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et qui est une partie de la théologie, je dis l'apologétique vivante et pratique, l'art d'orienter les âmes vers leur Principe 1.

Cet art est quelque chose de proprement sacré, Pascal le sait bien, et la première leçon qu'il nous donne ici est une leçon d'humilité. Agir sur le cœur de l'homme pour le disposer à la grâce, c'est œuvre d'une délicatesse étrange, et, de soi, déjà surnaturelle. Si l'Esprit de Dieu ne conduit vos doigts, gare à l'irréparable. A vrai dire, ceux-là seuls s'y entendent auxquels cet Esprit donne dans le concret et le particulier, sous une lumière d'ordre divin, le sens de la réalité humaine, et des jointures qui s'y font de la nature et de la grâce. Aussi bien les maîtres de l'apologétique vivante ne se rencontrent-ils que parmi les mystiques.

De là vient que l'art apologétique de Pascal, s'il reste inférieur à celui des apôtres et des saints, a néanmoins une valeur authentique et de premier rang. Ce qui fait, au seuil des temps modernes, de l'âge réflexe, le caractère unique et l'importance des Pensées, la grandeur de l'œuvre (et sa misère), c'est que les lumières aiguës qu'éveillent les touches mystiques s'y trouvent appliquées, non pas, comme dans les autres écrits des spirituels, à la contemplation des choses divines, mais à la science de la créature, à la science pratique de l'homme à tourner vers Dieu. Et cela chez un esprit d'une force naturellement prodigieuse, qui ployant en vainqueur toutes choses à ses fins, Épictète et Montaigne, Méré et Miton comme l'infini géométrique et la règle des partis, assume au service des vertus théologales la plus rare expérience du monde et des hauteurs du savoir humain.

1. Sur l'apologétique de Pascal, consulter GARDEIL, la Crédibilité et l'Apologétique, PETITOT, Pascal, sa vie religieuse et son apologie du christianisme, EDGAR JANSSENS, La Philosophie et l'Apologétique de Pascal. Sur le cœur », la « coutume », et la « raison », on lira également avec fruit l'étude pénétrante et mesurée du R. P. Antoine MALVY, Pascal et le Problème de la Croyance, Paris, 1923.

Pascal a raison de dire qu'il est presque sans compagnons dans l'étude de l'homme, entendons de la nature humaine considérée non pas abstraitement et en elle-même, comme font les philosophes, mais dans les conditions concrètes de son existence ici-bas. Les saints pourtant, ayant part à la science de celui qui savait lui-même ce qui est dans l'homme, l'ont connue mieux que lui. Saint Dominique, approchant des villes, s'asseyait au bord de la route, et pleurait. N'avait-il pas le don de Science, qui fait voir ce que nous sommes par rapport à Dieu? A ce don, d'après saint Augustin et saint Thomas, répond la troisième Béatitude, cepar qu'il n'est pas possible de connaître la créature dans la lumière divine sans la connaître aussi dans les larmes ; et pour qui l'entend, cet enseignement sacré va plus loin que toute la psychologie de Pascal. Il reste qu'on n'ôtera jamais à Pascal cette maîtrise en la science de l'homme, qui est son privilège dans la famille des grands esprits, ce sens admirable, non pas janséniste, mais profondément et authentiquement catholique, des conditions concrètes de notre nature et des options qu'elles exigent, qui lui fait percevoir avec une véhémence infaillible que l'état concret qui répondrait à la pure nature est un état fictif, et qu'en fait il n'est pas ici-bas d'autre état pour nous que l'état de nature déchue, ou l'état de grâce : vérité cardinale dans l'ordre pratique, qui ne dispense pas (là est l'erreur des pascalisants) de la connaissance philosophique de la nature humaine abstraitement considérée comme telle, mais qui doit normalement faire équilibre à cette connaissance, si l'on ne veut rendre vaine la croix du Christ. C'est ici que Pascal s'oppose le plus foncièrement à Descartes, et que vraiment seul à la fin, de la dure solitude des douleurs de l'intelligence, il dresse, comme un haut signal, la revendication de la conscience chrétienne en face de l'apostasie rationaliste qu'il sent venir, et dont le vent mortel glace d horreur sa chair malade.

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Plaçons-nous donc au point de vue qui convient, comprenons que les Pensées nous livrent, dans son élan natif, préservée par un bienheureux état d'inachèvement de la trop belle rhétorique où elle se fût composée, et dont nous pouvons juger par trois ou quatre morceaux célèbres, une apologie de la religion chrétienne écrite en esprit de foi et en ardeur de charité. Il devient alors possible, réserve faite de quelques idées incurablement jansénistes, de donner à toutes les grandes thèses de Pascal un sens conforme à l'orthodoxie catholique, que dis-je, à la stricte théologie thomiste. Il suffit pour cela de tout ramener à l'intention maîtresse.

