sa patience est aussi excessive que les soupçons de son mari sont absurdes; elle endure les injures, les offenses non seulement de Molière, mais de M.me La Brie aussi: sa conscience et son devoir avant tout, et si son mari va la jeter sur le pavé, elle continuera à lui sourire doucement. Tout cela toujours d'après l'histoire! (1). Enfin la brave femme, pour guérir son mari de la jalousie, feint de vouloir se retirer dans un couvent, et Leandro, toujours entre deux vins, se charge de l'y accompagner. Le marquis d'Estramb, tâche de tirer profit de la circonstance, et ordonne à ses gens d'enlever Guerrina. Leandro la défend; il met tout d'abord la main à son épée, puis pour ne pas sortir de son rôle, il a recours à sa fidèle bouteille, dont il se sert, ainsi que d'une massue, et frappe les assaillants. Guerrina sauvée fait retour à son mari, qui l'embrasse en lui jurant un éternel amour, sans aucun mélange jaloux (2). Heureuse "seray se marché tient, peut s'écrier la brave femme, comme certain personnage de l'ancienne farce du Cuvier. En 1755, un admirateur de Chiari, un certain Stefano Sciugliaga, dalmate, à ce qu'il paraît, fit imprimer à Ferrare une pièce fort sin (1) Voici un essai de l'amabilité de Molière (A. II, sc. 6a): Ne moglie presa avessi giammai per mia malora! Guerrina. Tutto vi lice adesso; tutto da voi sopporto; Ma in presenza degli altri ogni rimbrotto è un torto., Et tout cela parce qu'un certain marquis d'Estramb (le marquis ridicule, qui ne pouvait pas manquer à cette peinture de Molière et de son époque!) baise la main de Guerrina, comme si le baise-main n'était pas, en ce temps-là, la chose la plus innocente du monde! Et M.me Guerrina est toujours résignée, toujours vertueuse et patiente: lorsque son mari jure de la quitter, elle s'écrie: (2) L'alternativa è ingiusta; è barbara la legge, Pur moglie io sono, e ad essa questo mio cor non regge, Che se ingrata mi dice, ei dice una menzogna. Da questo di cominciano i giorni miei felici,, vers dont le sens est fait pour tromper ceux qui ne connaîtraient pas la vie du poète. gulière (1). On y voit la Comédie italienne à bout de forces, que le médecin Buongenio tâche de rétablir en bonne santé. La malheureuse est en butte aux tracasseries de son frère le marquis Bizzarro, prétendant la marier au comte Popolo, un monsieur aussi mal élevé que volage. Sur ces entrefaites, seul personnage vivant au milieu de toutes ces personnifications dignes de la scène du moyen-âge, Molière paraît, bras dessus bras dessous, avec sa fille la Comédie française, dont le comte Popolo s'éprend sur l'instant. La brave fille a quitté sa douce France avec beaucoup de peine: on est bien en Italie, mais cela n'empêche pas qu'elle ne désire franchir bientôt les Alpes, ce qu'elle fait au dernier acte, après avoir essuyé patiemment les galanteries et les menaces du marquis et du comte. Quant à la Comédie italienne, elle finit par épouser le Popolo, ce qui va rendre son état encore plus désespéré. Cette allégorie, dépourvue de tout mérite littéraire, fourmille d'allusions aux luttes et aux diatribes de l'époque. On a recours pour la malade aux remèdes les plus étranges, qu'on est allé quérir en Perse même (allusion évidente à Goldoni), et aux coups de marteau (autre allusion aux vers Martelliens) (2). Mais ce qui nous intéresse le plus c'est le rôle joué par Molière. Celui-ci est salué comme le maître des maîtres dont les ouvrages ont la gloire de servir de modèle à l'Italie et Buongenio voudrait même lui baiser la main, cérémonie que le poète refuse (3). Et Molière parle de "nature, et de "morale,,, de la nécessité de 66 (1) Le nozze involontarie della signora Commedia italiana col signor conte Popolo, signor del Basso Piano, commedia parte in versi sciolti, che non son versi, e parte in versi detti Martelliani, che non son Martelliani, etc., Ferrare, 1755. D'après le Dizionario di opere anonime, 1852, T. II, p. 254 (cfr. SPINELLI, Fogli, etc., p. 67) l'auteur de cette pièce Stefano Sciugliaga serait de Raguse. (2) La pièce renferme aussi des allusions aux masques et aux fiabe, de Carlo Gozzi qui place: (3) (I, 9): Buongenio. "Il Sole in terra, i fiori in Mare, Le Case in aria e le montagne in Cielo., Monsieur Molière ? Oh quale è il mio contento nel