superficielle, et mêlée de bien des impuretés, de MM. Perry et Spaulding, Santayana et Lovejoy. A la lumière des principes de saint Thomas, non seulement nous pouvons réduire à l'absurde ce self-refuting system 1, et mettre en évidence la totale gratuité des postulats idéalistes, mais encore nous pouvons procéder à une véritable et complète apologie scientifique de la connaissance, qui fasse partie intégrante de la sagesse métaphysique, et soit comme le portique de la philosophie première, et qui fonde un réalisme non pas naïf mais solidement critique, non pas un néo, ni un paléoréalisme, mais un réalisme éternel comme la vérité. Saint Thomas, il est vrai, n'a pas composé un traité spécial de Critique. Tous les principes et toutes les vérités dominantes d'un tel traité sont cependant chez lui, ne disons pas seulement à l'état virtuel, disons sous un mode formel éminent, et il est vraisemblable qu'une des œuvres capitales demandées aujourd'hui à ses disciples sera de dégager ces vérités et de les dresser en corps de doctrine, en y intégrant tous les matériaux accumulés dans ce domaine par la pensée moderne. Encore faudra-t-il pour cela qu'ils se tiennent en garde contre ce qu'on pourrait appeler le métissage intellectuel, je veux dire contre les parturitions bâtardes qui proviennent dans l'intelligence d'une disparité entre l'objet de 1. Toute épistémologie idéaliste, celle de Kant en particulier, est une doctrine se réfutant soi-même, un héautontimoroumênos parmi les monstres philosophiques. Toute doctrine de la connaissance doit en effet pouvoir se retourner sur elle-même, je veux dire se vérifier de la connaissance de la connaissance comme de la connaissance des choses. Or toute épistémologie idéaliste enseigne, en tant qu'idéaliste, que la connaissance ne nous livre pas les choses comme elles sont, et en tant qu'épistémologia elle se donne nécessairement pour une connaissance qui nous livre la connaissance comme elle est. On aura beau raffiner, on ne sortira pas facilement de cette aporie. Avant les néo-réalistes américains, le cardinal Mercier avait signalé d'une façon très pénétrante les faiblesses de l'idéalisme, dans ses Origines de la Psychologie contemporaine, Louvain, 1897, (chap. V : Critique des principes de l'idéalisme). savoir et la lumière que l'esprit fait tomber sur lui. Car la disposition de l'intelligence (habitus) et les principes de discernement avec lesquels on aborde un objet de savoir doivent être du même degré de spiritualité que celui-ci ; et si, pour aborder les problèmes de la connaissance, et pour en pénétrer les solutions thomistes, on projette sur ces problèmes et sur la doctrine de saint Thomas, au lieu du lumen thomiste gardé pur, une lumière inférieure ou viciée, un éclairage kantien par exemple, il est inévitable qu'on obtienne un résultat plus ou moins difforme. L'érudition la plus avertie, la plus habile accumulation de matériaux historiques, la plus consciencieuse bonne volonté n'y feront rien. Avouerai-je que certaines tentatives « thomistes >> contemporaines, dont l'« effort de sympathie » pour le kantisme excède peut-être l'ordre de la charité et les bornes de la prudence, autorisent à ce sujet quelques inquiétudes? 7. Saint Thomas nous apprend tout d'abord la juste manière de procéder dans le traitement du problème critique. Nous ne commencerons pas, comme première entrée de jeu, par rompre toutes nos attaches avec les choses, comme s'il était en notre pouvoir de refaire par notre art, après les avoir détruites, les connexions vitales établies par la nature; je veux dire que nous ne débuterons pas par un doute réel universel à la manière de Descartes, et ne nous imposerons pas la folle besogne de justifier ou critiquer notre outillage intellectuel et notre connaissance à l'aide de cette même connaissance et de ce même outillage d'abord positivement révoqués en doute; et que nous ne débuterons pas non plus par une option volontaire à la manière de Renouvier, par un acte de foi aveugle en les principes de la raison, suspendant ainsi les nécessités intelligibles à la pure contingence, et l'évidence à une croyance gratuite. Nous ne prendrons pas non plus pour point de départ une connaissance artificiellement séparée de son essentielle relation à l'être, et considérée, fût-ce d'une manière purement «précisive » et provisoire, comme terminée au phénomène de conscience; en d'autres termes le << premier élément incontestable », la «donnée immédiate » de la Critique ne sera pas pour nous « le phénomène objectivement conscient », le « contenu objectif de la conscience considéré en lui-même, abstraction faite de son inhérence à un sujet psychologique et de sa valeur représentative d'un objet ontologique », « le contenu de conscience considéré comme objet phénoménal » 1. Ce « contenu objectif de la conscience considéré en luimême », cet objet phénoménal séparé par abstraction de l'être extramental et maintenu tel quel devant l'esprit comme un terme