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En matière pratique, c'est à la fin que tout est suspendu. Quelle fin ici? Un terme divin la vertu de foi, qui nous fait connaître Dieu, non pas seulement comme auteur des choses, mais dans le mystère incompréhensible de sa déité: Filius, qui est in sinu Patris, ipse enarravit.

De la foi et de l'acte de foi Pascal a une idée dont la seve est thomiste. Il sait que la foi « est-au-dessus » des sens et de la raison, « et non pas contre. » Il sait qu'elle dépend de la volonté, mais qu'elle reste, étant connaissance, formellement un acte de l'intelligence (<< la volonté est un des principaux organes de la créance, non qu'elle forme la créance... »), il sait que son acte est simple, et non pas discursif, (« Dieu sensible au cœur »), il sait qu'obscure à cause de l'inévidence de son objet, elle comporte néanmoins une lumière propre, qui fait voir toutes choses d'une façon toute nouvelle »>, quasi oculo Dei, dit saint Thomas. Il sait surtout qu'elle est essentiellement surnaturelle, en sorte que sa certitude est en elle-même plus forte que toute certitude scientifique, et que son motif formel, Dieu même

se révélant, est incomparablement supérieur à toute raison et démonstration humaine. « La foi est différente de la preuve : l'une est humaine, l'autre est un don de Dieu ». « La foi est un don de Dieu; ne croyez pas que nous disions que c'est un don de raison

nement. >>

« Il y a trois choses, dit saint Thomas, qui nous conduisent à la foi du Christ : la raison naturelle, les témoignages de la Loi et des prophètes, la prédication des apôtres et de leurs successeurs. Mais quand un homme a été ainsi conduit comme par la main jusqu'à la foi, alors il peut dire qu'il ne croit pour aucun des motifs précédents : ni à cause de la raison naturelle, ni à cause des témoignages de la Loi, ni à cause de la prédication des hommes, mais seulement à cause de la Vérité première elle-même... C'est de la lumière que Dieu infuse que la foi tient sa certitude 1. >>

Et Pascal « Cette religion si grande en miracles, saints, pieux, irréprochables,... si grande en science, après avoir étalé tous ses iniracles et toute sa sagesse, elle réprouve tout cela. et dit qu'elle n'a ni sagesse ni signes, mais la croix et la folie.

« Car ceux par qui ces signes et cette sagesse ont mérité votre créance, et qui vous ont prouvé leur caractère, vous déclarent que rien de tout cela ne peut nous changer, et nous rendre capables de connaître et aimer Dieu, que la vertu de la folie de la croix, sans sagesse ni signes; et non point les signes sans cette

vertu...

« Notre religion est sage et folle. Sage, parce qu'elle est la plus savante, et la plus fondée en miracles, prophéties, etc.. Folle, parce que ce n'est point tout cela qui fait qu'on en est; cela fait bien condamner ceux qui n'en sont pas, mais non pas croire ceux qui en sont. Ce qui les fait croire, c'est la croix, ne evacuata

1. Saint THOMAS, in Joannem, c. IV, léct. 5, n. 2.

sit crux. Et ainsi saint Paul, qui est venu en sagesse et signes, dit qu'il n'est venu ni en sagesse ni en signes : car il venait pour convertir. Mais ceux qui ne viennent que pour convaincre peuvent dire qu'ils viennent en sagesse et signes. »

Ainsi donc les preuves humaines sont requises et nécessaires, il faut à l'acte de foi des préparations et des justifications rationnelles. Et à quelle autre fin Pascal écrit-il?« Il faut ouvrir son esprit aux preuves. » (C'est Descartes qui, en fait d'apologétique, se contente d'être « de la religion de son roi et de sa nourrice. » Le pur rationalisme rejoint ici le fidéisme, parce que preuves historiques et morales ne sont rien pour lui.) Mais les preuves humaines et les justifications rationnelles sont la condition, non le principe de la foi infuse. C'est la grâce seule qui a le rôle décisif; et l'apologétique n'a pas à engendrer la foi, mais seulement à y préparer l'âme. Les âmes sont à Dieu, lui seul y entre : quel est ce roi de gloire? Le Seigneur est ce roi. « On agit comme si on avait mission pour faire triompher la vérité, au lieu que nous n'avons mission que pour combattre pour elle. » Je vois dans le soin du véritable apologète à respecter l'opération de Dieu dans les âmes la plus haute application de cette grande parole.

Nous rendons grâces à Pascal d'avoir rappelé à tant de baptisés en partance pour les paradis de la science humaine, et à certains théologiens qui plaquent les vertus chrétiennes sur l'homme de la nature comme un peu d'or sur du cuivre, que ce n'est pas une chose plus ou moins difficile, comme d'être un Archimède ou un César, mais bien une chose entièrement impossible à la seule nature que d'être un chrétien : ex Deo natus. Nous lui rendons grâces d'avoir affirmé magnifiquement la surnaturalité de la foi. C'est à la lumière de cette doctrine qu'il faut considérer les Pensées. J'aimerais montrer en détail comment elle les éciaire. Je dois me borner aux quelques indications qui suivent.

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