puissante et bien ordonnée, il est beau par un autre motif encore. Quel est ce motif? Nous touchons ici à un point délicat et fort controversé. Il s'agit pour nous de résoudre la question des rapports de la beauté physique avec la beauté psychologique. Une âme belle de toutes les beautés, n'aimant, ne voulant, n'affirmant que le beau, le bien et le vrai, peut vivre dans un corps difforme et se cacher sous un laid visage. Une âme laide de toutes les laideurs, ignorante, égoïste et corrompue, peut être unie à un corps charmant et avoir reçu de la nature la plus admirable tête. Rien de plus certain; rien même de plus fréquent. En outre, la première de ces deux âmes parvient souvent à se manifester au moyen de son corps disgracié et de sa figure ingrate, et à embellir l'un et l'autre par l'habituelle expression de ses nobles qualités; tandis que la seconde finit par gâter et enlaidir son front, ses yeux, sa bouche, sa personne tout entière, en y faisant passer tout ce qu'elle recèle de difformités morales. Aussi, faut-il être dépourvu d'expérience ou ébloui par l'esprit de système, pour juger, au premier aspect et sans autre renseignement, de l'âme par le corps et le visage. Conséquemment, entre la laideur du corps et celle de l'âme d'une part, et de l'autre entre la beauté physique et la beauté morale, il n'y a pas, dans les faits, de relation nécessaire. Mais peut-on conclure de là que la haute intelligence de Platon eût été aussi bien exprimée par une figure de Hottentot que par son noble visage, ou que la sagesse de Socrate n'eût pas mieux paru sous les traits de Minerve que sur sa face de Silène? Reprenons avec détail ce point déjà théoriquement traité1. La beauté physique n'est pas, à vrai dire, la beauté du corps, mais seulement la beauté de la force vitale s'exprimant par le corps. Il y a une forme du corps par laquelle la force vitale se manifeste mieux que par aucune autre, et par laquelle on peut dire qu'elle se manifeste absolument. En ce sens, il y a une beauté physique absolue, bien que le corps ne soit physiquement beau que par son rapport avec la beauté invisible de la force vitale. Le corps n'est donc beau que relativement à la force vitale qu'il exprime. Mais en tant qu'il est en complet rapport avec elle, et qu'il l'exprime autant qu'il peut l'exprimer, il a absolument toute la beauté qu'il comporte. C'est ainsi qu'il n'y a nulle contradiction à dire à la fois et que la beauté du corps est purement relative, et qu'il y a un type absolu de beauté corporelle. En effet, lorsque nous affirmons qu'un corps accompli n'est beau que relativement, nous entendons par ce mot que, la force vitale ôtée, sa beauté s'évanouirait à l'instant même; ; et lorsque nous prétendons qu'il y a une beauté absolue du corps, cela signifie que la forme idéale du corps humain exprime exactement et parfaitement la force vitale, et que nulle autre forme ne l'exprime au même degré. De la même façon, quoique le corps Dans la première partie, chap. III, p. 68-75. J'obéis à la nécessité scientifique qui m'oblige de répéter la théorie que j'éprouve au moyen des faits. Mais ici comme ailleurs, en la répétant je la déve~ loppe, je la complète, j'en varie et j'en multiplie les applications. ne possède par lui-même ni beauté sensible, ni beauté intellectuelle, ni beauté morale, et quoique, lorsqu'il brille de ces diverses beautés, ce soit uniquement en vertu de son rapport avec l'âme, cependant il y a une certaine forme du corps et surtout du visage, qui, mieux et plus complétement que toute autre, exprime la beauté de l'âme, et qui, pour ce motif, mérite le nom de beauté expressive absolue. Nous allons prouver que cette beauté expressive, laquelle est le plus parfait organe de la beauté de l'âme après la parole, n'est pas autre que la beauté physique ellemême, et que son type achevé ne fait qu'un avec l'exemplaire idéal de la race humaine. A la vue de tel visage ou de tel trait du visage, notre raison prononce à priori que ce trait ou ce visage