de connaissance, est quelque chose d'entièrement inintelligible, un pur conflit d'images. Le phénomène ne peut être pensé que postérieurement à l'être. On ne peut faire abstraction de l'objet ontologique, faire abstraction de l'être, qu'en rendant impensable la notion même d'objet représenté. Accorder la possibilité d'une telle abstraction, choisir pour point de départ de la Critique cette artificielle et impensable notion d'objet phénoménal, c'est accorder à l'idéalisme cartésio-kantien son principe le plus cher. Si l'on commence par admettre que le « concept objectif » ou l'objet de pensée peut être traité et étudié comme autre chose que la chose même extramentale rendue présente à l'esprit, comme un simple «phénomène objectivement conscient », on ne pourra jamais valablement rejoindre l'être. Gardant au contraire tous nos contacts avec l'être, continuant d'adhérer à toutes les évidences par lesquelles notre intelligence est naturellement nécessitée, gardant 1.J. MARECHAL, Le point de départ de la Métaphysique, cahier III, 1923, p. 78. Ces formules, nous écrit l'auteur, n'expriment pas sa doctrine personnelle, qui ne nous sera révélée que dans son cahier V. Dont acte. Mais même à titre provisoire elles ne sont pas acceptables. par suite tous nos liens avec l'expérience humaine, comprenant d'ailleurs que le « premier élément incontestable », la « donnée immédiate » d'une théorie critique doit être l'objet de connaissance tel qu'il se présente naturellement, sans mutilation ni restriction arbitraire, nous prendrons pour point de départ cet objet avec tout son contenu immédiat, avec l'aspect premier sous lequel il apparaît à l'esprit, sa prétention première de n'être que la chose même, l'être extramental, « l'objet ontologique » transporté en nous: non que nous posions dès l'abord qu'il en est bien ainsi, ce qui serait préjuger la réponse, mais pour éprouver s'il en est bien ainsi, et pour reconnaître in actu signato, par la réflexion scientifique propre à la Critique, l'impossibilité de refuser à la connaissance cette fonction « objective au sens ontologique du mot », que nous lui avions spontanément, in actu exercito, accordée jusqu'alors.. Selon une méthode qui comporte non pas un doute exercé, un doute tenu, même provisoirement, pour valable, mais un doute simplement représenté, nous pourrons en effet procéder à une mise en question universelle, universalis dubitatio de veritate 1, soit que notre investigation se promène ainsi sur des vérités qu'il nous est possible de résoudre, directement ou par l'absurde, en les premiers principes, soit qu'elle porte sur les premiers principes eux-mêmes auquel cas nous pourrons nous représenter abstractivement l'intelligence détachée de ces mêmes certitudes qui en réalité demeurent en nous, et constater que l'état ainsi imaginé enveloppe des incompossibilités radicales. I.-L'intelligence atteint-elle, comme elle le prétend, un être indépendant de nous, et de notre acte même de connaître? Usant de ce que je sais déjà, je raisonnerai ainsi : 1. Saint THOMAS, in Metaph. Aristotel., lib. III, lect 1. toute opération a un terme sur lequel elle porte et un principe qui la spécifie, ainsi l'opération de l'artiste, spécifiée par l'œuvre à faire dont celui-ci à l'idée, porte sur telle matière qu'il façonne; ou bien, dans un autre ordre, l'opération de nutrition, spécifiée par cet objet entretenir la substance de l'organisme, porte sur tel aliment qu'elle incorpore au vivant. Or dans l'opération de connaître le principe de spécification ne peut être, ni, comme dans le premier cas, une forme reçue par le sujet en vertu de la connaissance elle-même (ce qui nous enfermerait dans un cercle), ni, comme dans le second cas, une fin à laquelle le sujet soit naturellement déterminé dans son être propre : les opérations de nature en effet sont limitées par l'être propre du sujet, et par rapport à elles l'opération de connaissance a comme une immensité; je ne peux me nourrir que de ce qui convient à mon espèce, je peux voir tout ce que la lumière éclaire. Dans l'opération de connaître le principe de spécification ne peut donc être que le terme lui-même sur lequel porte l'opération, c'est-à-dire la chose connue, l'objet. C'est l'objet connu qui spécifie la connaissance. Mais ce qui spécifie tient comme tel ce qui est spécifié sous sa dépendance, et n'en dépend pas. La mesure et la règle ne dépendent pas en tant que telles de la chose réglée et mesurée. Donc, l'objet, la chose connue, le terme atteint par l'intelligence, est quelque chose qui ne dépend pas de l'intelligence elle-même et de son acte de connaître, mais au contraire qui les tient sous sa dépendance. Spécifiée par l'objet connu, l'intelligence en connaissant atteint quelque chose d'autre qu'elle et qui ne dépend pas d'elle. Cela même qu'elle voit partout, l'être, elle l'atteint bien indépendant d'elle. II. Mettrons-nous maintenant en doute les principes que nous avons assumés pour justifier cette |