vedere "redonner une vie nouvelle,, au théâtre italien, mais à un certain. moment il se sauve, ennuyé peut-être d'une compagnie si extraordinaire et déraisonnable et nous nous demandons à quoi bon ce rôle qu'on lui fait jouer, puisque tout cela n'aboutit à aucune conclusion. L'auteur italien s'est souvenu du poète français aussi, lorsqu'il emprunte aux Précieuses la théorie de l'amour galant (1) et au Misanthrope l'incident d'Alceste avec son valet Dubois (2). Antonio Belotti, poète de Bergame, enlevé jeune encore à l'art. qu'il honorait, avait écrit à l'âge de vingt ans deux comédies, Molière et la Jeunesse de Shakespeare. La première, en quatre actes, porte la date de 1857, et l'auteur, en la dédiant à son ami Lodovico Tarenghi, s'excuse d'avoir trahi parfois l'histoire du poète français, et d'avoir travaillé avec une hâte qui lui a empêché de donner plus de relief à l'action et à ses personnages. "Le temps nę fait rien à l'affaire, lui aurait répondu celui qu'il voulait faire revivre sur la scène (3). Molière. Monsieur, mi permettete, ch'io vi dia No signor, non conviene: Per le vie di natura e con vera morale... (1) Écoutez la leçon que la Comédie française donne au Comte Popolo, sur la manière de courtiser les dames: "A principio si mira soltanto alla lontana; Ed indi a poco, a poco, quando si vede umana E compiacente, appresso, se le va avvicinando..., (II, 7). (2) Vagantiglio (valet). Signor, grande accidente! Marchese Bizzarro. E cos'è stato ? Vagantiglio. Vagantiglio. Marchese Bizzarro. Adesso, adesso. Non mi lasciar in pena..., Mais Vagantiglio bat longtemps encore la campagne, avant d'expliquer le malheur arrivé. (3) Voyez cette comédie dans les Poesie e prose di Antonio Belotti, Bergame, Pagnoncelli, 1879. En effet, l'histoire n'est guère respectée, et si Goldoni et Chiari ont flatté le portrait de la femme de Molière, il faut reconnaître que Belotti a exagéré dans le sens contraire. Armande Besart (sic) trahit le poète avec le duc de Vermandier, avec lequel elle se promène librement, et dont elle est tutoyée en présence de tous. les courtisans. Cette intrigue n'est pas faite pour réjouir Molière, qui s'en plaint avec Armande, mais madame lui riposte qu'elle l'a épousé sans amour et que par conséquent elle se moque de ses soupçons et du reste. Toutefois, comme le Duc, à un certain moment, paraît ennuyé de cette aventure, Armande se fâche, réfléchit sur l'instabilité de la passion des ducs et des marquis et finit par reconnaître ses torts. Ainsi elle revient à son mari, qui la reçoit, les bras ouverts, disposé désormais à la considérer plutôt comme une fille que comme sa femme. Malheureusement cette réconciliation arrive trop tard; la santé de Molière est ébranlée et juste au moment où Armande va le rendre heureux, la mort inexorable le frappe, après la représentation du Malade imaginaire. Le poète mourant est transporté sur la scène, où il fait un long discours trop long, dirait l'écuyer de Don Quichotte, pour un homme dont la vie ne tient plus qu'à un fil discours qui finit par la bénédiction générale de tous ceux qui l'ont offensé, depuis Racine jusqu'à sa femme. Et le héros expire en serrant la main de Chapelle, le seul ami qu'il ait eu, le seul qui l'ait vraiment compris, et en embrassant le manuscrit de ce Tartuffe, qui le fera revivre dans les siècles futurs. La comédie est écrite avec entrain, dans ce goût romantique, que les drames de Victor Hugo avaient mis à la mode : des rendezvous nocturnes, des mains qui se portent fièrement à la garde des épées, le parc de Versailles avec ses mystères et ses fêtes, des fenêtres escaladées et des amoureux enveloppés dans des manteaux. Mais, malgré la verve du dialogue et certaines données assez plaisantes, il faut reconnaître que Belotti a poussé la liberté de l'artiste au delà des bornes du raisonnable. Molière est transformé par lui en un clubiste déclamant contre la noblesse et contre le Roi même. On le dirait un héros d'Alfieri, prêt à se lancer sur le tyran et à venger la patrie opprimée. Colbert qui, pour l'histoire de Fouquet, a maille à partir avec le poète, reçoit de celui-ci une verte réprimande, bien qu'il ait été de la plus grande amabilité à son égard, jusqu'à lui dire: "Vous êtes le premier et peut-être le |