est le signe de telle faculté ou de tel état de l'âme. Que si, néanmoins, l'âme a des facultés fort différentes de celle-là, ou bien est dans un état contraire à celui qu'annonce le visage, nous disons sans hésiter qu'il y a désaccord entre l'intérieur et l'extérieur. Que si les facultés et les habitudes de l'âme répondent exactement aux traits du visage, notre raison en décide. et affirme qu'il y a accord entre la personne invisible et sa physionomie. Notre raison sait donc quel visage convient à chaque espèce d'âme, quels traits à chaque caractère, quelle expression à chaque passion. Demandons-lui, en conséquence, quels sont les traits, quel est le visage qui expriment le mieux l'âme humaine dans toute la richesse de ses facultés et de son développement, et nous verrons ensuite si cette figure n'est pas précisément celle que produit la force vitale, alors qu'elle agit puissamment et régulièrement. Sans nous égarer ni sur les traces de Lavater, ni sur les pas de Gall, ne tenons compte que de ces corrélations entre l'âme et la face, dont tout le monde tombe d'accord. Le front, quand il est déprimé, dénote un esprit borné; fuyant, il exprime la stupidité; plus large qu'élevé, la ténacité; haut et droit, il est le signe de l'intelligence et de la noblesse du caractère. Quelques plis profonds entre les deux sourcils annoncent l'habitude de la réflexion. Le sourcil froncé indique la colère; arqué et arrondi, l'étonnement. Mais l'expression du sourcil se lie le plus souvent à celle de l'œil. On a dit de l'œil que c'est le miroir de l'âme. Chacun en sera convaincu, s'il considère de combien de forces expressives est destitué le visage d'un aveugle. Cependant il ne suffit pas que l'œil soit sain pour que l'âme y paraisse tout entière. S'il est trop ouvert et très-rond, il n'exprime qu'un étonnement niais; si trop tiré et demi-clos, le regard en est incertain ou invariablement dédaigneux. On sait combien est douteux et difficile à interpréter le regard des personnes myopes. Les yeux trop saillants nous paraissent sans esprit; les très-petits yeux, sans noblesse. Nous appelons surtout intelligents les yeux ovales, assez grands, s'enfonçant sous le sourcil, de façon à en être comme ombragés, obéissant docilement aux mouvements de l'àme, posant sur les objets leur vue aisée et sûre, les connaissant sans effort, et témoignant par une lueur dont ils s'éclairent, qu'à chaque regard, ils font pénétrer un jour nouveau dans l'intelligence qu'ils servent. De tels yeux, quelle que soit leur couleur, savent mieux que tous les autres être tristes ou joyeux, impérieux ou suppliants, rayonnants d'espérance ou éteints par le découragement, remplis des menaces de la haine, ou chargés des enivrantes promesses et des molles langueurs de l'amour. Les acteurs consommés en possèdent à fond le muet et éloquent langage; mais ce langage, nul au monde ne le parle comme la jeunesse et la passion. et A mesure que l'on s'éloigne du front et des yeux, que l'on descend vers le bas du visage, on voit diminuer l'expression intellectuelle et l'expression sensuelle s'augmenter. Le nez est de moitié dans l'accomplissement des fonctions préparatoires de la nutrition. Il est chargé d'avertir le palais et la bouche de la qualité de certains aliments, plus ou moins reconnaissables à l'odeur qu'ils exhalent. Si donc les narines sont très-larges et très-ouvertes, si le nez est très-épaté ou très-long, l'organe de l'odorat devient un indice trèsprononcé de sensualité. A voir comme il s'avance et s'épanouit, il semble qu'il soit perpétuellement en quête de senteurs et d'émanations. Au contraire, un nez fin, droit comme celui du type grec, ou légèrement recourbé, aux ailes plutôt serrées qu'arrondies, et, en tout, de formes légères et mobiles, est appelé nez spirituel. Dans celui-ci, rien de brutal, mais tout au contraire, d'imperceptibles froncements, des battements discrets et des dilatations presque insensibles qui, bien loin de signifier quoi que ce soit de grossier, |