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qu'elle existe dans l'esprit souffre des conditions qu'elle n'a pas en tant qu'elle existe en elle-même. Mais au point précis où porte purement le connaître, il n'y a nulle diversité entre la connaissance et la chose, entre la pensée et l'être ; si bien que le connaissant et le connu, sans que l'être propre de l'un se mêle en rien à l'être propre de l'autre, sont un et le même sous le rapport précis de l'acte de connaître : « L'acte du senti et celui de la sensation, disait Aristote, est un seul et même acte; mais l'être propre diffère en l'un et en l'autre. » Expression pleinement évoluée et rectifiée de ce que Parménide n'avait su dire qu'en soudant dans une même formule le vrai et le faux.

Au lieu de s'en tenir à ces sages précisions aristotéliciennes, où l'intelligence des anciens avait mis toute sa délicatesse de toucher, Kant, en docteur brutal, disjoindra absolument l'être et la pensée, détruisant ainsi, quoi qu'il fasse, la connaissance et la vérité.

La vérité, nous pouvons essayer maintenant de mieux pénétrer ce qu'elle est, en donnant à la grande formule rendue classique par saint Thomas: adéquation de l'intelligence et de la chose 2, son sens le plus déterminé. C'est une opinion commune parmi les philosophes que la vérité est plus parfaitement dans l'intellect que dans le sens, car lorsqu'il juge des choses avec vérité, l'intellect, étant capable de réflexion, sait

1. ARISTOTE, De Anima, III, 2, 425 b 26: dè tou xiontou ¿vépreca καὶ τῆς αἰσθήσεως ἡ αὐτὴ μέν ἐστι καὶ μία, τὸ δ ̓ εἶναι οὐ τὸ αὐτὸ αὐταῖς. Ibid., 426 a 15 : μία μέν ἐστιν ἡ ἐνέργεια ἡ τοῦ αἰσθητοῦ καὶ ἡ τοῦ αἰσθητικοῦ, τὸ δ ̓ εἶναι ἕτερον.

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2. Cf. Saint THOMAS, Sum. theol., I, 16, 2. Saint Thomas attribue cette formule à un certain Isaac, auteur d'un De Definitionibus, sans doute le fils d'Honaïn ben Ishak, historien de Bagdad, qui mourut en 876 et est connu comme traducteur d'Aristote. Averroès, dans sa Destruction des destructions, donne une définition analogue; Aristote, s'il n'emploie pas dans sa teneur littérale la formule adaequatio rei et intellectus », s'exprime équivalemmert dans maints passages. Cf. SENTROUL, Kant et Aristote, 2o éd.; p. 56, note.

de lui-même qu'il est vrai, mais le sens ne le sait pas ; et qu'elle est proprement dans le jugement, non dans la simple appréhension, car tant qu'il n'y a ni affirmation ni négation, tant que je dis simplement « le cercle » ou « l'homme », il n'y a rien encore dans l'esprit qui soit conforme ou non conforme à ce qui est. Mais le jugement, je viens de le voir, a essentiellement rapport à l'existence, actuelle ou possible; et de même c'est essentiellement par rapport à l'existence hors de l'esprit que se prendra la vérité : « vérité d'existence » par rapport à l'existence actuelle, comme quand je dis : Koriskos est homme ; « vérité idéale » par rapport à l'existence possible, comme quand je dis la somme des angles d'un triangle égale deux droits. Verum sequitur esse rerum 1. Disons donc qu'au sens le plus précis du mot, la vérité est la conformité de l'acte de l'esprit unifiant deux concepts dans un jugement, avec l'existence (actuelle ou possible) d'une même chose en qui se réalisent ces deux concepts.

Définition pédantesque, et qui a l'inconvénient de ne s'appliquer qu'à l'intelligence humaine et à la vérité humaine, à la pauvre vérité humaine, mais qui a l'avantage d'être aussi explicite que possible. En veuton une qui convienne à toute intelligence, même aux intelligences pures (dont le jugement n'est pas asservi à la composition et à la division des concepts), on dira: la vérité est la conformité de l'esprit avec l'être, selon qu'il dit être ce qui est, et n'être pas ce qui n'est pas 3.

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2.

