de brouilleries avec Buonaparte. Il a passé près de dix ans avec Napoléon, et a lu bien avant dans ses intentions. Le sort a voulu qu'il fût présent aux trois événemens décisifs de sa carrière, la guerre d'Espagne, les affaires du Pape, et la guerre de Russie; en quoi il faut admirer le discernement de Napoléon qui a associé M. de Pradt à ses grandes vues dans ces trois occasions. Il avoit su sans doute apprécier les talens de ce prélat, que l'on n'accusera pas d'envie de se faire valoir, quand il avancera qu'au concile il retint le bras du despote levé sur la religion. Si on pouvoit soupçonner son témoignage, on ne récusera pas au moins celui du conseiller Regnault de Saint-Jeand'Angely, dont le zèle connu seconda parfaitement dans cette occasion celui de M. de Pradt. Au surplus, celui-ci écrira peut-être quelque jour ce morceau d'histoire, et nous avouons désirer vivement de voir ce récit tracé de sa main, et surtout d'apprendre en quel moment il retint le bras de Buonaparte levé sur la religion. Quelques lecteurs pourroient être tentés de croire que pendant dix ans de rapports si intimes avec Buonaparte, il auroit pu en coûter à M. de Pradt quelque complaisance ou quelque foiblesse. C'est une objection qu'il a eu soin de prévenir. Buonaparte se fút moins émancipé, dit-il, s'il avoit rencontré plus souvent la barrière toujours impénétrable de la vertu, de la morale; il auroit respecté, si on s'étoit respecté soi-même... Mon expérience propre m'a appris qu'il sentoit le prix de la dignité personnelle. Une déclaration si précise doit rassurer ceux qui craindroient pour l'honneur du courtisan. Il est évident qu'il n'eût pas osé se rendre un tel témoignage s'il n'étoit parfaitement pur à cet égard, et qu'il faut excepter M. de Pradt de cette foule de flatteurs qui, après tant d'années d'une admiration aveugle, insultent aujourd'hui ce qu'ils ont adoré. On a seulement peine à expliquer la continuation de la confiance que lui témoignoit l'empereur, qui, comme le dit l'auteur même, ne pouvoit souffrir la contradiction, et à concilier cette confiance avec le rôle noble et indépendant qu'il s'attribue. Mais ce dont on ne sauroit se faire une idée, c'est l'activité que le nouvel ambassadeur déploya à Var sovie. Il ne peut s'empêcher de se rendre lui-même cette justice. Tout rouloit sur moi. En vérité, je suis encore à concevoir comment j'y ai suffi; je devois succomber mille fois. Cependant rien ne languit, rien ne se fit attendre. J'ouvris, le 20 juin, une très-grande maison, qui ne s'est pas relâchée un seul jour, jusqu'au 27 décembre, époque de mon départ. Je ne manquai pas à une séance du conseil, à une assemblée de société dans la ville, à une visite, soit chez moi, soit chez les autres. Toute la machine politique fut montée, et joua à jour nommé. Il faut qu'il y ait des circonstances dans lesquelles le temps prête et s'allonge, pour ainsi dire; je l'ai éprouvé là. Nous ne suivrons point l'ambassadeur dans les détails d'une vie si pleine et d'une mission si laborieuse. Nous ne ferons point admirer cette grande maison qui ne s'est pas reláchée un seul jour, ni cette exactitude diplomatique qui n'a pas manqué à une visite, à une assemblée de société, dans une grande ville où ce devoit être une rude tâche. Nous ne le montrerous point remplissant avec une ardeur infatigable les fonctions d'un commissaire des guerres. Nous aurions peur que ce rôle bizarre ne parut pas s'alliér très-bien avec le costume d'un évê que. Il nous suffira de dire que, soit comme comnissaire des guerres, soit comme ambassadeur, M. de Pradt a tout vu, tout fait, tout dit, tout prévu. Seul à Varsovie, il n'est dupe ni des fanfaronnades de l'empereur, ni des mouvemens des Russes. Il raisonne administration mieux qu'un ordonnateur, il devine les plans de campagne, il redresse les généraux, il met l'ordre dans les finances. Tout ce dont il se mêle, est fait à point; tout ce dont se chargent les autres, péche par le plan et par l'exécution. Pas un homme un peu entendu, pas un ordre sage, pas d'ensemble. L'ambassadeur avoit continuellement à réparer les lourdises des autres, pour nous servir de son expression. Il n'y a pas de doute que si on l'eût écouté, les désastres qui ont eu lieu ne seroient pas arrivés, et Buonaparte seroit encore le maître