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On trouve encore dans la liste des principaux auteurs de l'Encyclopédie des hommes que Rousseau crut être devenus ses ennemis; il nous entretient au long dans ses Confessions du baron d'Holbach. Si nous en croyons La Harpe, en aucun temps le baron d'Holbach n'avoit donné à Rousseau le droit de se plaindre de lui. Mais ce qui est digne de remarque, c'est que ce même Jean-Jacques, qui avoit fini par prendre les philosophes en horreur, qui ne vouloit plus les avoir connus, avoir eu le moindre rapport avec eux, se trouve associé, comme malgré lui, à tous leurs travaux, à toutes leurs idées, à toutes leurs entreprises. C'est avec Diderot et d'Alembert qu'il avoit voulu faire un journal intitulé le Persiffleur; c'est avec d'Alembert et Diderot qu'il avoit travaillé pour l'Encyclopédie; et d'Alembert s'essaie à traduire Tacite, lorsque Rousseau en traduit d'autres morceaux. Les mêmes idées sont à l'usage des mêmes esprits; mais il faut convenir que le style est différent : si d'Alembert est correct et élégant, si Diderot est véhément et animé, Rousseau réunit souvent à lui seul toutes les perfections du style; il est en même temps Bossuet, Massillon, La Bruyère et Montesquieu, modèle d'élévation, de précision, d'élégance et d'originalité tout à-la-fois; la pensée sous sa plume s'enrichit de l'expression, en même temps que l'expression doit une partie de son éclat à la pensée : il est à lui seul tous les grands écrivains ensemble, réunion d'autant plus admirable, que Rousseau est de tous nos prosateurs celui dont le style réunit tant de mérites divers à un si haut degré de perfection. Suivant une tradition conservée dans l'antique Orient, l'un des premiers enfants des hommes éleva deux colonnes, qui, bravant le pouvoir des eaux et des flammes, devoient transmettre à ses descendants les plus reculés le dépôt des notions acquises dans l'heureuse jeunesse du genre humain. Cette tradition n'offre-t-elle pas un emblême de l'Encyclopédie? L'Encyclopé– die est le monument qui nous révèle le degré de richesses où étoit parvenu l'homme pensant au milieu du dix-huitième siècle. A mesure qu'on avance dans la carrière, on trouve sans doute beaucoup à y ajouter, beaucoup même à y effacer; mais, à quel

que hauteur que nous puissions atteindre, il subsistera pour attester l'esprit philosophique qui l'a élevé au milieu de nous. Ce n'est pas en transmettant chacune de leurs inventions, de leurs découvertes, qu'ils ont le plus fait pour les progrès de l'esprit humain, c'est en les unissant ainsi; c'est en mettant à la portée de tous les esprits justes un aperçu complet de leur ensemble. A ce rapprochement admirable doit être presque entièrement attribué tout ce que les sciences ont acquis, depuis qu'il n'est plus permis de les considérer isolément, depuis que l'étude approfondie des rapports innombrables et réciproques qui font de chacune d'elles une branche de l'arbre encyclopédique devient le premier besoin de quiconque aspire à s'immortaliser en agrandissant leur domaine. Les limites de la France ne devoient pas borner le succès de l'Encyclopédie; il se propagea bientôt audehors. L'ouvrage, malgré son immensité, fut contrefait deux fois en pays étranger. L'influence de l'Encyclopédie, et, plus que cela encore, celle des ouvrages de Rousseau, est sans doute au nombre des causes principales de l'universalité de la langue françoise à la fin du dix-huitième siècle.

La vie privée de l'auteur d'Émile offre des torts inexcusables; mais la lecture de ses ouvrages pénètre l'ame de tant d'enthousiasme pour tout ce qui est bon et honnête, qu'il est difficile de ne pas dire avec lui : Non, l'auteur de la Nouvelle Héloïse, l'auteur de la profession de foi du Vicaire savoyard, ne fut point un homme méchant. Il n'écrivit ses Confessions que pour purger sa mémoire des souillures dont la haine cherchoit à noircir sa vie, et s'il eut le malheur de ne voir au déclin de ses ans que des ennemis dans ceux qui n'avoient jamais cessé de l'aimer, convenons qu'au milieu des persécutions qui se disputoient sa tranquillité, il put croire un moment que la société tout entière étoit conspirée contre lui. Et si les traits de sa vengeance ont atteint plus d'une fois des hommes qui n'avoient point démérité de son amitié, la sincérité de ses récits doit nous laisser dans la persuasion que son imagination, aigrie par le malheur, croyoit les avoir aperçus dans la foule de ses persécuteurs. C'est pendant son séjour en

Angleterre, dans les années 1766 et 1767, qu'il écrivit la première partie de ses Confessions; la seconde fut composée en Dauphiné et à Trye, dans les années 1768-1770. L'intention de JeanJacques étoit que cet ouvrage ne vît le jour qu'en 1800, présumant qu'à cette époque toutes les personnes qu'il y fait figurer auroient cessé de vivre; mais on anticipa sur le temps qu'il avoit fixé lui-même. La première partie des Confessions fut imprimée en 1781, et la seconde en 1788. Des réclamations s'élevèrent de toutes parts contre des faits qui présentoient dans un jour peu favorable des hommes que jusque là on avoit regardés comme dévoués à la gloire de Rousseau; et quoiqu'on ait beaucoup écrit pour relever les prétendues erreurs échappées à JeanJacques, et réformer la plupart de ses jugements, ils ont survécu à toutes les réponses, à toutes les réclamations, forts de l'impartialité qui les a dictés. C'est vainement que La Harpe et l'avocat général Servan les ont attaqués avec plus de talent que les autres; l'ouvrage dont ils ont essayé de réfuter les faits a réfuté leur talent,

LES

CONFESSIONS

DE

J. J. ROUSSEAU.

Intus et in cute.

PERS., sat. III, v. 3o.

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