XI. J'ai parlé de la vérité de l'intelligence. L'intelligence est vraie, selon qu'elle juge la chose comme elle est. Mais les choses aussi sont vraies, selon qu'elles sont conformes à l'intelligence dont elles dépendent : à

1. Saint THOMAS, de Verit., q. 1, a. 1, 3o sed contra. Cf. In Boet de Trinit. Prima quidem operatio [intellectus] respicit ipsam naturam rei, secunda operatio respicit ipsum esse rei.»

:

2. Cf. Saint THOMAS, in Metaph. Aristot., lib. IV, lect., 8, n. 651.

l'intelligence humaine, pour les œuvres de notre art; à l'intelligence divine, pour les choses de la nature. Vérité de l'intelligence comme vérité de la chose, c'est toujours adæquatio rei et intellectus.

Or, en Dieu, non seulement il y a conformité entre son être et son intelligence, mais « son être est son acte même d'intellection. Et son intellection est la mesure et la cause de tout autre être et de toute autre intelligence. Et lui-même il est son être et son intellection. D'où il suit que non seulement la vérité est en lui, mais qu'il est la Vérité elle-même, souveraine et première1. C'est ainsi que saint Thomas répond à Pilate.

1922.

1. Saint THOMAS, Sum. theol., I, q. 16, a. 5.-Sur la théorie thomiste de la vérité, voir Jean de Saint-Thomas, Curs. theol., t. IV, disp. II.

CHAPITRE II

LA VIE PROPRE DE L'INTELLIGENCE
ET L'ERREUR IDÉALISTE

Ο

I

N doit regarder l'invasion des philosophies idéalistes dans une civilisation comme un symptôme de vieillissement. C'est proprement la sclérose de l'intelligence.

L'idéalisme s'attaque à la vie propre de l'intelligence, il la méconnaît radicalement tout en prétendant l'exalter. En même temps et par là même on le retrouve à la racine de tous les maux dont l'esprit souffre aujourd'hui.

Si la pensée n'est en contact qu'avec elle-même et elle seule, s'il est absurde de concevoir, comme on dit, un dehors à la pensée, il suit que notre raison ne peut pas atteindre les choses elles-mêmes, ni a fortiori les objets supra-sensibles: voilà le dogme agnostique ; il suit également qu'elle ne saurait reconnaître un ordre de réalité dit naturel, distinct d'un autre ordre de réalité dit surnaturel, ni une vérité première subsistant hors de cette même raison humaine et qui lui communiquerait du dehors une vie et des certitudes qui ne soient pas déjà en elle : voilà la formule métaphysique du naturalisme; il suit enfin que notre raison exige de

jouir en chacun de nous d'une autonomie parfaite, et nous impose pour premier devoir de « réaliser notre personnalité » en excluant tout magistère proprement dit, et plus généralement toute relation de dépendance à l'égard d'autrui : voilà sous son aspect le plus foncier le principe de l'absolue aúτáρxeta de l'individu. C'est ainsi que l'idéalisme, qu'on pourrait appeler la méconnaissance systématique de l'autre en tant qu'autre, fausse la notion même de la connaissance, la notion même des rapports de l'homme avec Dieu, la notion même de la personnalité.

2. L'idéalisme s'est introduit dans la pensée moderne avec la réforme cartésienne et par elle. C'est là une vérité historique que certains critiques, encore illusionnés par le spiritualisme « engageant et hardi » du philosophe du cogito, ont récemment cherché à contester, mais qui s'impose d'une manière absolue à qui considère l'esprit et la logique essentielle des doctrines. Sans doute Descartes n'a pas nié l'existence du monde extérieur ni la possibilité d'atteindre des choses existant hors de nous, sans doute il n'a pas voulu ni prévu tout ce qui sortirait du germe qu'il insinuait dans l'intelligence, il a néanmoins introduit ce germe, posé les principes qui devaient nécessairement rendre la pensée prisonnière du pseudo-problème et de la pseudo-solution idéalistes.

Kant s'est glorifié de sa fameuse révolution copernicienne, par l'effet de laquelle les choses tournent autour de notre esprit, et se règlent sur lui, tandis qu'auparavant notre esprit était réglé par les choses. Il y a eu une révolution cartésienne de non moindre importance, un premier renversement de l'ordre qui seul a rendu possible le renversement kantien.

Descartes, repoussant la distinction, classique dans l'ancienne philosophie, entre l'ordre de la connaissance humaine et l'ordre de l'être, refuse de partir des choses

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