de l'Europe. Cela peut servir à nous consoler de ce que les conseils d'un si habile diplomate n'ont pas été mieux suivis. Nous avons cité plus haut ce mot de Buonaparte: Un homme de moins, et j'étois le maître du monde. M. de Pradt y revient à plusieurs reprises avec quelque complaisance; il prend même la peine de le réfuter, mais assez mollement, et il a l'air de souhaiter au fond qu'il en reste quelque chose dans l'esprit du lecteur. Il se met toujours en première ligne, et fait. contraster son infatigable prévoyance avec l'ignorance et l'apathie des agens de Napoléon. Il y a surtout une circonstance où, à regret sans doute, il se croit abligé de montrer à découvert son mérite et ses services. Il étoit question de faire un discours d'ouverture pour la diète de Pologne. Un Polonois en avoit rédigé un fort long et fort ennuyeux. M. l'ambassadeur se chargea d'en composer un autre. Ecoutons-le lui-même : Jéprouve de la géne pour exprimer la sensation qu'il produisit. On demanda une seconde lecture. Je n'ai jamais vu une pareille surprise, une pareille attention. Les expressions de la reconnoissance furent sans bornes... Quel jour! quelles joies! quel empressement! qui pourroit jamais les peindre ?...... Toutes les mains battent à la fois; toutes les voix éclatent en applaudissemens prolongés, ils se propagent au dehors de la salle; les cours du palais, les rues adjacentes retentissent des mémes cris. L'ivresse étoit générale; jamais je ne vis rien de pareil. Eh bien! ce discours si universellement admiré, qui avoit produit tant d'émotion et électrisé la Pologne, fut trouvé mauvais par l'empereur. Aussi M. de Pradt n'hésita-t-il pas à prédire qu'un homme aussi insensé ne pouvoit manquer de perdre tout, et il date de ce jour l'époque de sa chute. Personne ne sera sûrement tenté de voir là le ressentiment de l'amour propre blessé, et ce rapprochement naïf n'est pas plus contraire à la modestie, que cette peinture si vive de l'effet du discours. Il faut plaindre Buonaparte d'avoir payé un tel bienfait d'une si noire ingratitude, ou plutôt il faut féliciter M. de Pradt d'avoir été si mal récompensé de son zèle et de ses services; car, comme il le dit très-bien lui-même, le temps approchoit dans lequel les disgraciés de l'empereur pouvoient étre destinés à devenir les favoris de la nation. Nous ne devons pas douter qu'il n'ait été amplement dédommagé à cet égard, et que l'estime de ses concitoyens ne l'ait pleinement vengé d'une injustice criante. Buonaparte, toujours préoccupé de l'idée que son ministre étoit cause de ce qu'il n'étoit pas le maître du monde, se répandit contre lui en invectives, le dépouilla de la grande aumônerie, et lui donna l'ordre de se rendre sur-le-champ dans son diocèse. Un homme ordinaire auroit été abattu de ces marques de mécontentement; mais le prélat souhaitoit au contraire sa retraite. Depuis que sa mission tournoit si mal, il avoit commencé à voir qu'elle ne convenoit pas à son caractère, et il lui étoit venu des scrupules sur le côté révolutionnaire très-prononcé qu'elle avoit. Il étoit clair en effet qu'on avoit voulu faire de lui moins un ambassadeur qu'un artisan de révolution, et il nous apprend que ses instructions étoient un cours complet de clubisme, où on lui recommandoit d'échauffer les têtes, d'entretenir la fermentation, et de mettre en usage toute la diplomatie jacobine. Il avoit dû en coûter à un évêque d'être l'instrument d'une telle politique, et il est infiniment honorable pour M. de Pradt de s'être soustrait à un tel rôle, comme il semble l'insinuer, ou du moins d'y avoir renoncé le plutôt possible. Dans un autre article nous rassemblerons ce qui nous a paru de plus curieux dans l'ouvrage de M. de Pradt sur Buonaparte, son caractère, ses projets et ses moyens. NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES. ROME. Le 13 août, a été sacré dans l'église de SainteMarie in Ara Cæli, le nouvel évêque de Zante et Céphalénie, Mgr. Louis Scacoz, mineur Observantin, né à Trau en Dalmatie, et long-temps professeur de théologie à Rome dans le couvent de son ordre. Il a été sacré par le cardinal Litta, préfet de la Propagande. Un chanoine de Zante étoit depuis long-temps à Rome pour solliciter cette nomination, qui a été retardée par les troubles des derniers temps. |